Quelles limites pour l'indécence ?

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Par Amar Naït Messaoud

L’actualité brûlante du marché pétrolier a « ameuté » la presse et une kyrielle d’analystes à improviser des réflexions et des débats sur le devenir immédiat des gros investissements publics, des transferts sociaux et de la facture d’importation. Là se bousculent les inquiétudes de bonne foi, les calculs politiciens de certaines parties et les approximations d’autres intervenants, du fait que ce ne sont pas tous les éléments de la problématique qui sont pris en compte. Le cadre général est connu de tout le monde. La matrice sur laquelle repose l’économie nationale depuis près de quarante ans est intimement liée aux recettes de l’énergie fossile, gaz et pétrole. Avec les aléas pesant sur les cours mondiaux de cette énergie, et particulièrement après la chute vertigineuse qui a suivi l’euphorie de juillet 2008, l’Algérie a instauré la règle prudentielle de calculer son budget sur la base de 37 dollars le baril, quelle que soit sa valeur réelle. Le surplus de recettes est versé dans un fonds spécifique créé à cet effet, le Fonds de régulation des recettes. Les derniers déficits budgétaires induits par un surcroît de dépenses publiques sont financés sur ce fonds. C’est là une « mécanique » transitoire, supposée empreindre un certain équilibre aux comptes de la nation dans l’attente d’une vraie diversification de l’économie à même de réduire ou de relativiser la dépendance du pays par rapport aux revenus de l’or noir. Face au ton exagérément alarmiste, qui est politiquement loin d’être innocent, développé ces derniers jours par une partie de la presse et par quelques partis politiques, le ministre des Finances, Mohamed Djellab, a présenté avant-hier au journal de l’ENTV, sous un jour moins dramatique la situation. Il a annoncé que certains gros projets d’infrastructures et équipements pourront bénéficier, désormais, de financements mixtes (budget de l’État et autres entités publiques ou privées), idée émise au milieu des années 2000 par le professeur Abdellatif Benachenhou, ministre des Finances à l’époque, mais qui n’a pas été retenue. En tout cas, la fragilité de l’économie algérienne n’est pas à démontrer dans le contexte de la régression du prix du pétrole. Cependant, tenter de tirer des dividendes politiques à partir d’une telle conjoncture, ou « jubiler » parce que les « décideurs » seraient mis en difficulté est une position pour le moins nihiliste et irresponsable. Car, à Dieu ne plaise, si des désordres venaient à surgir suite à une baisse catastrophique des recettes du pays, ce sont, en premier lieu, les pauvres gens qui vont en pâtir et non les anciens premiers ministres. L’un de ces derniers, dans une interview qu’il vient d’accorder à un quotidien arabophone, prévoit un « Cinq octobre-bis multiplié par cinq »; autrement dit, un Printemps arabe auquel l’Algérie a échappé en 2011. On l’a bien vu dans des situations moins tendues. A Touggourt ou ailleurs, ce sont les enfants du peuple, les mal-logés, les chômeurs et les enfants déscolarisés qui payent le prix des jacqueries, parfois provoquées et sustentées par des milieux occultes, portés par la seule recherche de l’intérêt personnel ou de groupe mafieux. Peut-on être plus irresponsable? Pour un personnage qui a passé sa carrière entière, depuis la fondation de Sonatrach en 1963, dans les rouages de la haute administration et du gouvernement, il est sans doute malséant et moralement condamnable de verser dans des règlements de comptes aussi bas, en prédisant l’enfer aux Algériens? Lui et d’autres encore, feignent d’oublier qu’ils font partie de ce qu’ils appellent trop commodément le « système » et qu’ils ont participé aux choix économiques qui ont établi le règne de la rente, avec ses fastes, ses dérives et ses clientèles. Dans le cas le moins grave, ils ont été des exécutants dociles de tels choix. Noircir aujourd’hui le tableau rien que pour se venger politiquement de ses adversaires est une entreprise discréditée d’avance.

A. N .M.

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