Entre mésalliances partisanes dans les assemblées locales, blocage du fonctionnement de ces mêmes assemblées, poursuites judiciaires contre certains élus, à commencer par des présidents d’APC, fermetures de sièges de mairies décidées par des citoyens fulminant contre l’impuissance des édiles locaux à régler leurs problèmes, la voie reste apparemment ouverte pour une certaine vacance du pouvoir local vingt-et-un mois après les élections de novembre 2012. La centralisation excessive des structures de l’État, un patent déficit de formation des élus, la perpétuation d’une certaine culture tribale, la tentation corruptrice et d’autres facteurs encore, ont presque neutralisé et laminé le pluralisme politique dans sa dimension de représentation locale; sachant que, également, au niveau de la représentation nationale, ce même pluralisme n’est pas logé à meilleure enseigne. Cependant, les effets immédiats et dévastateurs du recul ou de l’échec du pluralisme politique sont d’abord ressentis à l’échelle des communes et des wilayas. C’est là où l’intérêt des citoyens et des populations est le plus visible. Ayant formellement abandonné le système du parti unique dès les élections communales de 1990, les citoyens s’attendaient, sans doute candidement, à une meilleure prise en charge de leurs problèmes et de leurs préoccupations, d’autant plus que, dans cette brèche ouverte dans la pensée unique, un courant dit démocratique, a pu prendre place dans l’échiquier politique national. C’était là sans doute, compter sans les pesanteurs, les aléas et fragilité qui pesaient sur le processus démocratique lui-même du fait d’un passif historique assez lourd en matière de sous-encadrement politique, de sous-développement culturel et de jeux clientélistes instaurés par la rente pétrolière. Ce sont là des freins et des obstacles qui se sont insidieusement dressés au travers de l’objectif de démocratisation des institutions et de la société et au travers de la promotion de la citoyenneté. Après que les anciennes APC mono-partisanes eurent régné sans partage, géré leurs clientèles et mis à la marge des populations entières, les nouvelles assemblées furent créditées de pouvoirs « miraculeux » qui se baseraient sur une « entente cordiale » et qui n’auraient pour souci que le bien collectif. Quelle fut la déception, laquelle dure depuis plus de deux décennies! Mais, il ne faudrait sans doute pas focaliser exclusivement les griefs sur les assemblées locales, elles qui sont à la fois auteurs et victimes des dérèglements de la vie publique locale. En effet, elles font partie d’une chaîne de gouvernance qui n’a rien d’idéal, malgré tous les efforts et les intentions du redressement de la situation. De haut en bas, la pyramide institutionnelle algérienne demeure figée dans sa raideur, dans la fuite des responsabilités, et dans un cloisonnement qui en dit long sur l’obsolescence de ce mode d’organisation. Une organisation trop classique, trop raide, pour qu’elle soit capable d’humaniser ses structures, de les fluidifier et de les mettre à la disposition des citoyens-électeurs-contribuables. Ce sont là trois statuts qui s’appliquent à la même et unique personne, qui constituent le pivot du processus démocratique, mais que l’on a du mal à valoriser et à rentabiliser.
Le nouveau découpage territorial prévu pour certaines régions du pays, le rehaussement des transferts sociaux (dépassant les 20 milliards de dollars), le retour au crédit à la consommation pour les produits nationaux, les codes de la commune et de la wilaya révisés en 2012, et d’autres décisions de nature politique et économique pourront-elles changer quelque chose à cette situation? De nouvelles wilayas sans réelle décentralisation constitueront, sans aucun doute, un nouveau gouffre budgétaire. Des codes, qui maintiennent les élus à la marge de la décision politique, au profit du corps de l’administration, ne contribuent nullement à la promotion de la citoyenneté et de l’amélioration de la gestion locale. Le soutien des prix, en état généralisé et sans ciblage pour les franges nécessiteuses, maintiendra le statu quo des grandes différentiations sociales. Indiscutablement, le processus de transformation des institutions et de la société entamé à la fin des années 80 du siècle dernier et supposé global et agissant en bloc solidaire, n’a pas eu la chance de pénétrer de façon définitive tous les segments de l’Etat et l’ensemble du corps de la société. Car, en fait, la gageure d’une telle ambition de transformation relève moins d’une mécanique institutionnelle que d’une révolution mentale et culturelle censée être menée par les élites éclairées de la société. « La grande révolution dans l’histoire de l’homme, passée, présente ou future, est la révolution de ceux qui sont résolus à être libres », selon les propos du président J. F. Kennedy tenus à Khrouchtchev en pleine guerre froide. Pour que, dans leur ensemble, la pyramide institutionnelle de l’État et tous les maillons du corps de la société puissent accéder à l’intelligibilité de la nouvelle donne en matière de gestion des ressources, des territoires et des institutions, des efforts de pédagogie, d’imagination et d’innovation sont exigés de tous les acteurs. C’est le prix à payer pour la réhabilitation des missions des collectivités locales et de l’esprit de la citoyenneté.
Amar Naït Messaoud