Plaidoyer pour l’officialisation de Yennayer

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La faculté des lettres et des langues de l’Université de Béjaïa a organisé, en collaboration avec le Haut-commissariat à l’Amazighité et la Fondation Asaka, une journée d’études en célébration de la fête de Yennayer.

Durant cette journée, huit communications ont été présentées au public qui n’a pas pu se déplacer en grand nombre à cause de la fermeture de l’Université par les étudiants, pour cause de conflit avec leur administration. Le thème de la journée d’étude portait sur « Yennayer, un symbole d’une identité retrouvée et un repère historique à valoriser ». Ouvrant les débats, Hamid Bilek, Directeur du Patrimoine au HCA, a commencé par insister sur la nécessité de l’officialisation de la Fête de Yennayer, et d’en faire, à l’instar du premier Janvier et de Awel Moharrem, une journée fériée, chômée et payée. De plus, des démarches ont été effectuées auprès de l’Unesco, pour faire de Yennayer un patrimoine universel de l’humanité. Il n’y a aucune raison pour que des événements de moindre envergure soient pris en considération par cette institution onusienne, et pas Yennayer qui concerne pourtant tous les peuples d’Afrique du Nord. Yennayer est une fête traditionnelle qui a été formalisée par l’Académie Berbère dans les années soixante. Depuis, elle est sortie de l’anonymat pour devenir une fête qui rassemble tous les peuples amazighs de l’ensemble de l’Afrique du Nord.  Allaoua Rabhi, enseignant et chercheur à l’Université de Bejaïa, a tracé l’historique et la signification de la fête. Celle-ci est incluse dans un calendrier agraire ancien. Il marquait le début d’une nouvelle année célébrée différemment d’une région à l’autre, selon des rituels qui pouvaient différer selon les régions. Ils comprenaient la distribution de gâteaux, des sacrifices, des festivals, … le but de la fête est de rassembler les gens, de les réunir en vue de l’expression de la communion et de la solidarité sociale. Personne ne devait être mis à l’écart des festivités. Ali Sayad, anthropologue, président de la Fondation Asaka, et qui avait participé avec Mouloud Mammeri à la confection du premier dictionnaire Amawal sur les néologismes berbères a rappelé que « Massinissa rendait un culte au Soleil. Alors que Yennayer comprend douze mois lunaires, le calendrier agraire était aussi basé sur le cycle du Soleil qui indique les saisons. La journée chez les berbères commence à la tombée de la nuit, pour finir vingt quatre heures plus tard, à la tombée de la nuit suivante ». L’existence de Yennayer comme symbole de l’unité des Berbères a fait dire à Mostepha Lacheraf que « Yennayer pose un problème ». C’est comme un caillou dans la chaussure de ceux qui veulent nier la berbérité de l’Afrique du Nord. Cette fête est justement là venue de la nuit des temps pour rappeler l’authenticité de ce peuple et son ancienneté sur cette terre. « Le temps est venu de s’indigner de l’interdiction de Yennayer », a ajouté Ali Sayad. Quant à Hacène Helouane, de l’Université de Tizi-Ouzou, il rappelle les déclarations du sociologue Jean Servier qui avait affirmé que « les paysans algériens, plus que d’autres ont su préserver leurs traditions civilisationnelles. Ils n’ont rien à attendre des autres ». Dans le calendrier agraire berbère, il y a quarante cinq périodes, toutes marquant les espaces entre les différentes phases de la végétation. Les paysans savaient ainsi exactement à quel moment planter, cueillir ou arroser. Même en perdant leur langue, les paysans nord-africains continuent la tradition. « La culture est ce qui nous reste quand on a tout perdu ».  Selon Gabriel Camps, l’une des plus anciennes divinités inscrites sur les sites funéraires est IERU, en berbère Eior, ou Ior, c’est-à-dire Ayour, la lune. Rachid Oulebsir rappelle que l’Afrique du Nord a subi huit colonisations, en trois mille ans et aucune d’elle n’a réussi à supprimer Yennayer. Puis, il se pose la question, comment après seulement moins de cinquante années d’indépendance cette fête à quasiment disparu de l’Algérie. Yennayer a subi plusieurs mutations, dont celle de l’espace. De fête strictement familiale, elle est sortie sur la place publique pour devenir une fête de grande envergure. Elle s’est ainsi approprié le combat et la revendication politiques, de par sa symbolique et de l’adhésion populaire à tout ce qu’elle peut représenter. Elle était traditionnellement célébrée durant trois jours. Le premier était consacré essentiellement au partage, avec le couscous et les gâteaux qui étaient distribués ou partagés. Le deuxième jour était consacré à la sortie des enfants en forêt ou en montagne, soit pour apprendre les rudiments de la nature, soit pour être initiés à la chasse. Le dernier jour était un jour de marché ou les hommes tiraient un trait sur l’année précédente, en réglant leurs dettes et en effaçant les traces de l’année écoulée. Il fallait démarrer la nouvelle année dans un esprit nouveau, débarrassé des fardeaux de l’année écoulée. C’était aussi le moment de raconter les histoires anciennes qui permettaient aux Berbères de garder le lien avec leur histoire et de faire vivre leur culture.  Mais depuis quelque temps, les Berbères qui étaient créateurs de culture, sont devenus de simples consommateurs. Selon Rachid Oulebsir, il est temps de reprendre les choses en main, et de montrer au monde comment cette fête est porteuse de valeurs universelles. Kheddam Mohand Oubelkacem, ancien inspecteur d’histoire à Alger, a insisté sur la nécessité de réécrire l’histoire pour en effacer tous les travestissements. Ce sera seulement lorsque les Berbères découvriront leur véritable histoire qu’ils se réapproprieront leur culture. « La connaissance de la vérité historique est de nature à corriger notre marche ». Il estime que nous n’avons pas suffisamment d’historiens qualifiés en Algérie, et qu’il faudrait susciter des vocations en mettant les moyens dans les programmes scolaires et à la télévision.  Rappelant des faits historiques sur l’histoire amazighe, il a insisté sur la nécessité d’intégrer les vrais informations dans les programmes scolaires afin de faire en sorte que les élèves connaissent leur passé pour mieux appréhender leur futur. A titre d’exemple, le secrétaire particulier de l’empereur byzantin, Justinien, rapporte que durant l’invasion arabe, sur seize millions de Berbères recensés, il y a eu plus de cinq millions et demi de morts. La vérité est souvent dure à accepter, mais il faudra la dire, la mettre sur la table pour permettre aux spécialistes de la traiter et de la communiquer convenablement. Dans sa communication Nouara Tililane-Kaid, chercheur et économiste à l’Université de Bejaïa  estimait que la langue amazighe est en recul, alors que c’est une vraie source de richesse. Son développement nécessite des moyens financiers. L’investissement dans l’économie culturelle pourrait être très rentable. Il faudrait, selon elle, penser sérieusement à développer les investissements dans la recherche et développement, et dans l’éducation et la formation.

Après ces communications, la parole fut donnée au public, qui a encore enrichi le débat, soit par des questions auxquelles les communicants ont répondu, soit au travers de remarques et compléments d’informations. La journée a été très riche en enseignements. Il est dommage qu’elle ait été organisée au moment où les étudiants qui étaient censés en profiter, étaient occupés à faire un piquet de grève.

N. Si Yani

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