«Le relief de la wilaya complique l'opération»

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Le cadastre est à la fois un domaine simple et complexe. Bien des voix se sont élevées pour parfois diaboliser cette opération qui a épisodiquement mis à nu bien des situations alambiquées dans ces histoires de propriétés sur lesquelles des parties s’entredéchirent sans concessions.

Le directeur de wilaya de Tizi-Ouzou, du secteur, en parle ouvertement et fait le point sur l’avancement de l’opération dans la région.

La Dépêche de Kabylie : M. Hamdaoui, on entend dire beaucoup de choses sur les tracasseries des terres non encore cadastrées, notamment en Kabylie. Pour le commun des citoyens, le sujet reste sans doute à découvrir. Il s’agit de quoi exactement? 

C’est quoi le cadastre?

M. Hamdaoui Ahmed: Si je dois résumer le cadastre en deux mots, je dirai que c’est l’état civil de la propriété. Pour mieux comprendre les choses, il faut savoir que dans le passé lointain, en Algérie, les terres étaient régies par un régime foncier turc. Au débarquement des Français, ces derniers se sont jetés sur les meilleures terres du nord du pays, les grandes étendues agricoles fertiles. Et ils ont tenté de squatter ces terres de manière méthodique pour camoufler leur invasion vis-à-vis du monde qui observait les événements. C’est ainsi qu’ils ont initié plusieurs procédures foncières pour légaliser leur prise sur les terres rentables qui deviendront par la suite les terres des colons. La première, c’était ce qu’on appelle le Sénatus-consulte qui a vu d’abord la répartition des grandes étendues du nord du pays, comme je le disais précédemment. Puis, ils sont allés plus dans le détail de la propriété surtout du privé en lançant des enquêtes partielles. Après quoi, l’administration française a commencé à établir des titres de propriétés en multipliant les séquestres contre les Algériens puis les installations des nouveaux colons. C’est vous dire un peu la situation dont a hérité l’administration algérienne au lendemain de l’indépendance. Le cadastre est donc récent chez nous. Le premier texte portant établissement du cadastre général et institution du livre foncier date du 12 novembre 1975. Le texte d’application de la loi qui consiste en deux décrets a été promulgué le 25 mars 1976. Le premier a le n°76/62 et porte sur l’établissement du cadastre général et le second, le n°76/63, et porte sur l’institution du livre foncier qui englobe le fichier immobilier détenu par la conservation foncière. Cela dit, le cadastre est venu à point nommé pour mettre fin à la cacophonie et autres intrigues qui pouvaient miner les biens immobiliers des personnes.

C’est à dire? 

Ce qu’il faut surtout retenir, c’est qu’auparavant, la réglementation se basait sur un système personnel défaillant qui a montré ses limites. Maintenant, la publicité foncière est rattachée au bien. Le cadastre identifie et définit les biens de manière unique et précise. Chaque parcelle est identifiée par trois références, à savoir le numéro de la commune, le numéro de la section et le numéro du lot de la propriété.

Quelle est la relation qui existe entre le cadastre et la conservation foncière?

Le cadastre a une mission plus sur le terrain, pour faire des constats et établir des situations premières et de mise à jour, la conservation est, elle, plus dans l’administration elle-même, les archives… Donc c’est une relation, je dirai, complémentaire.

Le cadastre a surtout été montré du doigt à la mise en place de la formule d’aide à l’auto-construction initiée par l’Etat au bénéfice de certaines classes démunies qui ne pouvaient compléter leurs dossiers face à l’absence d’identification des terres justement…

ça pouvait constituer effectivement une contrainte pendant un certain temps, mais ce n’est plus le cas depuis plusieurs années maintenant avec l’institution du certificat de possession. Le cadastre ne peut désormais handicaper une quelconque demande à l’habitat rural. Car pour les espaces ou les propriétés cadastrées, le problème ne se pose pas, le livret foncier étant en effet un titre de pleine propriété. Maintenant pour les régions non encore cadastrées, il y a à défaut du livre foncier les actes de propriété à faire valoir éventuellement pour les terres titrées. Pour les non-titrées, il y a donc ce recours au certificat de possession qui est comme je le disais avant un procédé qui est admis dans la procédure et permet ainsi au postulant de faire valoir sa candidature à cette formule d’aide. Je dirai encore mieux, le cadastre ne peut aucunement gêner un prétendant à l’habitat rural puisque depuis la loi de finance complémentaire 2011, à travers son article 21, l’APC est libre de délivrer des certificats de possession même si l’opération cadastre est en cours dans la municipalité. L’arrêt de délivrance du document concerne uniquement la section où le cadastre est en cours. Pour le reste, des sections de la municipalité la mairie est libre de délivrer les certificats en question pour justement ne pas pénaliser le citoyen qui aura besoin de justifier sa propriété. Et il peut faire valoir le document dans diverses démarches, en dehors bien entendu de la vente.

Et où en êtes-vous dans cette opération cadastre dans la wilaya de Tizi-Ouzou?

Avant d’arriver aux chiffres, je dois expliquer que dans l’opération cadastre, on procède par communes. Et dans chaque commune il y a la zone rurale et la zone urbaine. Alors, en ce qui concerne la zone rurale, l’opération a été menée à terme pour notamment les municipalités de Ouaguenoun, Draâ Ben Khedda, Aïn Zaouïa, Mekla, Tizi-Rached, Tizi-Ouzou, Irdjen, Fréha, Tizi-Ghenif, Boghni, Tadmaït, Souamaâ, Makouda, Frikat, Timizart, Ouadhias, Tizi N’Tlata, Mechtras et Aït Aïssa Mimoun. Pour les zones urbaines où le travail est également finalisé je citerai Tizi-Ouzou, Azazga, Ouadhias en partie, Draâ El-Mizan, Tadmaït en partie, tout comme Mechtras et Draâ Ben Khedda. En tout, c’est à peu près 26 à 30% des communes de la wilaya qui sont pour le moment cadastrées. L’opération n’avance pas à un grand rythme, il est vrai, mais nos équipes font de leur mieux pour améliorer ces chiffres. Actuellement, on est d’ailleurs sur le point de finaliser les communes d’Azazga, Tirmitine, Sidi Naâmane et Yakouren dans leurs parties rurales.

Vous vous-êtes fixé une échéance pour mener à terme cette opération?

Il y a effectivement un plan d’opération national dont le programme est établi spécifiquement pour chaque wilaya. Car le plan qui serait le mieux adapté pour telle commune ne serait pas forcément le mieux indiqué pour une autre commune au vu des caractéristiques géographiques qui diffèrent d’une région à une autre. Il y a le relief montagneux et accidenté qui ne facilite pas la tâche. C’est pour cela d’ailleurs qu’on retrouve l’opération différemment avancée d’une wilaya à une autre. Il y a aussi le facteur humain, je veux dire le personnel qualifié qui est pratiquement inexistant sur le marché du travail. Et à Tizi-Ouzou, on souffre cruellement de ce manque. Un autre détail non négligeable fait aussi que l’opération prend du temps à Tizi-Ouzou plus qu’ailleurs, à savoir la nature parcellaire des terres qui sont des micropropriétés. De plus, la wilaya de Tizi-Ouzou se distingue en étant celle qui compte le plus de communes, 67 en tout, devant Média qui en compte 64 si je ne dis pas de bêtise. Voilà un peu pourquoi je ne voudrais pas me hasarder à donner d’échéance finale. En tous les cas, ce ne sera ni dans deux ans, ni dans dix ans non plus. Ce qui est sûr c’est que toutes les communes sont programmées. A titre d’exemple, les communes d’Azeffoun, Tigzirt, Ifigha, et pas seulement, sont prévues pour l’année 2015, avec la date de chaque étape de l’opération. J’ai aussi grand espoir que le rythme d’avancement s’améliorera avec la réaffectation des équipes qui, entre temps, auront bouclé l’opération dans les autres wilayas qui ont bien avancé jusque-là. Je pense que c’est une très bonne chose à laquelle la direction centrale a pensé que de redéployer les équipes de terrain qui ont fini leur travail dans leurs wilayas sur d’autres wilayas où beaucoup de travail reste à faire. Ca atténuera certainement la complexité de la mission qui nous reste à accomplir.

La mission est à ce point complexe?

Au delà de la complexité du relief de la wilaya et du manque de moyens humains, parfois nos agents le vérifient au péril de leur vie. J’ai personnellement suspendu l’opération qui était en cours à Sidi Naâmane après qu’un de nos agents eut été victime d’une agression à l’arme blanche dans l’enceinte même de l’APC. Après ça, le vice-président, présent, n’a même pas consenti à aller témoigner pour appuyer la plainte que nous avons déposée. Ce n’est pas là un fait qui nous encourage beaucoup même si on ne compte pas abandonner notre mission quelques soient les difficultés rencontrées. Pour rester dans la même commune, je crois que nos services ont recensé une affaire de 300 recours! C’est énorme! Et la commission cadastrale qui est censée se réunir une fois pour amener éventuellement les deux parties en litige à une solution discutée, se retrouve à multiplier les conclaves. Et pendant ce temps, le cadastre traînera encore fatalement. Il faut que la population sache que le cadastre ne décide pas. Nous ne tranchons rien, nous établissons des constats, nous faisons des enquêtes, nous recueillons des témoignages et nous les notifions. Quand nous faisons un premier constat sur le terrain, le travail est alors déposé au niveau de l’APC pendant un mois et les concernés sont appelés à dire leurs avis. Après, s’il y a des litiges qui émergent, c’est une commission présidée par un magistrat qui se penche sur les cas avant de valider le travail cadastral final, ou en cas de non conciliation, elle les oriente vers la justice en ultime recours.

C’est votre mot de la fin?

J’insiste surtout pour éclairer l’opinion publique sur le fait que le cadastre a une mission de constat ni plus ni moins. Aussi, en plus donc de cette opération première que nous sommes en train de mener sur le terrain, en parallèle, nous procédons à la mise à jour de la documentation cadastrale car, au fil du temps, il y a des terrains qui sont vendus, des assiettes qui sont construites et il faut que toutes les nouveautés enregistrées ressortent dans les dossiers. Notre mission est aussi de répondre à la demande des citoyens qui nous sollicitent pour leur délivrer des documents comme le CC6 (certificat cadastral N°6). Sur ce plan, nous tirons une certaine fierté de dire que notre service est informatisé à 100% et tous les plans sont numérisés. Notre objectif proche est d’ailleurs de délivrer ces documents séance tenante. Pour finir, je signalerais au passage que nous sommes dotés d’un site internet qui peut faciliter bien des procédures aux professionnels qui sollicitent nos services. En dehors, je dirais que nous sommes peut-être la seule administration qui a fixé trois journées de réception pour le public dans la semaine, à savoir : lundi, mardi et mercredi.

Entretien réalisé par Djaffar Chilab

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