Une fois de plus, en ce mois de janvier 2015, la Kabylie paye le prix de sa situation géographique, qui la place majoritairement dans des zones de montagne. L’une des montagnes les plus peuplées du monde, avec ses massifs du Djurdjura, Bibans et Babors. Depuis le week-end dernier, notre journal s’est fait l’écho, tout en n’étant pas distribué dans plusieurs communes en raison des intempéries, de la détresse dans laquelle sont plongés des villages entiers. Nos correspondants des wilayas de Tizi-Ouzou, Bouira et Bejaïa ont fait état de la fermeture de plusieurs routes par la neige, des éboulements de terrain et de vacances forcées pour des centaines d’élèves dans certains établissements scolaires. Le courant électrique a, lui aussi, subi des coupures un peu partout. L’on a appris que dans la région de Aïn El Hammam, un câble important distribuant de l’électricité à partir de l’usine hydroélectrique de Souk El Djemaâ, a cédé sous le poids de la neige. Même si elle n’a jamais fait défaut, l’intervention des agents de la Sonelgz est souvent gênée par les conditions météorologiques, particulièrement là où l’accès aux zones de panne est obstrué par la neige ou par un éboulement. Il est vrai qu’un certain nombre de villages ont bénéficié du raccordement au réseau de gaz de ville, dans le cadre du dernier plan quinquennal. Mais, à l’échelle de la Kabylie, qui comprend aussi les villages montagneux de Bordj Bou Arréridj et de Setif, cela représente une infime proportion. Le gros des ménages continue à se servir de poêles à mazout et de bouteilles de gaz. Certains foyers ont même fait un retour vers le bois, tout en sachant que cette matière commence sérieusement à être menacée de disparition suite aux incendies de forêts. La bouteille de gaz a subi un renchérissement incroyable, puisqu’elle est cédée dans certaines bourgades isolées entre 500 et 1000 dinars. Le malheur des uns semble faire le bonheur des autres. Et que dire de ces classes sans chauffage en 2015? Une grave entorse au bon sens qui s’ajoute au retard des opérations de déneigement sur les axes jugés « secondaires », mais qui desservent des centaines, voire des milliers de foyers. Il est vrai que dans plusieurs régions de Kabylie, le réflexe de stocker l’alimentation pour les jours de neige existe toujours. Mais, cette façon de faire a ses limites. Et puis, sans doute, les grands « désagréments » ne se situent pas à ce niveau. Le plus grand risque demeure incontestablement l’impossibilité d’évacuer des malades vers les centres hospitaliers: malades chroniques (des dialysés, par exemple), femmes sur le point d’accoucher, personnes accidentées,…etc. De même, ce ne sont pas tous les centres de santé qui disposent de groupes électrogènes pour faire fonctionner des appareils ou garder par exemple les vaccins aux températures requises.
L’historique neige de février 2012 est toujours présente dans les esprits. Plus de 2 mètres d’épaisseur d’Iferhounène à Larbâ Nath Irathène, en passant par Aïn El Hammam. Des soldats de l’ANP stationnés dans la caserne de Tizi Ldjamaâ, dans la commune d’Abi Youcef ont été secourus par de simples citoyens, partageant avec eux de petites rations qui demeurent encore à la maison. Ce sont aussi les soldats de l’ANP qui ont aidé les populations dans les opérations de déneigement, sachant que les APC et même la protection civile étaient dépassées. Elles étaient dépassées, et elles le sont toujours, parce que la politique algérienne de l’aménagement du territoire, pourtant déclinée dans un document adopté par le gouvernement au milieu des années 2000 sous l’intitulé de Schéma national d’aménagement du territoire (SNAT), demeure toujours boiteuse, ne répondant pas aux besoins de la gestion des ressources et des territoires. Un autre texte officiel ordonne aux pouvoirs publics une politique et aménagement spécifique des communes de montagne. Il s’agit de la loi n°04-03 du 23 juin 2004 relative à la protection des zones de montagne dans le cadre du développement durable, et du décret exécutif n° 05-469 du 10 décembre 2005 fixant les études et les consultations préalables ainsi que les procédures relatives à l’identification et la classification des zones de montagne. Les études faites par le CENEAP, un bureau d’études public, pour le compte du ministère de l’Aménagement du territoire et de l’Environnement, a permis de dresser la listes des communes de montagne sur la base de plusieurs critères (pente, altitude, infrastructures, population,…). Et c’est en s’appuyant sur un tel travail technique, que les pouvoirs publics sont censés définir une politique générale des communes de montagne, devant prendre en compte toutes les contraintes climatiques, topographiques ou autres. Mieux encore, un Conseil national de la montagne a été installé officiellement en 2006, regroupant plusieurs secteurs, et chargé de coordonner la politique nationale de la gestion des zones de montagne. Qui a entendu parler un jour de l’activité de ce Conseil? Pourquoi ne s’est-il pas réuni dans les moments les plus dramatiques, en février 2012, lorsqu’une partie de la population algérienne était isolée du reste du monde?
Comme les zones sahariennes et le couloir de la steppe, les communes classées dans la catégorie des zones de montagne ont droit à un traitement spécifique, aussi bien dans la gestion du territoire que dans les programmes de développement. Ces zones, au vu des contraintes naturelles, sont censées bénéficier de certains abattements fiscaux sur les opérations d’investissement et même sur les activités commerciales. Elles sont aussi supposées être dotées de moyens modernes permettant les opérations de déneigement, le rétablissement rapide du courant électrique et du téléphone, l’approvisionnement en carburants,…etc. Imparablement, la prise en charge des grandes contraintes des communes situées en zone de montagne, fait partie de la bonne gouvernance locale qui tarde à s’installer dans notre pays. Une bonne gouvernance qui ne trouvera le chemin de sa réalisation que par une décentralisation institutionnelle et territoriale accrue, la seule à même de faire le diagnostic le plus profond et le plus fidèle des contraintes de vie dans ces régions, et qui est capable de leur trouver les solutions les plus adaptées.
Amar Naït Messaoud