Ikhnach. C’est le nom d’un village dont on peut parler au passé comme au présent. à vrai dire, le village n’est plus ce qu’il était. Ou plutôt où il était. C’est un peu bizarre et pourtant c’est le cas.
Mais n’allez pas imaginer une bourgade à roulettes qui a pris la clé des champs, comme cela pouvait être imaginé dans un thriller de fiction… La contrée subit ce sort par la force de la nature. La terre ne tient plus en place. De grands pans bougent continuellement et glissent vers le bas. Vers la mer. Rien à voir avec les tremblements de terres qui ont dû toucher la région, comme ce fut le cas d’ailleurs de la Kabylie, dans sa globalité à plusieurs reprises depuis le temps… Le phénomène a, dit-on, fait son apparition durant les années soixante. Et ça dure ! Pour certains curieux, le village est en passe de devenir un lieu qui attire, à découvrir… Pour d’autres, les habitants notamment, la contrée est désormais une source d’angoisse, de tension, de peur, mais aussi de révolte envers les autorités qui selon eux auraient tardé à prendre en charge le problème. Mais que peut bien un Etat face à une montagne qui glisse ? Quelque part, tout le monde sait, pour ne pas dire est convaincu, que l’Etat ne pourra rien pour stopper ce phénomène, car il n’est pas question d’une parcelle à conforter avec un mur de soutènement en pierres ou en béton… Ca aurait été trop facile. C’est tout un village qui a l’air de…couler comme la lave d’un volcan. Et les habitants sont entrés comme en jeu avec la nature en fuyant leurs maisons qui cèdent face aux mouvements de la terre pour, à chaque fois, monter d’un cran et reconstruire de nouvelles bâtisses plus haut… Un cache-cache qui ne dit pas son nom mais dont Dame nature s’en sort à chaque fois avec le dernier mot.
Le combat perdu d’avance face à la nature
Ce qui complique davantage l’existence des habitants de ce hameau, visiblement déjà assez tourmentés par l’isolement. Certes, la bourgade est à à peine, une quarantaine de kilomètres, au plus une cinquantaine, du chef-lieu de la wilaya de Tizi-Ouzou, mais il est certainement plus aisé de se rendre à Alger, la capitale qui est à plus de cent kilomètres, qu’à Ikhnach. La route est globalement étroite, sinueuse et fait peur par endroits, notamment si vous passez par Boudjima via Ighil L’tenayen. C’est-à-dire en longeant la crête à droite jusqu’au chef-lieu de la municipalité d’Iflissen dont dépend administrativement le village. Le chemin est quasiment désert. La circulation est très fluide. Même de jour. Mais vous êtes obligés d’y aller à vitesse réduite. La chaussée est pleine de crevasses. Sur les deux côtés, le feu a tout ravagé. Tout est noir de cendres. Les nombreux poulaillers encore debout paraissent comme des rescapés d’un récent violent feu qui a tout consumé sur son passage. La vie semble absente dans le coin. C’est à peine qu’on se rassure quelque peu à la vue de ce chantier, visiblement un centre d’enfouissement au vue de la forme de la carcasse en béton qui sort de terre, à mi chemin avant d’atteindre le centre urbain d’Ilissen. Puis, il faut descendre plus bas pour atteindre Ikhnach. Mais avant, il faudra traverser plusieurs villages : D’abord Iguer Salam, puis Thakhamth Laâlam, Aït Yacine et Ihdadhen… En dévalant la route en cours d de bitumage, Iknach s’annoncera à vous par cet effroyable glissement de terrain qui a touché de plein fouet une grande maison, (R + 1) qui commençait à s’élever du bas-côté de la route. La construction est nouvelle mais son propriétaire a déjà fui les lieux avec sa famille. Il fait partie des derniers qui ont fini tout de même par se résigner à faire leurs bagages pour aller s’installer ailleurs. Cela remonte à quelques huit mois, raconte Rabah, le voisin d’en face, tenancier d’une menuiserie. Le glissement a carrément disloqué la maison en deux. Hallucinant ! Une partie a comme l’air de partir… Comme dans un jeu d’enfants où on soulève une bâtisse entière ! Incroyable mais vrai. Ce n‘est pas un mur qui a lâché ou une poutre, c’est une partie de la maison en entier qui s’en va en bloc… La route est également partiellement touchée. Des voitures passent encore mais les conséquences sont là. Et le moindre effet risque d’accentuer l’affaissement si rien n’est fait dans les meilleurs délais… Selon le maire d’Ifflissen, c’est là une mission de la direction des travaux publics ! En attendant, le glissement a fait un cratère gros comme ça, mettant à nu fondations de maisons, conduites d’eaux… L’urgence est là mais la seule réaction entreprise par les responsables se limite à la pause de barils peints en rouge et blanc pour signaler le danger aux passants… Mais c’est déjà ça.
On en est au troisième « déménagement » forcé…
Sauf que cela ne semble pas rassurer Rabah le moins du monde, lui qui a son atelier et sa demeure à quelques enjambées… En effet, même s’il dit qu’il a appris lui et sa famille à vivre avec la hantise des affaissements qui touchent leur village, mais ces derniers temps, le danger semble s’amplifier. « Ce mouvement de sol n’est pas nouveau. J’ai su qu’il était antérieur à ma naissance et même plus loin encore dans le temps. On raconte que ça bouge dans la région depuis bien avant la guerre, même si les premiers affaissements sérieux ont été enregistrés en 1963. C’est ce qu’on raconte. Depuis, les villageois ont été contraints de déménager à trois reprises. L’avant dernière alerte, c’était en 1994. A chaque fois, on fuyait les maisons en danger pour en construire d’autres sur les hauteurs. Mais avec le temps, les affaissements gagnaient aussi les terres les plus hautes, comme dans un effet de dominos ». Certaines des plus anciennes habitations touchées sont aujourd’hui presque totalement ensevelies sous terre. A quelques endroits, les affaissements ont fait naître de véritables falaises hautes de plusieurs mètres. Ca renseigne sur le degré de l’avilissement qui a touché la surface. Le tableau est étonnant et effrayant. Les habitants réclament désormais carrément la délocalisation de leur village. « Les familles ont grandi ensemble et l’idéal c’est qu’on arrive à nous caser ensemble quelque part. Une solution comme ça n’est pas impossible à trouver je pense ! », s’exclame Rabah. Le maire d’Ifflissen, lui, se réjouit de la solution qui a été retenue lors du dernier conclave qui a réuni des délégués de la localité et le wali de Tizi-Ouzou qui a dû intervenir personnellement : « Il y a une étude qui sera entamée sur place d’ici la fin du mois puis on verra… Maintenant pour les quatre familles touchées dernièrement, elles seront relogées au chef-lieu d’Ifflissen dans des logements que le wali s’est engagé à réquisitionner. Il reste la route à conforter, c’est l’affaire de la direction des travaux publics », commente-t-il. Les habitants qui ont consenti pour leur part à libérer la mairie qu’ils fermaient depuis une semaine, en guise de protestation, ont été sans doute aussi rassurés par les assurances du wali, même s’ils ne cachent pas leurs appréhensions face à l’hiver qui pointe…
D. C