Toute définition est, par définition hasardeuse, sujette à caution. Dès l’instant où on veut décrypter, analyser, comprendre, les mots fuient et l’objet d’étude se dérobe. Celle que proposait, avant- hier après-midi, l’écrivain bilingue Amine Zaoui au café littéraire de Bouira, où il a animé une conférence-débat autour de ses romans et ceux d’écrivains qu’il a traduit ou qu’il admire, ou dont il est simplement l’ami, n’a pas échappé à la critique. Si, pour l’écrivain, le roman est celui qui interroge sans jamais apporter de réponse ; pour d’autres, il est, avant, une évasion, une aventure dépaysante. Et puis, de quel roman parler ? Du roman historique ? Du roman psychologique (entendre peinture de mœurs, de caractère ?) Du roman de cap et d’épée, du roman de guerre (le Goncourt encourage cette thématique invariable depuis la première guerre mondiale à nos jours ?) Du roman d’action ? D’anticipation ? De science fiction ? Du policier ? Autant de romans que de publics comme on peut le voir. En écrivain de carrière, Amine Zaoui évite soigneusement toute classification, tout dogmatisme. Il n’était pas venu à Bouira pour faire un cours sur le mouvement littéraire. S’il a parlé du roman en général, c’est pour montrer les liens et la complicité qui s’établissent entre le lecteur et son auteur. Sans cette complicité cette fraternisation qui se crée à travers la lecture, que serait le roman ? Que serait l’écrivain lui-même ? Mais, qui dit roman, dit forcément langue. Et en polyglotte émérite, l’auteur du roman El Malika ne voit pas d’inconvénient à ce que l’écrivain emploie l’arabe et le français pourvu qu’il les maîtrise parfaitement. Considérant cette dernière comme « un butin de guerre », reprenant à ce propos le mot de Kateb Yacine, le conférencier a loué les nombreux services qu’elle a rendu et rend encore aux écrivains Maghrébins, tant ceux de la jeune génération que des anciens. À propos de l’arabe, pour lui, ce n’est pas cette langue qui pose problème, mais ceux qui en font un si mauvais usage. À titre illustratif, il citait ce manuel scolaire où il est spécifié que « l’idéologie mozabite » est infecte. De même, il condamnait les attaques faites dans cette langue contre les autres religions et cultures, de même qu’il estime que les tabous, qui sont autant d’obstacles entre les hommes et les libertés auxquelles ils aspirent légitimement, doivent être balayés, autant il estimait que l’usage des langues étrangères ouvre des horizons insoupçonnés par la création romanesque. Pour terminer avec les langues qu’il considérait sous un rapport quasi charnel et sentimental, il citait l’exemple de ce débat quelque part où la question qu’on lui posait était de savoir quelle était la victime du français ou de l’arabe. Et au conférencier de répondre alors : ni l’un ni l’autre, c’est tamazight la victime, observait-il, c’est elle, et ce, depuis 62. Abordant la question du sacré et du profane dans son œuvre, il montrait comment au terme d’une étude de trois ans sur la Pierre noire enlevée par les habitants du Hedjaz qui avait suspendu le pèlerinage à la Mecque pendant sept ans l’avaient, il a été convaincu que le sacré a son fondement dans l’ignorance. Et de conclure logiquement que seule la culture, qui fait cruellement défaut chez nous, doit être le défi à relever, sous peine de rester sur le bord du chemin, lorsque les autres nations avancent. « Les 24 000 établissements scolaires doivent être accompagnés de 24 000 salles de lectures et de salles de projection» pour faire revivre cette culture en voie de disparition chez nous. Concernant La soumission, son livre, et Soumission, celui de Michel Houellebecq, il a fait remarqué que son livre se situait en amont, puisqu’il a été publié en 2002, (en douze langues et tiré à 24 000 exemplaires en quatre jours). Mais il reconnaît qu’entre les deux ouvrages, il y a d’étranges connexions du sans doute à la proximité de deux thèmes majeurs : la condition de la femme arabe en 2002 et la situation d’une France multiculturelle et multi ethnique en 2014. Mais force est de reconnaître que cette affinité entre deux grands esprits est plus qu’étrange. Elle inquiète lorsque l’on sait que, dans El Malika, l’écrivain Algérien met dans une espèce de mise en garde contre l’immigration chinoise, en prédisant que l’Algérie serait avant la fin de 2100 gouvernée par un chinois ! La même année, mais avec quelques mois de retard, Houellebecq attire l’attention des Français sur l’«absorption» de la France par la communauté musulmane, à laquelle il prête la capacité de prendre démocratiquement le pouvoir en 2022. Mais c’est de tout autre chose qu’il parlera le 7 février prochain à l’Hôtel de ville de Paris, où il donnera une conférence sur son dernier livre « L’intellectuel maghrébin ». Le conférencier a autant et plus parlé des livres des autres que des siens propres. Il a surtout parlé des écrivains de la nouvelle génération et de l’espoir qu’ils portent dans la littérature maghrébine et plus particulièrement encore de Kamel Daoud et de son amour de la patrie qui transparait dans de nombreuses pages de son livre qui a tant fait parlé de lui. Lors des débats qui furent brefs, Amine Zaoui s’est déclaré pour la liberté d’expression qu’il considère comme sacrée, jugeant les réactions aux caricatures souvent trop vives et trop disproportionnées et considérant qu’un comportement sage et responsable permettrait d’arriver meilleurs résultats. Exemple : Charlie Hebdo, asphyxié financièrement parlant, était au bord du dépôt du bilan. L’attentat terroriste qui l’a ciblé l’a sauvé du sabordage.
Aziz Bey
