Le Café littéraire de Béjaïa a organisé samedi dernier, une nouvelle conférence au Théâtre Régional de la ville, avec Aomar Ait Aïder, à l’occasion de la sortie de son dernier livre aux éditions Koukou. L’auteur est enseignant de physique à l’Université de Tizi-Ouzou depuis plus de trente ans. Il relate, à partir de son vécu professionnel, l’état de soumission des élites universitaires de Tizi-Ouzou d’abord, ancienne pépinière intellectuelle du pays, puis des enseignants de toutes les universités algériennes. L’ouvrage présenté au public reprend l’historique du contrôle des élites algériennes depuis la Révolution. Il insiste sur le fait que les dirigeants de la Révolution algérienne ont très tôt pris conscience du danger que pouvaient représenter les intellectuels pour ceux, des responsables, qui ne jouissaient pas d’un niveau scolaire conséquent. C’est pourquoi, l’UGEMA (Union Générale des Etudiants Musulmans Algériens) a très tôt été noyautée puis contrôlée par le FLN. A l’indépendance, elle a été remplacée par l’UNEA (Union Nationale des Etudiants Algériens) qui a contribué à porter Ben Bella au pouvoir. Belaïd Abdesslam fut chargé de prendre la tête de ces mouvements, avant d’avoir confié l’école à Ahmed Taleb El Ibrahimi pour imposer le caractère arabe et musulman de l’école algérienne. Ould Khalifa, l’actuel président de l’APN, lui a emboité le pas. Le public, venu fort nombreux (près de trois cents personnes), s’est tout de suite reconnu dans le discours de l’auteur. Plusieurs enseignants de l’Université Abderrahmane Mira de Béjaïa ont confirmé les dires du conférencier, à savoir que la même situation est vécue par toutes les universités algériennes. Une des enseignantes, professeure de littérature, a dénoncé le climat de terreur qui sévit à l’université empêchant les enseignants de s’exprimer, sous la menace « des services secrets » qui seraient là pour réprimer toute velléité de liberté d’expression, y compris en classe. D’autres enseignants ont raconté comment les agents de sécurité de l’Université étaient chargés de couper le courant électrique dans les amphis, afin d’empêcher le bon déroulement des assemblées organisées soit par les enseignants ou par les étudiants. L’assistance, en général, a été complétement en phase avec l’écrivain. La conférence s’est terminée par une séance de signature du livre par son auteur, ce qui a ravi le public qui a été nombreux à l’acquérir. Toujours est-il que les élites en question se cachent parfois derrière cette situation. Dans un aparté avec l’auteur, nous avons posé la question relative à l’absence quasi-totale de publications scientifiques en Algérie. Cet espace est censé être le lieu privilégié d’expression des chercheurs, enseignants et hommes de sciences. L’OPU, qui est en charge des publications universitaires, ne semble pas encourager suffisamment la mise sur le marché des produits intellectuels issus du milieu universitaire algérien. Aomar Ait Aïder nous a déclaré que « les meilleurs universitaires sont obligés de s’adresser à des organismes étrangers pour publier leurs travaux et faire connaître les résultats de leurs recherches ». Aujourd’hui, alors que la recherche est orientée vers l’appât du gain et de l’argent facile, est-il encore possible d’espérer un redressement de la barre ? Il dépend aussi des pouvoirs publics d’initier des programmes à même de libérer l’expression culturelle, scientifique et politique de nos élites. Sinon, ce serait à ces dernières seules d’assumer leur responsabilité devant l’histoire.
N. Si Yani