La plus belle plume au plus beau firmament

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Abdelkrim Djaâd n’est plus là regard tendu comme un arc et voix tonitruante comme si de chaque écrit, le sien ou celui d’un ami, dépendait toute sa vie, pour nous encourager à nous livrer à notre plus pénible et plus haïssable exercice, celui de l’hommage posthume. 

Nadjib Stambouli

Cette vie qui lui a fait, dimanche, lâcher son cœur, en dépit d’une hygiène de vie rigoureuse suite à un infarctus d’il y a une quinzaine d’années, a fait qu’on s’est connu avant que l’un et l’autre ayons embrassé la carrière journalistique, avant de nous retrouver au 20, rue de la Liberté à Algérie Actualité dans la rubrique culturelle qu’il dirigeait avec talent et… fermeté. C’était une époque, plutôt une épopée, à laquelle d’ailleurs tout un livre s’avèrerait trop exigu pour contenir tous les moments d’intense bonheur et d’autres qui le sont beaucoup moins, dont on retiendra la passion qu’il injectait autant dans ses écrits que dans l’animation de sa rubrique d’abord, de toute la rédaction ensuite, et qui finira en queue de poisson, début 87 (ou fin, qu’importe les exactitudes après le passage de la faucheuse). Ce jour-là on avait déménagé à la rue Cartier, et le directeur de publication, le regretté Kamel Belkacem, l’avait appelé dans son bureau pour lui signifier son limogeage («venu d’en haut») au profit d’un poste de… conseiller. Il démissionne sur-le-champ, comme attendu de la part d’un homme qui ne sait pas prendre un bâton par le milieu, et il s’en ira créer, avec force hypothèque et goût du risque en bandoulière, sa «boîte de com», Synapse, qu’il a d’ailleurs gérée, avec la compétence et l’audace qu’on lui connaît, jusqu’à son ultime souffle, expiré dimanche à Paris où il se soignait depuis quelques semaines, lui, le méticuleux quant à sa santé. Sans quitter cette société il lancera avec des amis, notamment Djaout et Metref, au début de l’année 93, l’hebdo Ruptures, précocement «ravi à l’affection des siens», au bout de six mois, avec l’assassinat de notre directeur de rédaction, Tahar Djaout. Parti en France, il y lancera un journal, «Ensemble», qui ne vivra pas longtemps, puis continuera son expérience de Synapse avec «un pied ici et un pied là-bas», le tout entrecoupé d’une tentative avortée de relance du Nouvel Algérie Actualité et de chroniques données à des journaux amis, notamment « La Dépêche de Kabylie » et ce, entre deux expériences littéraires, «La mémoire des oiseaux» et «Le fourgon». Autre expérience, mais qui n’aura pas vécu plus longtemps que nos espoirs, celle de «Dunes international», lancée d’ailleurs aux lendemains de son retrait d’Actualité avec notre bande confortée par Bachir Rezzoug, Abdou B. et Djaout, numéro excellent (avec le soutien de Senouci, premier DG de Riadh el feth) qui restera dans l’histoire pour ne pas avoir dépassé le cap du numéro zéro. On se souviendra entre autres moments forts de notre amitié de ce jour où il nous avait donné à lire son esquisse d’hommage après la mort tragique de Ameyar, que nous avions annoté par ceci «avoir droit à un si bel éloge funèbre me donne envie de suicide»… C’est qu’il avait une de ces plumes, le Djaâd !… Trempée tantôt dans le vitriol, tantôt dans la critique sereine, toujours dans le vivier de l’analyse lucide, jamais, au grand jamais dans la complaisance, la plume de Djaâd restera l’une des plus étincelantes que la presse algérienne ait connues. Cette plume a, de longues années durant, rayonné sur le paysage médiatique et culturel algérien et brille encore sur le firmament de cette même presse. Firmament qu’a rejoint dimanche l’inoubliable porteur de cette plume, Abdelkrim Djaâd, l’ami, le talentueux journaliste, le fougueux meneur d’hommes, l’épicurien, le croqueur de vie et de livres, l’enfant d’Ighil Ali qui a sillonné tout ce que la vie peut offrir de paysages, de plaisirs mais aussi de souffrances et de frustrations, notamment celle de n’avoir jamais vu son Algérie ressembler à l’image qu’il se fait d’elle. Il nous avait communiqué un peu de son talent et de son sens de la formule, mais ce qu’on retiendra de lui, c’est cette force morale qu’il nous a inculquée, à laquelle il faut carburer même sous le coup de l’intense émotion, et sans laquelle ces lignes n’auraient jamais pu être écrites…                        

 N. S

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