Samedi dernier fut projeté à la cinémathèque de Béjaïa le dernier film de Mohamed Chouikh, l’Andalou. C’est l’association Project’heurts qui en a pris l’initiative, en invitant la productrice Yamina Chouikh et la magnifique actrice Bahia Rachedi à animer un débat après la projection.
Le film relate l’histoire des Andalous chassés d’Espagne après la reconquête de Grenade par Ferdinand et Isabelle, les catholiques. Les musulmans et les juifs étaient priés de choisir entre la conversion au Catholicisme ou le départ vers les pays d’Afrique du Nord. Le film est basé sur des faits historiques. Le départ des juifs et des musulmans d’Espagne a bien eu lieu en 1492. Quelques années plus tard, ce fut l’arrivée des turcs sur les côtes africaines, à commencer par les invasions des frères Barberousse. Salim, l’acteur principal du film, montre bien la complexité de la situation. Ni les espagnols chrétiens, ni les turcs musulmans ne voulaient du bien aux autochtones. Chacun cherchait à s’emparer des richesses du pays, en y commettant toutes sortes d’atrocités. Comme toujours, c’est le peuple qui en paie le prix. Oui, mais voilà : en dehors du fait que le film était une fiction, sans prétention à la vérité historique absolue, il est passé à côté des choses essentielles. Le départ des dizaines de milliers de personnes vers l’Afrique du Nord fut un drame absolu. Les gens étaient partis presque sans rien. Il ne leur avait pas été permis de prendre leurs biens avec eux, si bien, qu’en arrivant sur les côtes africaines, ils se sont retrouvés dans le dénuement le plus absolu. Cette dimension ne transparaît pas du tout dans le film. 1492 fut également l’année de la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, ouvrant ainsi l’espoir d’une vie meilleure. Aucune allusion à cet événement, qui aurait pu aider le spectateur à se situer dans la chronologie de l’histoire universelle. De même, après avoir tué Salim Ettoumi, roi d’Alger, Aroudj avait voulu prendre sa femme qui, disait-on, était très belle. Celle-ci, du nom de Zéphira, avait préféré se suicider plutôt que de se donner à ce bourreau qui venait de la priver de son mari. Ça aurait constitué un merveilleux moment d’émotion dans ce film, lequel en a tant manqué. Et puisque Aroudj, en arrière-plan, et sans jamais le voir, avait joué un si grand rôle dans le film, pourquoi les réalisateurs avaient omis la partie de l’histoire où ce dernier avait perdu son bras, lors d’une bataille à Bougie ? Il était par la suite parti conquérir Tlemcen, en y tuant son roi. En essayant de condenser, en deux heures, une histoire qui s’était étalée sur cinquante ans, le réalisateur est passé à côté des événements historiques les plus importants. Toutefois, il est vrai que les producteurs du film ont fait montre de beaucoup de courage, en prenant le risque d’aborder cette partie de notre histoire. Le contexte politique actuel ne permet pas vraiment une liberté de ton, et empêche, avec le peu de moyens qu’il met à la disposition des producteurs, d’aller au fonds des idées. Les aides cumulées de l’Etat n’ont pas atteint les quarante-cinq millions de dinars, pour une œuvre qui en aurait eu besoin du triple au moins. Notre critique ne s’arrête pas là. L’histoire réelle et celle du film également se sont déroulées en pays Amazighs, entre le Maroc (Fès, entre autres), Oran, Tlemcen, Mostaganem, Ténès, Alger, … Pourtant, le film a fait fi de toute dimension amazighe. Aucun objet, aucun mot, aucune allusion à l’amazighité n’apparaît dans le film. De plus, il est entièrement joué en arabe classique et en espagnol. Lors du débat, Yamina Chouikh s’était emportée face aux multiples questions relatives au choix de la langue arabe classique, au détriment des langues autochtones, berbères ou arabe algérien et marocain. Le choix de la langue a alourdit les dialogues et beaucoup de spectateurs ont affirmé qu’ils n’étaient pas arrivés à comprendre le film. Pourquoi avoir méprisé la dimension berbère dans ce film, et quelle était la raison du choix de l’arabe classique ? Est-ce pour mieux le présenter dans les pays arabes ? Alors, pourquoi les égyptiens ne font pas cet effort, et continuent à jouer dans la langue égyptienne ? Mohamed Chouikh nous a habitués à une autre qualité de films, son souci étant de faire passer le message, et de permettre au spectateur de suivre ses films en sautant la barrière linguistique du Parti Unique de l’époque. Cette reculade a porté un sérieux coup au film, dont la thématique aurait mérité un meilleur traitement. Ceci dit, cela n’enlève rien au courage des producteurs qui se sont aventurés sur un terrain encore très sensible. Le public a bien signalé que le film n’a pas été compris. Sa trame n’était pas transparente et son fil difficile à suivre, tant le changement de plans était trop rapide et la diversité des personnages trop importante. Ce qui a fait dire à plusieurs spectateurs, restés pour le débat, que le film est à refaire. Signalons aussi quelques anachronismes dans le film, tel que la présence du violon, qui n’existait pas encore, ou l’utilisation de livres dans une forme moderne, avec du papier bien blanc, ce qui n’existait pas encore, non plus. Ce n’est pas demain que le cinéma nous aidera à mieux connaître notre histoire. Terminons par ce que Yamina Chouikh avait signalé dès le début, à savoir la qualité de la projection. La beauté des images n’avait pas pu être reproduite sur l’écran de la cinémathèque de Béjaia, qui doit utiliser un matériel vieilli et obsolète.
N. Siyani

