L'exception tunisienne?

Partager

Après avoir été, en janvier 2011, le point de départ d'un soulèvement qui allait embraser plusieurs pays arabes sous le nom générique de Printemps arabe, la Tunisie sera-t-elle le premier pays à cueillir les fruits d'un printemps presque partout perverti, dévoyé et utilisé comme la boite de Pandore qui laissa circuler tous les maux hormis l'espoir? Les Tunisiens, et avec eux leurs voisins algériens et les autres peuples épris de liberté et de justice, retiennent leur souffle face au verdict attendu de la consultation électorale, les législatives, prévue pour aujourd'hui.

C’est la première consultation populaire après la révolution de janvier 2011. Elle sera suivie dans quelques semaines, le 23 novembre, par une élection présidentielle. Si la Tunisie s’est résolue à se plier aux règles des élections et à un échéancier de consultations, c’est qu’elle a vécu une longue parenthèse de l’Assemblée constituante, d’une présidence par intérim et d’événements qui n’auguraient rien de bon et qui ont mis le pays sur le fil du rasoir. Entre-temps, le chef du gouvernement a été changé trois fois sous la pression des événements. Ces derniers étaient faits de critiques acerbes venant des partis politiques, d’assassinats de personnalités politiques de premier rang (Choukri Belaïd et Mohamed Brahimi) et de subversions terroristes ayant élu domicile principalement dans la montagne Chaâmbi faisant frontière avec l’Algérie. Des dizaines de soldats tunisiens ont été assassinés par les hordes terroristes; l’esquisse de la réédition de l' »aventure » algérienne des années 1990 était visible aussi bien dans les monts infestés par les radicaux armés que dans certaines villes du sud, à l’image de Kasserine. Sans aucun doute instruits par l’expérience algérienne et conduits par une société civile éclairée, héritage de l’école moderniste de Bourguiba, les Tunisiens ne se sont pas laissé faire. Pendant presque trois ans, ils ont frontalement combattu le terrorisme armé fait face aux ambitions mal placées du parti Ennahdha, qui avait pourtant obtenu la majorité à l’Assemblée constituante, et mis en difficulté un président de la République par intérim, Moncef Merzouki, qui a pourtant su manœuvrer dans un climat houleux pour préserver la Tunisie des grands déchirements qui ont affecté les autres pays victimes du Printemps arabe. C’est sous la pression intelligente de cette société civile et des partis modernistes que l’Assemblée constituante, à majorité Ennahdha, a élaboré et adopté une Constitution qui n’a rien de théocratique. S’il y a bien un actif à capitaliser et à fructifier dans cette nouvelles page qui s’ouvre avec les élections législatives et présidentielle, c’est bien celle-là. À travers la nouvelle Constitution, le pays a réussi, sous un climat de menaces venant de partout, et dans une situation socioéconomique des plus détestables, à bâtir le premier édifice démocratique post-Benali. Il faut souligner que la Tunisie a été desservie par la conjoncture économique et la situation sociale des couches populaires; ce qui a fait craindre aux partisans de la démocratie et de la modernité des dérapages où se ligueraient la misère et la subversion. Apparemment, et malgré tous les accrocs, le pari semble pouvoir être tenu. Reste la hantise du taux de participation au scrutin de ce dimanche. Quelle que soit sa hauteur, ce taux sera réel. Il ne pourra pas être traficoté ou utilisé comme au temps de l’ancienne dictature, comme un trophée au service d’un prince. Après le 23 novembre, à l’issue du scrutin présidentiel, sera-t-on en droit de parler de  l’ « exception tunisienne »?

Amar Naït Messaoud

Partager