L’aurore refuse de céder la place au soleil. Cette expression sied, on ne peut mieux, au métier de l’artisanat du bois dans la wilaya de Béjaïa, à se fier aux déclarations des acteurs de cette activité ancestrale séculaire. « Je travaille le bois depuis plus de 25 ans, et je ne suis pas près de m’en séparer, et ce, en dépit de toutes les contraintes », affirme Younes, rencontré à l’occasion du dernier Salon du bois, organisé en septembre 2014 à Béjaïa. La passion solidement vissée au corps, notre artisan soutient que l’authenticité et l’innovation caractérisant ses produits suffisent largement à son bonheur. Mais cela suffit-il pour autant à perpétuer un métier et un savoir-faire hérités de nos lointains ancêtres ? « Rien n’est moins sûr », réplique-t-il. « Nous sommes malmenés par cette mondialisation envahissante, dont les effets pervers sont le foisonnement sur notre marché de pseudo produits d’artisanat, venus de divers horizons », relève-t-il, sur une pointe d’amertume. Et d’enchaîner : « ces produits d’importation de qualité douteuse cassent l’élan des artisans et brise la dynamique de la production locale ». Cette concurrence déloyale s’ajoute, nous indique-t-on, à une kyrielle de contraintes, telles que la rareté de la matière première, l’insuffisance de la qualification et l’absence d’un circuit organisé pour la commercialisation du produit fini. « Je travaille le bois de l’olivier, du frêne et du chêne, en fonction de leur disponibilité. L’approvisionnement reste problématique, car il faut guetter un hypothétique abattage d’arbres pour en récupérer le bois, et encore faut-il que son propriétaire consent à vous le céder », rapporte un jeune artisan venu de la région d’Ath Abbés, dont les produits exposés sont à l’évidence exécutés avec une passion d’orfèvre. Un autre artisan de Sidi Aich, exploitant un garage désaffecté souhaite que les produits locaux, qui ont le mérite de porter l’emprunte sigillée de la mémoire populaire, puissent bénéficier d’une considération et d’une promotion à la hauteur de leur valeur. « En dépit de leur qualité incontestable, nos produits demeurent méconnus du large public. Il n’y a aucune structure pour prendre en charge ce volet. Même les passerelles avec le secteur du tourisme qui peuvent être un tremplin pour rehausser l’image de marque de nos produits et les rentabiliser sont inexistantes », déplore-t-il. « Les conditions difficiles dans lesquelles évoluent les artisans font que très peu d’entre eux vivent de leur activité. L’artisanat est plutôt une activité d’appoint qu’on exerce à temps perdu », souligne un autre artisan de Tazmalt, conjecturant que ce métier traditionnel est promis à des lendemains incertains. Une destinée qu’il est impérieux de conjurer dans la mesure où, en sus d’être des acteurs économiques, les artisans sont dépositaires d’une culture et gardiens d’une mémoire collective.
N. Maouche
