« Voici que même les journaux se mettent à dire la vérité ! », ironisait Lounis Aït Menguellet au début des années 2000. Indubitablement, le débat que tient à instaurer le ministre de la Communication, Hamid Grine, à propos de la professionnalisation du métier de presse intervient dans une phase de transition du monde de la communication aussi bien en Algérie que dans le reste du monde. À tel point que, d’ailleurs, le mot même de « presse » finit par poser problème, sachant qu’il a été appliqué jusqu’ici au support papier majoritairement de format tabloïd aujourd’hui. Le problème est que ces tabloïds, qui faisaient la pluie et le beau temps jusqu’à la fin du siècle dernier, sont en train de céder la place progressivement à la communication numérique, par le biais du réseau des réseaux, à savoir l’Internet. Un grand nombre de journaux européens et américains ont abandonné le format papier au cours de ces dernières années. Le choix, si c’en est un, est imposé par une commercialité problématique qui fait que la presse papier est concurrencée par l’information donnée par les sites internet, les blogs, les radios, couplées sur le web avec l’information textuelle, et, enfin, les réseaux sociaux. Ces derniers ont crée un monde virtuel d’information libre, de commentaires, de diversification de l’offre (audio, vidéo et texte), mais aussi parfois rumeurs et de langage déplacé. C’est la rançon des nouvelles technologies qui, au-delà de l’ancien concept de démocratisation de l’information, offrent des solutions individuelles, placent l’individu au centre d’intérêt et l’enserrent par la suite dans un réseau. Cette transition, qui s’enrichit aussi de chaînes de télévision privées, avec ou sans statut légal, est vécue en Algérie dans une confusion presque totale. Ailleurs dans le monde, la presse papier est en train de connaître des bouleversements inouïs sur le plan de la qualité de la nature du produit et du cachet que l’on veut faire garder à tout ce qui sent le papier. En d’autres termes, pour survivre, étendre et diversifier leur lectorat et, enfin servir toujours fidèlement de support publicitaire pour les annonceurs, ces journaux se sont tout simplement adaptés à la nouvelle situation. À la place de l’ancienne rigidité idéologique de droite-gauche, progressiste-conservateur, les journaux s’ouvrent sur la jeunesse et les problèmes réels de la société d’aujourd’hui. Face à la rapidité et l’instantanéité de l’information sur internet et sur les chaînes de télévision, des journaux se sont sereinement investis dans des analyses pertinentes, faisant prendre au lecteur du recul par rapport à une actualité bouillonnante, presque insaisissable, et surtout stressante. L’instantanéité si elle a des adeptes et s’il elle dispose de quelques avantages, n’a pas la vertu de tracer les repères, de fixer les idées et de « contextualiser » correctement les événements. La même personne qui aura suivi les événements presque en direct sur les chaînes de télévision ou sur des sites internet aura besoin de faire décanter toute cette masse d’infirmations informes et surtout d’avoir accès à l’analyse qui lui permettra de dresser lui-même le tableau des priorités et des événements qui font réellement le monde. On peut remarquer que même les chaînes de télévision généralistes européennes ont su adapter leur contenu informationnel des journaux télévisées de la mi-journée et de la soirée à tout ce qui a été débité chaque quart d’heure sur les chaînes spécialisées en informations. Cette adaptation, pour faire différent, est basée sur de grands reportages très documentés, des invités de marque et des dossiers inédits. Comme elles s’appliquent à faire le maximum de synthèses de l’actualité nationale et internationale. Souvent, l’information culturelle est traitée avec des égards plus importants, allant jusqu’à consacrer un mini-journal à l’activité théâtrale, cinématographique, picturale ou de production de livres. Autrement dit, le maître mot demeure la diversification de l’offre, laquelle ne s’arrête pas à la diversification du canal ou du support physique, mais va surtout vers cette diversification qui s’adapte aux rythmes de travail et de loisir des ménages, aux nouveaux goûts du public et à la nécessité d’assurer un minimum de service public.
C’est quoi le service public?
Voilà un concept, le service public, qui a fait florès depuis l’arrivée, en mai 2014, du nouveau ministre de la Communication, et qui ne bénéficie pas de tous les éclairages nécessaires. Il est vrai que l’on n’est plus sous le régime du parti unique pour contraindre les journaux à devenir des porte-voix obligés du gouvernement. Leur crédibilité consiste surtout à dire la réalité vécue par les Algériens, dans les villes et dans les hameaux, sur leur lieu de travail, à l’école et dans le quartier. Le service public croit en une seule « allégeance »: le public. Rien qu’en relevant les déficiences de l’administration, l’abus de certains responsables ou élus, les retards de certains projets d’équipements publics, la dégradation du cadre de vie, ces journaux critiquent de facto l’action de certains secteurs générés par des ministres du gouvernement. Se transformer en tribune d’opposition politique, en répercutant les moindres invectives ou attaques des partis de l’opposition contre le gouvernement est un choix éditorial. Mais, ce que recouvre le concept de service public est surtout cette action pédagogique en direction d’un public à peine lettré souvent semi-analphabète. Présenter l’information sous sa forme simple, avec un style qui n’omet pas les phases obligatoire d’une progression rédactionnelle allant de l’introduction à la conclusion, en passant par le développement. Poser les quelques questions fondamentales pour situer rapidement le fait, l’espace, le temps, les acteurs, la motivation (les fameux cinq « W » en anglais: What Who Where When Why). Le service public consiste à rapporter l’information institutionnelle sous sa forme la plus pratique possible. Il ne s’agit pas de transcrire pour le lecteur la teneur d’une loi complète publiée dans le journal officiel. On pourra donner les références du J.O. et le résumé du décret. Cela pour intéresser les fonctionnaires, les retraités, les enseignants, les associations,…etc. Les décisions prises par les ministres lors de leurs déplacements dans les wilayas peuvent se révéler intéressantes pour une catégorie sociale bien déterminée. Donner les activités et l’agenda culturels dans certaines villes (musées, cinémas, conférences,…) peut se révéler un grand service public pour les jeunes. Les jours suivants, ils seront appelés à lire les comptes-rendus de ces activités menées souvent pendant le week-end. Les comptes-rendus ou fiches de lecture de livres sortis récemment est aussi un précieux service qui incitera la jeunesse à la lecture. Pour la presse régionale ou pour les pages régionales de journaux nationaux, les réunions d’exécutifs de wilaya peuvent faire l’objet d’articles détaillés, car ayant une relation directe avec la vie quotidienne des citoyens.
S’il y a bien un déficit qui se remarque aisément dans les rédactions, c’est bien celui de la spécialisation. Il est vrai qu’un grand nombre de journaux algériens voient cette division du travail comme un « luxe »; mais, sur le plan de la maîtrise du sujet (économie, politique, environnement, santé éducation, culture,…) et de la cohérence dans la suite des articles qui concerneront le même sujet dans les jours à venir (les sujets rebondissent souvent, même avec d’autres formes), les titres qui font option pour un tel encadrement bénéficieront indubitablement de plus de crédit et d’audience. Donc, le débat sur la professionnalisation est loin de se limiter aux seuls soucis, par ailleurs honorables et légitimes, de l’éthique journalistique qui bannit l’insulte, la diffamation et le mensonge. Le débat va au-delà en ingérant le traitement du service public et la spécialisation. Un quart de siècle après son lancement, la presse écrite algérienne se trouve ainsi travaillée par des questions « existentielles », où s’imbriquent et se confondent la mutation technologique, la concurrence par d’autres organes d’information associant infos et spectacles, la problématique de la commercialité liée nécessairement à la manne publicitaire, et les grandes questions déontologiques, éthiques et de spécialisation. Pour tous ces axes de réflexion, l’Université devrait être la première institution à être interpellée et associée, entendu qu’elle forme les journalistes de demain. Ces derniers sont censés être armés professionnellement et intellectuellement pour faire réussir la nouvelle phase de la presse algérienne.
Amar Naït Messaoud