Les limites de la solution administrative

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Le ministre du Commerce, Amara Benyounès, écarte la solution de la l’amnistie fiscale pour les « opérateurs » du marché informel. Dans un entretien accordé au quotidien Echourouk, édition du 17 février dernier, il déclare que le gouvernement est en train d’étudier toutes les solutions pour apporter des solutions appropriées à même de juguler progressivement le marché parallèle. L’on sait que les opérations de démantèlement de certains marchés informels, installés sur des trottoirs, des boulevards ou des quartiers populaires, n’a pas abouti aux résultats escomptés du fait de l’absence de certains facteurs d’accompagnement, à savoir entre autres, la multiplication des marchés de proximité et la faible dimension des grandes surfaces. S’agissant du premier point, le ministre du Commerce fait état de la difficulté rencontrée par les walis pour trouver les assiettes foncières sur lesquelles sont appelés à être construits les marchés de proximité. Dans certaines communes, des unités de ce genre ont été construites en un temps record, avec montage métallique (murs et charpente); cependant, elles tardent à recevoir les tant attendus commerçants, jeunes qui sont censés reconvertir leurs activités informelles en commerces légaux. Sur ce point, la hantise des services des impôts demeure un frein à ce redéploiement projeté. Sans doute qu’il faudra aussi chercher des solutions de ce côté-là afin d’encourager les jeunes opérateurs de l’informel à s’installer dans les nouvelles structures qui leur sont dédiées, sans aller jusqu’à l’amnistie fiscale, particulièrement souhaitée par les « gros bonnets ». Cette dernière éventualité comme le craignent certains politiques et experts, s’il elle venait à être adoptée, s’apparenterait à un blanchiment légalisé d’argent. L’on sait que la part informelle de l’économie, qui brasse des milliards de dollars et qui occasionne des pertes énormes pour le Trésor public à travers l’évasion fiscale, ne se limite pas au secteur commercial, visible à partir des marchandises proposées à la vente. Cette part va au-delà en touchant parfois des unités ou des entreprises légales, ayant un registre de commerce, et qui font travailler des milliers de jeunes sans déclarations sociales. Le thème du travail au noir, qui revient logiquement au ministère du Travail et de la Sécurité sociale, n’est pas encore saisi dans toutes ses dimensions. Et Dieu sait combien d’entrepreneurs, détenteurs de marchés publics, utilisent une main-d’œuvre, une partie déclarée aux caisses d’assurance, mais mal payée; une autre partie, non déclarée du tout. Ce sont des milliards de dinars qui sont ainsi soustraits aux caisses sociales (CNAS, CNR, CACOBATH) et aux impôts, à travers l’IRG. Cela, outre les risques d’accidents et de maladies professionnelles qu’encourent les travailleurs non déclarés. Ces derniers n’auront alors droit qu’à une hypothétique solidarité familiale pour atténuer les conséquences de telles situations.  Indubitablement, le commerce informel- dans le sens de vendeurs sans registre de commerce-, la non facturation de certaines marchandises pour des établissements commerciaux légalement installés et le travail au noir, constituent cet ogre à plusieurs têtes nourri et sustenté par la rente pétrolière. L’économie nationale, dans son besoin de se départir de la dépendance des hydrocarbures, lesquels commencent à montrer leurs limites du fait du caractère fort aléatoire du marché mondial du pétrole, est ainsi appelée à chercher des solutions « endogènes », tirées des diverses potentialités que compte le pays. Cela a un nom dans la « littérature » administrative et journalistique de l’Algérie de ces dernières années: la diversification. 

Concurrence déloyale et parasitage 

Néanmoins, la lutte contre l’informel constitue également une autre ressource qu’il ne faudrait pas négliger, d’autant plus que cet informel, non seulement occasionne une grande saignée pour le Trésor public et les caisses sociales, mais il prend aussi en chasse les secteurs de l’économie structurée, et cela se passe par une insidieuse opération de découragement. Car, il se trouve que les opérateurs économiques légalement installés et qui respectent les lois de la République subissent une concurrence déloyale. Certains d’entre eux seraient même tentés de rejoindre l’informel. Ce parasitage de l’économie algérienne, dont les premiers couacs remontent au temps des Souk El Fellah dont une partie des marchandises était revendue dans le marché informel par des intermédiaires qui avaient leurs entrées dans ces établissements commerciaux de l’État, ne manque pas de manifester ces ondes de choc un peu partout dans le corps complexe de l’économie et de la société algérienne. Niveau de vie, pouvoir d’achat, hygiène et contrôle de la qualité des marchandises, sont ainsi influencés négativement par ce « monstre » jusqu’ici indompté. Le ministre du Commerce avoue que l’on ne dispose pas de statistiques fiables pour évaluer le volume réel des marchandises et les montants des transactions drainés par le marché informel. Mais, à titre indicatif, certains analystes n’hésitent pas à affirmer que ce « créneau » brasserait, en termes de montants financiers, quelque 40 % de toutes les transactions commerciales du pays. Un chiffre énorme qui montre, entre autres, les manques à gagner de ce qui, en Algérie, est appelé la fiscalité ordinaire, c’est-à-dire non pétrolière. En ces temps de contraction des recettes extérieures du pays, le budget de l’État serait relativement soulagé si au moins la moitié de ces transactions pouvaient lui profiter. Au vu de toutes les données de l’économie du pays- politique de l’entreprise, investissements directs étrangers, climat des affaires (principalement, le foncier et le système bancaire)-, le marché informel dépasse le seul aspect commercial; il apparaît sans doute plus un « symptôme » qu’une maladie. C’est la déstructuration de tous ces éléments, parasités par le système rentier, qui a rendu possible un tel niveau de l’informel. Donc, la solution définitive ne pourra pas se limiter aux mesures qu’aura prises le ministère du Commerce. Elle relève de réformes économiques profondes, dont les premiers éléments sont apparemment en train d’être perçus à la faveur de la crise des marchés pétroliers. 

 Amar Naït Messaoud

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