«Ne pas aller vite en besogne»

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Samedi et dimanche derniers a eu lieu à la Maison de la Culture de Béjaïa, un symposium organisé par le Haut-Commissariat à l’Amazighité.

Son intitulé était «Inventaire, description et analyse critique des différentes productions lexicographiques amazighes bilingues». Plusieurs spécialistes de la question venus de différentes régions du pays étaient présents. Chacun dans sa spécialité et chacun travaillant dans un secteur d’activité distinct, des enseignants des Universités de Bejaia, de Tizi-Ouzou, d’Alger et de Bouira ont pris part à ce symposium qui a vu aussi la participation d’auteurs, d’inspecteurs de tamazight et de chercheurs venus d’autres villes telles Ghardaïa, Médéa et Batna. Les débats ont tourné autour de la thématique du développement des lexiques et dictionnaires en langue tamazight, et sa traduction en d’autres langues. Les spécificités des langues ont été abordées, et les contraintes liées à la constitution de lexiques ont été soulevées par les communicants, qui ont, tant bien que mal, essayé de simplifier leur langage afin de faire profiter l’assistance de leurs remarques et partager avec elle les résultats de leurs recherches. Les différents intervenants ont fait remarquer que l’établissement d’un lexique ne se résume pas à la création de mots. De plus, Tamazight est riche de ses langues régionales, tels le kabyle, le chaoui, le mozabite, …etc.  Le HCA se veut un catalyseur de tous les efforts qui sont consentis par les chercheurs, pour les aider à produire et à développer cet outil indispensable à la constitution d’une véritable banque de données linguistiques du Tamazight. Ainsi, un dictionnaire Mozabite qui a été créé il y a de cela plus d’une dizaine d’années, n’a pu être publié que grâce à l’intervention du HCA. Il y a aussi des expériences similaires en langue chaouie. Un inspecteur de la langue tamazight venu de Batna, a fait part des difficultés qu’il a rencontrées pour établir les différents lexiques sur lesquels il travaille depuis de longues années. Les difficultés concernent essentiellement les néologismes, ces mots nouveaux créés ou introduits dans la langue berbère. L’expérience a consisté à tester leur utilisation par l’intermédiaire de la radio. Il est demandé à différents animateurs d’utiliser un nouveau mot dans ses émissions, pour voir la réaction du public. Ce qui intéresse les chercheurs c’est de voir comment le public s’approprie ou pas un nouveau mot ou un nouveau concept. Un exemple fut donné par l’utilisation du mot « Timsiskelth », pour désigner la « Révolution ». Après maints essais, les animateurs durent arrêter son utilisation, pour cause de non adhésion du public, qui a refusé consciemment ou pas, de l’intégrer dans son vocabulaire. Par contre, le mot « Thagrawla » a immédiatement été adopté par les auditeurs. Ce mot s’est de lui-même imposé dans le langage populaire, sans artifices. Ainsi, il y a des mots qui s’installent assez naturellement dans le langage et trouvent leur place dans les lexiques, alors que d’autres peinent à se faire accepter. Les communicants ont aussi fait une distinction entre les lexiques du langage courant et celui spécialisé dans les sciences, par exemple. Il a été ainsi recommandé dans ce registre l’emploi de nouveaux mots à chaque fois que nécessaire, sans oublier de faire appel au vocabulaire universel consacré. C’est le cas des technologies où une machine est appelée «Thamachint», une voiture «Tomovil», l’électricité «Triciti», …etc. De même qu’il serait absurde de changer les lexiques universels de la musique. L’Alto est toujours un Alto, le Soprano, un soprano.  Il ne faut pas hésiter à faire des emprunts des autres langues, comme les berbères l’ont toujours fait, à partir du latin, de l’arabe, du turc, de l’espagnol, du français…etc. Un des intervenants a mis en garde l’assistance sur le danger de vouloir trop rapidement uniformiser les lexiques. Il dit que pour le moment, l’urgence est d’encourager la production, afin de constituer le matériau de travail. La richesse ne peut nuire, et la diversité ne peut que contribuer à la richesse. Il est également inutile de consacrer un terme par rapport à un autre. Ce sera leur usage qui les consacrera ou pas. A la remarque d’un participant, relative au retard pris dans le développement de la langue amazigh, un des communicant répond qu’il ne faut pas aller trop vite. Le processus de normalisation de l’usage du tamazight a besoin de temps. L’expérience montre qu’aller plus vite que la musique donne souvent de fausses notes. Le risque d’escamoter le trésor linguistique national existe bel et bien, et il faudrait éviter de forcer les choses. Les problèmes de cohérence entre un lexique et un autre seront traités le moment adéquat. Pour le moment, l’urgence consiste en la préservation du vocabulaire déjà existant, et le développement de nouveaux mots pour répondre aux besoins du développement de la langue.

N. Si Yani

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