Qui écrit et qui lit ?

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«Dans un livre, même s’il s’agit d’une œuvre de fiction, a-t-on le droit de se contenter d’approximations ? De faire fi de travaux d’une documentation, même rudimentaire ? De ne pas prendre la peine de se relire soi-même ? De ne pas se faire lire et éventuellement corriger par d’autres yeux moins aveugles car moins subjectifs ? Peut-on s’autoriser à publier des livres à la va-vite pour marquer le coup, comme on dit ? (…) Ont-ils (les auteurs) les moyens intellectuels de le faire ? Ont-ils suffisamment lu pour pouvoir eux-mêmes prétendre à se faire lire?» s’interrogeait M. Amer Mezdad, dans un entretien accordé à Dahbia Abrous, publié dans La Dépêche de Kabylie. Ces interrogations-constats reflètent, hélas, une réalité dans l’univers de la création littéraire amazighe dont une bonne partie continue à s’accommoder de la médiocrité. La première responsabilité comme le laissait entendre Amar Mezad, incombe à l’auteur lui-même. Pour beaucoup de jeunes auteurs, «avoir son livre» est le bout de la fin. Les brèches de liberté le laxisme et la complaisance de la critique aidant, l’auteur n’a qu’à mettre les mains à la poche pour imprimer son nom, pour la pérennité sur la page de garde et le 4ème de couverture. Pour ce faire, les éditeurs-épiciers lui ouvrent grand les bras. À défaut d’éditeurs complaisants, le futur auteur sollicite directement les services d’un imprimeur. Du coup, on retrouve sur le marché des œuvres (il est même arrivé d’en trouver entre deux étals de fruits et légumes) insultant le génie de Amar Mezdad et les prétentions de feu Mammeri. Deux exemples, puisés dans une bibliographie débridée, pour illustrer ce massacre. Un grand auteur du patrimoine universel a été traduit au kabyle, il se trouve que le traducteur, dont on taira le nom, ne maîtrise que la langue et la culture d’arrivée. Comment alors réussir une traduction aboutie, alors que l’on ne connaît pas la langue de départ et, encore moins, sa culture ? Ce handicap n’empêchera pas la traduction de voir le jour et même de connaître une réclame positive. Un autre auteur, dont on taira aussi le nom, s’embrouillera dans son récit linéaire jusqu’à ressusciter un de ses personnages tué dans les premières pages de son œuvre. «Un chanteur peut corriger une fausse note au prochain gala, mais une ligne imprimée le restera pour toujours », disait Amar Mezdad. Ces attitudes sont, bien évidemment inconcevables, du moins à ce degré de médiocrité s’agissant de la création littéraire dans d’autres langues. L’éditeur et le «critique» sont contraints par la «notoriété» du français et de l’arabe d’y veiller. Cela étant dit, de temps à autre, de belles œuvres échappent à «avoir son livre coûte que coûte» est interpellent un lectorat charmé et fier d’opposer à la mauvaise foi qualifiant le kabyle de « langue vernaculaire», une langue splendide qui n’est ni pire ni meilleure que ses consœurs. Hélas, ces belles œuvres échappent à beaucoup de lecteurs. Elles échappent aussi à quelques universitaires, comme ce conférencier qui affirmait, lors du colloque international organisé à l’université de Bouira, que le roman amazigh n’existe pas (sic !). L’intervenant confirme et signe, en soulignant que les personnages d’Amar Mezdad sont des personnages mythiques. Preuve que le conférencier a lu du Amer Mezdad ! Fermons la parenthèse inculte et voyons si le lectorat existe ?

On s’accorde à dire que le lectorat fait défaut, ce qui, d’ailleurs, n’est pas spécifique à tamazight, la littérature d’expression française et arabe connaît le même problème. En somme, l’algérien ne lit pas ou pas suffisamment. Ceci bien évidemment et en l’absence d’étude sur la question, reste une généralité. À l’état brut, si l’on conçoit que l’alphabétisé est un lecteur potentiel, le lectorat existerait en nombre très important, si l’on se refait au chiffre avancé par le HCA. En effet, cette institution avance le chiffre de près de 240.000 apprenants pour l’année 2012/2013. Alors qu’en 94, la première année de l’enseignement de tamazight, ils étaient 35 000 à apprendre tamazight. Le nombre allant crescendo, on peut donc aisément déduire que 20 ans après l’avènement de l’enseignement de tamazight, le nombre de personnes qui sait, du moins, lire tamazight à considérablement évolué. Théoriquement, le lectorat est là.

L’enseignement de tamazight a-t-il donc formé un lectorat ?

La question devrait être posée aux universitaires spécialistes. Mais connaissant l’inertie en terme pédagogique qui paralyse l’enseignement d’une manière générale, on est tenté d’affirmer que l’école de la systématisation ne procure pas le plaisir et, donc, ne peut former un lectorat. Déjà il faut rappeler que tamazight a été introduite à l’école dans la précipitation. Pas de formateurs (en terme de qualifications pédagogiques), pas de programme, pas de manuels, le statut de l’enseignement flou… Depuis, les choses ont évolué en matière de formation de formateurs, de programme, de manuels… Sauf que, la lourdeur et la technicité caractérisent l’enseignement de tamazight. L’élève est assommé de grammaires et autres connaissances savantes. Ce qui le place, d’emblée, dans une posture d’extériorité comme s’il avait à faire à une langue étrangère. Cela étant dit, l’expérience menée par un groupe d’enseignants de tamazight, drivé par Docteur Ait Ouali Nacer, a positivement cassé la lourdeur de l’enseignement classique sacralisant l’enseignant et son inspecteur pour mettre au centre de la démarche l’élève. Ce dernier est impliqué dans un montage de projet dont il est acteur vedette. Résultat : l’émotionnel et le plaisir sont au rendez-vous de l’apprentissage implicite. Et c’est lorsque l’enseignement de tamazight intègre, et d’une manière fondamentale l’élève et sa dimension socioculturelle, que le lecteur est formé car c’est l’émotionnel et le plaisir qui le forge.

S. O. A.

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