La consommation des terres agricoles à des fins d’urbanisation ou d’installation de projets industriels a atteint des sommets inégalés, au cours des quinze dernières années, dans notre pays. Les commissions de choix de terrain au niveau de la wilaya ou de la daïra sont souvent tentées par la solution de facilité pour l’extension des villes, l’installation de nouveaux équipements publics ou l’investissement industriel. Depuis 1962, quelque 150 000 hectares de terres agricoles ont été détournés de leur vocation initiale pour en faire des espaces de béton. Ce chiffre s’arrête sur les opérations ayant eu lieu sur décision officielle des pouvoirs publics et ne concerne pas les occupations illicites. Dans la nouvelle circulaire du ministère de l’Agriculture et du développement rural, datée du 03 septembre 2014 et par laquelle le gouvernement compte arrêter ce processus de dilapidations dans les terres agricoles, il est signalé que « les bilans établis dans le cadre des opérations de déclassement des terres agricoles révèlent, d’une manière claire, une consommation effrénée et sans précèdent des terres agricoles à des fins d’urbanisation et d’industrialisation ». Ces bilans, que remettent régulièrement les directions des Domaines des wilayas, comportent les déclassements des terres agricoles au profit de projets immobiliers ou industriels, opérés au niveau de chaque wilaya. Au rythme où en vont les choses, « la situation risque inévitablement de porter préjudice aux efforts déployés par les autorités dans le domaine de la sécurité alimentaire durable, notamment au regard de la faiblesse de la surface agricole utile (SAU) qui ne représente que 3,5% de la superficie totale du pays ». Les opérations mises en valeur des terres tendant à augmenter la SAU, les efforts consistant à diversifier la production agricole, principalement en accroissant les superficies irriguées et en soutenant des activités, jusqu’ici peu représentées dans le schéma de la production agricole, sont exposées à cette épée de Damoclès que constitue l’affectation des terres agricoles à des projets immobiliers, d’équipement publics ou d’industrie. L’argument d’assurer la sécurité alimentaire pour 40 millions d’Algériens, qui atteindront dès 2025 le chiffre de 50 millions d’habitants, a été aussi à la base de la circulaire du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, en mai 2013, qui spécifie les cas de « force majeure » dans les opérations de déclassement des terres agricoles. Il y a lieu de noter que la surface agricole utile algérienne était estimée à 8 millions d’hectares en 1962. Ce qui correspondait à un ratio de 0,75 ha/habitant. Le bilan de 1990 établit un net fléchissement de ce ratio; il descendra à 0,3 ha/habitant. La consommation frénétique des terres agricoles à partir de la fin des années 1990 risque de donner un ratio vertigineusement bas. Outre le détournement des terres de leur vocation initiale par des décisions administratives et légales ou par des occupations anarchiques et illicites. Les professionnels de l’agriculture tiennent aussi compte des autres formes de déperdition des terres agricoles: processus d’érosion, aggravé par les déboisements en amont suite aux incendies de forêts, phénomène de désertification, essentiellement dans les Hauts Plateaux, suite au surpâturage et aux incidences des changements climatiques, et enfin, le phénomène de la salinisation des terres. S’agissant de l’affectation administrative des terres agricoles à des projets immobiliers ou industriels, les lois de la République sont claires en matière de protection des terres agricoles (loi d’orientation foncière, loi d’orientation agricole, loi domaniale). Les circulaires sont supposées s’inspirer des lois et, juridiquement, elles sont plus « faibles » que la loi. Le constat de la violation de législation en la matière est manifeste. La circulaire signée par Abdelouhab Nouri signale « des pratiques condamnables de détournement de la vocation agricole des terres », comme elle fait constater « une violation des lois et règlements de la République en recourant par des solutions de facilité et une légèreté sans précédent à la distraction des terres agricoles, souvent parmi les plus fertiles, voire même irriguées ou plantées ». Dorénavant, l’affectation des terres agricoles à des fins d’urbanisation ou d’industrialisation « doit obéir à des règles strictes et ne doit s’opérer, à l’avenir, qu’avec l’aval des services centraux du ministère de l’Agriculture », instruit la circulaire du ministère de l’Agriculture, laquelle est adressée à la Chambre nationale d’agriculture, au directeur général de l’Office national des terres agricoles (ONTA), aux services agricoles et aux conservateurs des forêts pour une « mise en œuvre rigoureuse » de ses dispositions.
Amar Naït Messaoud