Nora : elle possède un atelier à Lakhdaria et expose depuis hier à la maison de la culture de Bouira. Elle était secondée par sa fille, une collégienne et une voisine. « Avant, la femme gardait la maison. Elle y passait toute sa vie, faisant la soupe, cuisant le pain, cherchant l’eau à la fontaine, trayant les vaches, s’il en y a et si elle habitait la campagne, tricotant, cousant, lavant… Aujourd’hui les temps ont changé. La femme sort, travaille, lit, voyage, participe à la vie politique, occupe d’importants postes de responsabilité… Elle a tout… Cependant, elle ne doit pas dormir sur ses lauriers. Le combat ne doit jamais cesser. Sinon, elle perdrait tous ses acquis et tout serait à refaire. Par exemple, la violence a diminué de façon significative. Mais tant qu’elle s’exerce encore sur d’autres femmes, il faut lutter encore…» Considérant sa fille, elle souhaite qu’elle devienne avocate afin qu’elle réalise le rêve, l’ambition de sa vie, afin de combattre « l’injustice et la violence faites aux femmes ».
Lamia de Bouira:
En dépit de son âge (elle a refait la terminale et souhaite être pharmacienne, car elle dit aimer deux choses : la physique et la chimie), elle porte sur la société d’aujourd’hui un regard non dépourvu de bon sens. « Le 8 mars, c’est une journée importante. Elle permet à la femme de s’exprimer et de mesurer le chemin parcouru dans le recouvrement de sa liberté et de son indépendance. Regardez autour de vous : toutes ces femmes qui exposent leurs produits, fruits de leur labeur et de leur talent, les auriez-vous vues un autre jour ? C’est le leur, c’est leur fête qu’elles entendent organiser ainsi, vivre et partager. Il y a des années de cela, seul souci, leur seule occupation se limitait à leur foyer. Le chemin a été long, mais le progrès est notable. La femme ne vit plus que pour les autres. Elle apprend aussi à vivre pour elle-même.
Faïza de Ouled Rached. Elle est couturière et est de toutes les expositions où elle occupe un stand dédié exclusivement à la robe traditionnel kabyle. Elle-même par ses parures anciennes (diadème, ceinture, chaîne, bracelets en argent massif serti de corail) prétendait incarner toute la tradition. La femme, pour elle, comme pour Ourdia, une autre couturière qui allie dans sa production passé et modernité ? Celle qui s’étant affranchie de ce passé et de son poids asservissant se montre assez éclectique dans ses choix, notamment vestimentaires, pour préserver l’essentiel de notre culture.
Leila est prof de Français au lycée de Aït Laziz et Saliha, directrice d’école à M’Chedellah, mais habitant Bouira. L’une et l’autre étaient accompagnées de leurs enfants et leurs idées concernant les conditions de vie de la femme dans notre pays sont assez proches. Accusant le système social d’être trop patriarcal, l’une et l’autre dénonçaient les tabous à l’origine de l’état qui fait de la femme au foyer comme celle qui a un emploi, une femme soumise. « Nous demeurons des mineures toute notre vie. A quarante ans, à cinquante, la femme demande la permission de sortir ou de faire un achat, par exemple. C’est complètement aberrant, s’indignait Leila. Nous donnons l’impression d’être émancipées. Mais, au fond, ce n’est pas vrai. Dès que nous rentrons du travail, nous redevenons toutes, ce que nous avons toujours été : des femmes au foyer. Toutes les tâches ménagères que nous laissons avant notre départ au travail, nous les retrouvons au retour. Nous n’avons fait que retarder de quelques heures leur exécution.» « Il y a trop de tabous, trop de violence, lui fait écho Saliha. Et la femme a trop honte et/ou trop peur pour dénoncer ces injustices. ». Pour elles, c’est la faute au système social. Il est temps qu’il tombe et qu’un autre fondé sur la justice et la dignité prenne sa place, et où la femme, reconnue comme l’égale en intelligence et en savoir de l’homme, puisse jouer au sein de la société le rôle qui est le sien.
Aziz Bey