Baisser de rideau aujourd’hui

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Dans une société matérialiste, dominée par des préoccupations strictement matérielles, lire est devenu un luxe que seule une élite peut se permettre.

C’est pour cette élite que s’éditent, chaque année, des centaines, voire des milliers, d’ouvrages scientifiques ou économiques, de romans, de journaux, de magazines, de brochures et autres dépliants, que rivalisent entre elles les maisons d’édition pour s’attirer leurs faveurs. Pour rompre avec ces habitudes et ces pratiques élitistes, le ministère de la Culture a initié le festival ‘’Lire en fête’’, qui prend fin aujourd’hui, 15 novembre. A travers des activités culturelles à l’échelle nationale, c’est à une sorte de réhabilitation et à une démocratisation de l’acte de lire que nous assistons. Un bibliobus circule dans les rues des villes et des villages de toutes les communes, alors, qu’au niveau de la maison de la culture Zaamoum Ali, se tiennent, chaque jour, des séances de travail animées par des pédagogues. Divers ateliers sont appelés à la rescousse pour la réussite de ces festivités, au cœur desquelles devrait se tenir en principe le livre. Ainsi, le dessin et le théâtre ont trouvé tout naturellement leur place respective dans ces manifestations culturelles à grande échelle. Mais, déjà trois remarques s’imposent pour la wilaya de Bouira. La première, d’ordre syntaxique, a trait à la construction vicieuse du slogan : lire est un verbe. Il ne peut donc s’accommoder d’un état comme un sujet. Et il est hors de question de le substantiver. On ne peut donc dire Lire en fête ; on dit le boire, le manger. On ne dit pas le lire, l’écrire. La première fois que l’ancien directeur de la culture parlait de ce Festival, qui en est à sa quatrième édition aujourd’hui, nous avons cru entendre lire en fait. On a le cœur en fête en lisant. On ne lit pas dans (en) une fête, car on ne lit pas en dansant, on ne lit pas en chantant. C’est anti-pédagogique. La deuxième remarque est la suivante et celle-là est d’ordre pédagogique : lire suppose des activités de lecture. De même qu’on a organisé un concours de dessin, on aurait, avec un peu plus d’imagination, penser à un concours de diction. La personne ou l’élève qui saurait lire une page d’un auteur classique (Corneille, Racine ou Molière, ou encore Gide ou Flaubert) d’une voix magistrale serait distingué et récompensé. Un deuxième concours pourrait porter sur la meilleure production : dissertation sur un sujet donné compte rendu d’une œuvre littéraire, lettre à un ami, un poème, etc. C’est ainsi qu’on peut encourager la lecture chez tous, laquelle reste un problème malgré les moyens offerts, laquelle devrait déboucher sur l’expression libre. La troisième remarque est d’ordre organisationnel. Pourquoi ne pas avoir inviter les bibliothèques communales, étant coiffées par la direction culturelle, mais faire obligation à ces dernières de venir grossir, de leurs apports, l’exposition de livres organisée à la Maison de la culture, où se déroulent les activités développées dans le cadre de ce Festival. Cette omission est d’autant plus étonnante et d’autant plus contradictoire que la bibliothèque municipale de Bouira reste fermée depuis des années. Transformée en bureaux pour abriter certains services de l’APC, elle n’active plus, conservant ses quelques deux mille cents ouvrages dans des cartons ! Les deux seuls exposants sont venus de Jijel et de Batna, et l’essentiel de leur exposition se compose de manuels scolaires et universitaires! Ajoutons, pour finir, non pas pour accabler, mais pour suggérer, et pour aider à cette initiative de démocratisation et de réhabilitation de l’activité livresque en perte de vitesse, que la lecture est un acte trop sérieux pour être assimilée à un divertissement, à une réjouissance qui satisfait les sens sans contenter l’esprit. Elle est un effort prolongé elle est une attention soutenue, en ce sens qu’elle met en jeu des facultés cognitives, comme la mémoire et l’intelligence pour décrypter, assimiler, comparer, analyser, comprendre. Démarrer ce Festival par de la musique et des chansons, c’est prendre grossièrement à la lettre ce slogan dont nous avons souligné plus haut l’impropriété c’est compromettre cette campagne culturelle en détruisant le climat propice à toute activité de lecture. On ne chante pas, on ne danse pas en lisant. On ne lit même pas à haute voix. La lecture, la seule, la vraie, celle qui est tout profit pour notre intellect, est la lecture silencieuse. Et cette lecture, qui est une activité silencieuse, ne saurait coexister avec une autre, si surtout celle-ci est bruyante. C’est le drame de nos écoles d’avoir fait entrer la rue et les métiers dans les classes.

Aziz Bey

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