La période des soldes d’hiver sera lancée aujourd'hui, 15 janvier, et s’étalera jusqu’au 28 du mois de février prochain. Cette période, propice aux bonnes affaires sous d’autres cieux, peine à s’enraciner chez nous.
La « culture » des soldes reste encore méconnue par la plupart des commerçants et boudée par la quasi-majorité des citoyens. En Algérie, il faut bien le reconnaître, les « soldes » ont lieu à longueur d’année. Pourtant, le législateur a réglementé et encadré les soldes, et ce, depuis près d’une décennie. En effet, en 2006, des textes de lois fixant les modalités de cette période de rabais sont entrés en vigueur. Ces textes régissent notamment les dates de son entame et de sa clôture, expliquent les règles de la concurrence loyale, etc. Cependant et en dépit de toutes ces mesures, les consommateurs, tout comme les commerçants, demeurent relativement peu enthousiastes, voire réfractaires à cette pratique. À partir de ce constat, facilement vérifiable sur le terrain, des interrogations se posent : Pourquoi la culture des soldes peine à s’ancrer en Algérie ? Les commerçants ont-ils leur part de responsabilité ? Les citoyens sont-ils suffisamment informés sur cette période et les « bonnes affaires » qu’ils peuvent en tirer ? Ou encore, les autorités font-elles leur travail de sensibilisation, contrôle et surtout de sanction à l’égard des commerçants « récalcitrants » qui affichent des soldes à longueur d’année ?
La réglementation ? Pas très respectée
À Bouira, à l’instar des autres wilayas du pays, on est loin de la frénésie et de « la fièvre acheteuse » qui s’empare des ménagères. Ces dernières, du moins celles interrogées, avouent qu’elles ne sont pas au courant de cette période. « Des soldes ? Il y en a tous les jours ! À chaque devanture de magasin, il y a mentionné soldes en gros caractères et ce, pratiquement toute l’année », a souligné Mme Katia, une mère de famille résidant au niveau du quartier de l’Ecotec, sis en plein cœur du chef-lieu de la wilaya. D’autres, à l’image de Fouad, père de famille croisé au niveau de la placette Rahim Gallia, déclare ouvertement que les commerçants « trompent » les clients en leur proposant des articles présumés en « soldes » mais qui n’auraient de soldes que le nom. « Certains commerçants font de la publicité mensongère ! Ils proposent des articles à leur prix d’origine et les affichent comme des articles en soldes. Quand on demande l’ancien et le nouveau prix, ces mêmes commerçants font mine de rien savoir. Je vous le dis, le contrôle est inexistant. Chacun fait comme bon lui semble », a-t-il noté. Du côté des commerçants de vêtements et autres articles ménagers, c’est la méconnaissance totale de cette période, du moins pour ceux que nous avons interrogés. «Des soldes ? Je ne suis pas au courant ! », dira un marchand d’habillements du quartier des 336 logements. Un autre, établi au niveau du quartier d’Ain Graouache, spécialisé dans les produits électroménagers, affichait avant-hier, mardi, déjà des produits en soldes, alors que la période effective ne commence qu’aujourd’hui. Interrogé à propos de cette pancarte où il est explicitement indiqué « Soldes », ce vendeur lancera : « Chez nous, c’est les soldes chaque jour, tout au long de l’année ! On propose des prix qui sont déjà au rabais ». Du côté du boulevard qui mène vers la cité El Thaoura, un magasin spécialisé dans la vente de sacs à main et autres robes placardait en grand format « soldes de sacs ». Ce marchand semblait être au courant de la législation, mais il en faisait sciemment fi. « Je n’ai pas besoin d’autorisation pour liquider mon stock et renouveler ma marchandise. Dès que c’est possible, je propose des prix cassés et des rabais qui peuvent atteindre les 70%. Alors, leurs soldes (réglementées, ndlr), je m’en moque », a-t-il signifié. Du côté du marché de Draâ El Bordj, il existe un marché spécialisé dans l’habillement et les chaussures, où les consommateurs à faibles revenus trouvent aisément leur bonheur et ce, à de petits prix, autrement dit, des soldes qui durent toute l’année. « Je viens ici de manière systématique, car les prix y sont plus ou moins abordables », dira Kamel, père de deux enfants, qui précisera que, pour lui, les soldes sont «une aubaine pour avoir des articles à prix cassés, peu importe leur période et leur réglementation. Il suffit juste de ne pas être très regardant sur la qualité et sur les dernières modes ».
L’UGCAA de Bouira se dit «marginalisée»
Face à cette situation de méconnaissance et parfois d’anarchie, on s’est rapproché du représentant de l’Union générale des commerçants et artisans Algériens (UGCAA), M. Talbi Ahmed. Ce dernier, interrogé sur la sensibilisation des commerçants vis-à-vis des soldes, s’est exclamé ainsi : « Je ne suis pas au courant ! Personne ne m’a informé à ce sujet !». Cet aveu, aussi déconcertant soit-il, prouve que la « culture » de cette pratique est loin d’être enracinée chez les commerçants, au même titre que leurs représentants, du moins à l’échelle de la wilaya. Par la suite, notre interlocuteur n’a pas hésité à « tirer » sur le directeur du Commerce de Bouira. « Ce responsable ne nous associe en rien aux activités de sa direction. Il nous marginalise, pis encore, il nous méprise ! », jugera-t-il.
Cap sur la sensibilisation chez la CCI
Du côté de la chambre de commerce et de l’industrie de Bouira, initiative a été prise pour organiser des journées de sensibilisation sur le sujet. Le directeur de cette chambre, M. Samir Abdelmalek, dira à ce propos : « On a tracé un programme spécifique dans le but d’orienter et d’informer les commerçants sur les modalités de fonctionnement des soldes ». Ce responsable nous donnera par la suite de plus amples détails sur la campagne de sensibilisation que ces services ont entamée. « Nous avons mobilisé plusieurs agents de terrain qui vont sillonner bon nombre de magasins de la ville de Bouira et même ceux d’autres localités, dans le but d’informer les commerçants sur cette période de soldes », a-t-il indiqué avant de poursuivre : « Je peux dire que notre institution n’a pas lésiné sur les moyens afin d’orienter et de sensibiliser les commerçants sur les règles et les périodes des soldes ». Interrogé sur le nombre de commerçants qui sont concernés par cette campagne de sensibilisation, notre vis-à-vis l’estimera en 1 000 et 1 500 sujets. Concernant les objectifs de cette campagne, M. Abdelmalek a clairement affiché l’ambition de son institution. « Nous voulons mettre fin aux soldes anarchiques! ». Il ajoutera que : « les commerçants tout comme les consommateurs doivent savoir qu’il y a une période bien déterminée pour la pratique des soldes et qu’au-delà tout commerçant pratiquant un quelconque rabais sera sanctionné par les services de la direction du commerce ».
« On préfère la pédagogie à la répression »
Au niveau de la direction du commerce, son directeur, M. Ahmed Goumri, expliquera que les textes de loi concernant les soldes sont très clairs. « La législation en la matière permet aux commerçants, pendant une période déterminée, de solder leurs articles afin de renouveler leurs stocks d’hiver et d’été et, dans certains domaines comme l’habillement, de suivre les modes », a-t-il souligné. Avant d’ajouter que les commerçants « n’ont pas le droit d’annoncer les soldes sans une autorisation préalable des services de la direction du commerce. À propos des démarches à suivre pour les commerçants souhaitant solder leurs articles, ce responsable dira : « Ils n’ont qu’à prendre attache avec nos services et fournir la liste d’articles mis en soldes. Il s’agit généralement d’habillement, de chaussures et, à moindre degré de certains types d’appareils électroménagers. Nous nous occupons ensuite de répertorier cela ». À la question de savoir si des commerçants ayant pratiqué les soldes avant la période fixée avaient été sanctionnés, le DCP répondra : « Non, aucune sanction n’a été prise à leur encontre. On préfère faire dans la sensibilisation et la pédagogie que dans la répression ». Répondant à une question relative à l’affichage de la mention « soldes » sur les devantures des vitrines, M. Goumri dira qu’elle est obligatoire et ce, pour ne pas désappointer la clientèle. S’agissant de «culture» des soldes à travers le pays et plus précisément à l’échelle de la wilaya, le DCP admettra « qu’elle ne s’est pas encore enracinée dans les mœurs ». À travers les déclarations des uns et des autres, il parait évident que la culture des soldes en Algérie, à Bouira en particulier, reste largement méconnue, et ce, pour plusieurs raisons : le manque d’information et de sensibilisation, la désorganisation des commerçants, mais aussi le « laxisme » des autorités face aux écarts de certains marchands qui font fi des textes en vigueur.
Ramdane Bourahla