Le théâtre amazigh présent, mais…

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Lors du sixième Festival International du Théâtre de Béjaïa, ville amazighe s’il en est, le théâtre dit d’expression amazighe n’a pas eu la part du lion.

Dès le commencement du Festival, le Commissariat a annoncé le désistement de la troupe marocaine qui devait présenter une pièce en tamazight, intitulée « Oussan Semidhnine », ou les jours froids. Il ne restait plus que les troupes algériennes pour assurer un minimum de représentation théâtrale en langue amazighe. C’est ainsi que nous avons eu droit, entre autres, à deux pièces de qualité l’une présentée par la troupe du TRB, intitulée Dinou-Zour, et l’autre, présentée par la coopérative Machahou d’Iferhounene. Les deux pièces ont été jouées et présentées en kabyle, et le public fut très nombreux à les suivre. Djamel Abdelli, lors d’un point de presse, a rapidement évoqué un historique du théâtre amazigh, et a partagé son expérience personnelle avec une quinzaine de pièces montées et présentées un peu partout en Algérie. Abderrahmane Houche, venu d’Iferhounene, sur les montagnes de la wilaya de Tizi-Ouzou, a raconté l’enthousiasme des spectateurs lors de la présentation des différentes pièces qu’il a eu le privilège de présenter au public. Non seulement le public est content, mais il affirme que, juste quelques semaines après leur passage dans les villages et la présentation de leurs spectacles, de nouvelles troupes voient le jour et des spectacles sont montés. Parfois, il envoie les membres de sa propre équipe pour donner un coup de main aux nouvelles troupes ainsi constituées. Les aider à se structurer, leur apprendre les rudiments du métier fait aussi partie des missions que s’est assigné Abderrahmane. A titre d’exemple, à Iferhounene même, il y a environ vingt-cinq troupes de théâtre, et autant à Larbâa Nath Irathene-. C’est dire que le quatrième art prend rapidement de l’ampleur en Kabylie et partout en Algérie, puisqu’ils sont invités à prendre part aux différents festivals organisés çà et là comme à Tizi-Ouzou, Batna et maintenant Béjaïa. Après d’âpres combats pour arriver à présenter une pièce de théâtre en tamazight, le pays accueille avec enthousiasme les productions théâtrales algériennes d’où qu’elles viennent. Le pays s’ouvre petit à petit à l’expression amazighe dans le domaine théâtrale. Cependant, une problématique se pose quant à la définition de ce qu’on peut effectivement appeler « théâtre amazigh ». Faut-il le limiter à l’aspect linguistique ou l’ouvrir à la thématique amazighe ? La question se pose là à notre sens. Il ne suffit pas de jouer une pièce en langue amazighe pour prétendre qu’il existe un théâtre du même nom. Autrement dit, une pièce de Shakespeare, de Samuel Beckett ou de Molière, jouée en tamazight, constituerait-elle un théâtre amazigh ? Et une pièce de Kateb Yacine, ou d’Omar Fatmouche, jouée en italien ou serbo-croate, ne serait-elle pas amazighe pour autant ? L’Amazighitude, pour reprendre l’expression du militant marocain, Omar Louzi, ne consiste-t-elle pas en l’adoption et la transmission du patrimoine amazigh dans toutes ses composantes ? La pièce d’Elsa Hamnane sur Ibn Batuta, ce célèbre voyageur amazigh, ne fait-elle pas partie du théâtre amazigh ? Même si elle a occulté cette dimension dans son expression et sa thématique, elle n’en raconte pas moins la vie et l’œuvre d’un amazigh, un des plus grand voyageurs du moyen-âge, au même titre que l’italien Marco Polo. Mariam Bousselmi, auteure de la pièce « Ce que le dictateur n’a pas dit » et qui avait été jouée par le Luxembourgeois Steve Karier, n’était-elle pas une pièce du théâtre amazigh ? Elle avait elle-même revendiqué son amazighité en public. Doit-on l’exclure du domaine de l’amazighitude, sous prétexte que sa pièce n’était pas d’expression amazighe ? Alors, continuons ce jeu, et excluons « Babor Ghreq » du Chaoui amazigh Slimane Bénaissa, les pièces de Mohamed Fellag, de Benguettaf et de Alloula. Sur notre lancée, imitons ceux qui ont dépouillé Franton, Térence, Apulée, Augustin de leur amazighité et restons chauvins et renfermés sur nous-mêmes. C’est le meilleur moyen d’arriver à étouffer cette expression même que nous prétendons défendre. L’amazigh, à notre sens, ne devrait pas être limité à la seule expression linguistique. Le message berbère en général, sa culture et son identité ses doutes et ses combats, son aspiration et son message ne pourront pas, du moins pour l’instant, être connus dans le monde par l’usage exclusif de la langue amazighe, qui a encore devant elle un long parcours, avant de s’aligner, puis s’imposer comme langue universelle. N’attendons pas ce moment pour faire bénéficier le monde à nouveau de notre expérience dans la réflexion, le combat et les évolutions dans tous les domaines. C’est comme ça que Térence a fait rire la Grèce, qu’Apulée a fait lire les romains et que Saint Augustin a fait réfléchir l’Occident.

N. SI YANI

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