23 nationalités coexistent à l’université

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Notre reporter a saisi l’occasion pour enquêter à l’université de Bgayet, qui regroupe des étudiants de 23 nationalités sur la qualité de la coexistence de tout ce beau monde.Ce qui saute aux yeux, au premier abord, au sein de la communauté universitaire bougiote, campus et résidences confondus, ce n’est pas tant le cosmopolitisme qui y règne, après tout c’est la vocation première d’une université d’accueillir un échantillonnage très large d’étudiants de toutes conditions, de toute nationalité, de toutes couleurs… C’est plutôt le cloisonnement, le communautarisme à fleur de peau qui fait que les rapports humains sont tronqués, biaisés. Le mélange inter-communautaire est rare. C’est un peu comme si les humains travaillent, se côtoient à longueur de journée sans échanger, ni se parler. Ils se contentent de se croiser, de s’éviter et de s’ignorer. A l’ère du village planétaire, où la communication est sublimée, ce “babélisme” primitif d’un autre âge dérange plus qu’il n’étonne. Les rapports au sein de l’université Abderrahmane-Mira qui regroupe 23 nationalités, entre les différentes entités ethniques sont réduits à leur plus simple expression.Après les cours, chacun rejoint dans un élan grégaire son clan où il se sent en sécurité. L’existence individuelle s’estompe alors face à l’esprit du clan. Peu d’échanges, inexistence de passerelles, absence de volonté d’aller à la rencontre de l’autre. Tout le monde, ou presque, en a conscience, sans que cela ne dépasse pourtant le stade de constats basiques.“Chacun reste à sa place et les vaches…”. Ce qui, immanquablement entraîne dérives, quiproquos et incompréhension.S’agit-il d’une discrimination primaire, exacerbée par des conditions de vie difficiles et l’exil ou de prénotions dues essentiellement à l’ignorance de l’autre, de sa culture, de sa façon d’être et de se comporter ? Nous avons tenté de dénouer l’écheveau, le nœud gardien des relations intercommunautaires au sein du principal centre du savoir de Bgayet qui offre l’immense avantage d’accueillir une mosaïque de peuples.Dison le tout de go, nous avons flirté avec un kaléidoscope fait d’incompréhension, de méconnaissance de l’autre et de rendez-vous ratés, car toujours ajournés. Mais à aucun moment nous n’avons eu à rencontrer l’intolérance et son visage bête et hideux. Les tentatives d’arrondir les angles ont été le fait de toutes les parties et plutôt que d’enfourcher le cheval des grandes causes, de se livrer à des extrapolations douteuses et approximatives, les personnes que nous avons rencontrés ont d’abord cherché à ramener le problème à sa juste dimension.Pour Marouna (appelons-le ainsi puisqu’il requit l’anonymat), Nigérien de nationalité, il faut relativiser les choses et parler tout au plus de tracasseries, de taquineries. “Il ne s’agit nullement de racisme pur, dur, bête et méchant, celui qui induit des rapports sous-tendus par la violence où l’homme de couleur est menacé dans son intégrité physique au quotidien. A Bougie, cela ne dépasse pas le stade de la taquinerie de gamins, de chahuts d’adolescents du genre rires moqueurs, interpellations sarcastiques. Cela se passe généralement hors du campus, dans les bus par exemple, les receveurs qui ne comprennent ni le français ni encore moins le “Haoussa” réagissent par l’absurde en tenant des propos que l’on devine moqueurs”. Pour Moukhtar qui nous vient de Guinée : “La discrimination, si discrimination il y a, n’est pas visible. Ce qui est choquant par contre, c’est les raccourcis qu’empruntent certains de nos frères et sœurs algériens pour décréter, après quelques questions chargées d’insinuations, que l’“Algérian way of life” est supérieur à notre manière de vivre. C’est cette allusion claire à une supériorité qui reste à prouver, qui me dérange”. Toujours cette propension à relativiser un mal qui, vu de l’autre côté, vers le Sahel, la Savane ou la forêt tropicale prend des proportions autrement plus graves. L’image de l’Arabie raciste, esclavagiste largement rabâchée par un Occident en mal de contrition par rapport à l’épisode honteux et inhumain de la traite, a fini par prendre. Relayé par certains pays musulmans et par des expériences souvent douloureuses vécues par les pays du Maghreb, le cliché de l’Arabe est reproduit et amplifié à travers un prisme déformant. A titre d’exemple, le policier qui reconduit le clandestin à la frontière n’est perçu que comme un raciste zélé et invétéré. Cela dit, ces considérations ne doivent d’aucune manière absoudre l’exclusion de l’autre qui souvent éprouve tout le mal du monde à expliquer et à faire sa différence.L’étudiant africain du Sud du Sahara s’il n’en a pas une idée toute faite, un a priori sur son pays d’accueil, garde néanmoins en réserve tout ce qu’il a pu apprendre sur le Maghreb. Sur place, il prend conscience de l’exagération des propos entendus chez lui. Marouna avoue “avoir été aidé par beaucoup de gens ici lors de sa première année à Bougie”. Et d’avancer comme explication : «C’est peut-être parce qu’on a un statut de privilégié. Le fait d’être étudiant nous épargne sûrement les ennuis auxquels ont fait face nos frères aventuriers». Quant à Seydou, un pur Banakoi, il ajoute à l’intention de ceux qui sont devenus amnésiques que «si au cours des siècles, le Sahara a été le passage obligé d’hommes avides de connaissances, aujourd’hui il constitue plus une barrière qui laisse passer peut-être les hommes, mais pas les idées et les cultures». Et de rappeler le passé glorieux de Tombouctou. Le clan d’en face, plus important, a longtemps hésité avant de livrer ses pensées profondes. Loin de faire dans la réfutation systématique, les autochtones avouent assumer leur différence tout en acceptant mal celles des autres. Certains poussent le bouchon plus loin et parlent d’intégration. Celle des autres bien sûr ! Pour un peu, on se croirait en France où le slogan à la mode se décline en terme d’intégration. Voilà un vocable qui nous rappelle la tristement célèbre assimilation imposée à nos a aïeux, chez eux par des intrus. Cela participe de la même logique, du même rapport de force ! Passons, car ils ne sont qu’une poignée à s’être appropriés ce concept. Pour beaucoup en effet, les torts sont partagés. Si les deux communautés se tournent le dos, c’est perce qu’il n’y a pas de volonté manifestée de rapprochement. Chacun s’employant à gérer sa petite vie, ses problèmes existentiels, matériels et ses frustrations.Saïd abonde dans ce sens. «Nous n’avons rien contre les Africains du Sud du Sahara. La preuve, à Bougie, mis à part quelques échanges verbaux, parfois durs, la cohabitation se passe plutôt bien. Ailleurs, il nous a été signalé à maintes reprise des rixes d’une certaine gravité. Ici même si on ne se fréquente pas trop, c’est l’entente cordiale». Ce dernier mot sonne faux. Saïd s’en aperçoit et rectifie vite : «enfin presque !».Farid; lui nie l’exclusion et parle plutôt d’«auto-exclusion» : «Ils ne font rien pour se rapprocher de nous. Savez-vous par exemple que la communauté interdit aux filles de fréquenter les jeunes Algériens. Un système de coercition avec punition, amende et mise à l’écart existe. Toute contrevenante surprise avec un national s’expose à la rigueur de ce code», révèle-t-il. Ce système répressif existe. C’est un fait avéré qui fonctionne aussi dans la communauté d’en face, avec peut-être moins de rigueur. Toujours est-il qu’il n’y a pratiquement pas de couples mixtes au sein de l’entité universitaire de Bgayet.A entendre les uns et les autres, il n’y a pas de gros problèmes de discrimination à Bgayet. Juste des désagréments et le sentiment bien ancré d’être à l’étranger, presque en pays hostile pour les uns. Et quelques reproches larvés, beaucoup de non-dits et une vague impression d’être mieux loti que l’autre pour les nationaux.En fait, personne ne sait où sait où commence le racisme, la ségrégation. Ce n’est certes pas chez nous, le Ku Klux Klan ou l’apartheid, mais la différence entre l’acte de tourner en bourrique un être différent, et l’atteinte à sa dignité intégrité physique est si tenue que l’on peut passer aisément de l’un à l’autre. Cela commence par le détail des différences, puis l’énoncé d’une prétendue supériorité pour arriver au refus, à l’exclusion de l’autre. L’apartheid existe au fond de chacun d’entre nous, tapi dans nos mémoires collectives et prêt à jaillir au moindre prétexte. Le mal et ses forces transcendent culture et religion, apparence physique et couleur. Ne pensez surtout pas que la discrimination c’est toujours l’antagonisme classique blanc-noir. Les «Machudos», esclave chez les Peuls, et ceux que l’on appelle en Afrique de l’Ouest les «Bellas» sont la preuve vivante de l’exclusion, du rejet, de la discrimination inter-raciale !

Mustapha R.

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