Au revoir et à l’année prochaine !

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Cette année, la fin de la campagne de ramassage des olives a été retardée à cause des pluies et neiges qui se sont abattues de janvier jusqu’à début mars.

Les figues et l’huile d’olive ont une place irremplaçable chez les Kabyles. Jadis, avoir un stock de figues sèches et de l’huile d’olive signifie de quoi se nourrir toute l’année, surtout pour quelqu’un possédant aussi des céréales tirées de ses terres et un cheptel pour le lait et la viande. Nous sommes à la dernière ligne droite de la campagne de ramassage des olives et il est opportun de raconter comment se déroule cette campagne à travers ce reportage. Même si ramasser des olives n’est pas une mince affaire, car on doit se lever tôt et affronter le froid des matins hivernaux auxquels s’ajoute la fatigue, les familles attendent impatiemment l’entame de cette campagne, notamment les enfants et les femmes pour sortir de leurs cocons, car habituées à rester à la maison, pour aller à la rencontre de Dame nature. C’est avec un grand plaisir qu’elles vivent les animations subtiles et fébriles en se rendant aux champs sous un soleil radieux. Dame nature offre ses décors avec l’eau scintillante qui ruisselle partout, les gazouillements des oiseaux aux chants mélodieux. Il n’y a pas que cela, puisqu’il y a aussi l’engrangement de la récolte des olives qui permet d’avoir un stock d’huile à consommer le long de l’année et dont le surplus sera vendu pour renflouer la bourse familiale, fierté de tout Kabyle. La campagne de cueillette des olives s’étale généralement de décembre à février. Elle atteint rarement le mois de mars. Le travail des champs est continu tout le long de l’année. Dès la tombée des premières pluies de l’automne, coïncidant généralement avec le mois d’octobre et à peine achevée la campagne de ramassage des figues, les propriétaires d’oliveraies entament les travaux de défrichage, c’est-à-dire nettoyer les alentours des arbres pour faciliter le ramassage des olives. Chaque matin, notamment durant les journées ensoleillées, les agriculteurs partent à l’ouvrage. On les rencontre sur les pistes, chacun une hache sur les épaules et une hachette à la main ou sur le dos du mulet, les outils dans les Chouaris, ou encore en voiture quand la parcelle est desservie par une piste carrossable. Les parcelles sont minutieusement débroussaillées, laissant voir une terre bien nettoyée. Sur les terrains accidentés, on réalise des gorges pour arrêter les olives qui tombent du gaulage et des petits chemins avec escaliers permettant aux cueilleurs de se déplacer sans risque de tomber.

Un travail de fourmis

Doucement pour ne pas trop se fatiguer, car la journée est longue, on enlève les branches et les arbustes secs ainsi que les buissons, on les met en tas pour être incendiés. Les pistes sont réaménagées donnant l’allure comme si elles étaient faites la même année. Rien ne se perd, tout se transforme. En effet, les oléastres réputés comme ayant des tiges solides pour la fabrication des manches et gaules sont dépouillés de leurs branches. Les fellahs fabriquaient ces outils pour leurs besoins et se permettaient aussi de faire de l’argent de poche en vendant ceux dont ils n’avaient pas besoin. Ils arrachaient les tiges grosses, longues et droites qu’ils travaillaient le soir ou les jours de pluie devant un feu de bois, car il faut bien chauffer la tige pour la manier sans négliger les tiges fines et longues pour fabriquer avec des paniers pour la cueillette des figues fraîches et sèches en été. Ils se servent aussi de ces paniers pour déplacer les œufs pour leurs éviter de se casser, connaissant leur fragilité. Chaque après-midi, les fellahs rentrent toujours des champs avec un fagot de bois pour le feu et des tiges à travailler. Généralement, une fois les travaux des champs terminés, les olives deviennent grosses, mures, noires et commencent à tomber toutes seules par terre. Ce qui recommande l’entame de la campagne de ramassage des olives. La campagne implique la mobilisation de tous les membres de la famille. C’est un travail de fourmis qui se fait, où grands et petits, hommes et femmes, accompagnés des bêtes, tôt le matin, prennent les chemins des champs. Dans chaque maison, dès les chants des coqs entendus, les lumières s’allument et les gens se lèvent. Chacun commence à faire la tâche qui lui est dévolue. Si les hommes s’affairent à préparer les outils de travail nécessaires, les femmes quant à elles se démènent à préparer le petit déjeuner et le repas de midi qu’ils devaient prendre au champ. Dès les premières lueurs du jour levées, des cortèges s’ébranlent, chaque famille se dirige vers la destination choisie. En cours de route, de petits groupes se rejoignent et forment des grandes lignées. Les femmes entre elles et les hommes entre eux se colportent, chacun dans son domaine, les nouvelles bonnes ou mauvaises apprises ça et là. De temps en temps, des bêlements de bêtes ou d’aboiements de chiens sont entendus. Les chefs de familles conduisent les bêtes et veillent à ce qu’elles ne dévastent les jeunes arbustes situés aux abords de la route. Arrivés sur les lieux, les affaires déchargées et défaites et tout le monde se met à l’ouvrage. C’est une organisation parfaite où chacun s’investit dans la tâche qui lui est dévolue et généralement qu’il maîtrise bien. Les hommes s’occupent du gaulage. Ils frappent hardiment par ci et par là en faisant le tour de l’arbre, montent sur les branches pour atteindre les hauteurs. Les jeunes arbustes sont épargnés du gaulage, leurs olives sont arrachées à la main. Les femmes et les jeunes filles font le ramassage. Elles commencent d’abord par les olives les plus éloignées et se rapprochent de l’arbre au fur et à mesure. Les enfants quant à eux sont chargés de garder le bétail loin des arbres donnant des fruits, la où il y a seulement des broussailles. Ils peuvent se permettre sans perdre de l’œil les bêtes de ramasser les olives oubliées ou négligées par les ramasseuses, et olive par olive, ils rassemblent quelques kilos qu’ils vendent aux acheteurs pour se faire de l’argent de poche. Une animation fébrile des plus subtiles s’offre aux yeux là où le regard se pose. De loin, on voit de la fumée blanche partout s’échappant des brasiers de feu de bois. Le froid matinal oblige à allumer le feu qui permet aux ramasseuses de chauffer leurs mains de temps en temps, gelées par les givres du matin collés sur l’herbe et la terre. Les coups de gaule se répandant dans la vallée sont entendus de loin ou de prés. De plus en plus que les petits paniers sont remplis, ils sont déversés dans des sacs en jutes posés dans un endroit propre et plat pour qu’ils ne déversent pas par terre. Dès qu’un chargement est atteint, les sacs sont mis sur le dos du mulet pour les transporter à l’huilerie où une place a été réservée à cet effet. Celui qui a une voiture attend la fin de la journée pour mettre le tout sur le porte bagage ou dans le coffre. S’il ne possède aucun de ces moyens de transport, il attendra qu’un tracteur privé passe pour les charger moyennant 20 dinars le sac. À midi, on arrête le travail et tout le monde se rassemble autour du bivouac pour prendre sa ration alimentaire. Quel que soit le repas pris, il est agréablement appétissant, car la faim des champs n’a pas de semblable, disent nos aïeux.

Haro sur les maraudeurs !

Après le labeur d’une journée pleine, arrive l’après-midi où hommes et femmes, fatigués, prennent le chemin du retour d’une allure harassante, d’un pas mesuré et nonchalant. Ils pressent le pas sur des sentiers sinueux et parfois boueux pour rentrer à la maison et se reposer pour reprendre des forces et être prêt et en forme le lendemain. On y rencontre aussi des jeunes, chacun un sac sur l’épaule. Souvent, des collecteurs ramassent les olives laissées par les ramasseuses, une activité appelée Ahaouch. Mais, parfois, ce sont des maraudeurs qui pillent les productions. Ils se dirigent vers les points de ventes pour écouler les butins. En cours de route, ils s’échangent des informations sur le prix et l’honnêteté des vendeurs pour choisir le meilleur à qui vendre le produit. Aux portes des marchands se forment parfois des chaînes, car tout le monde est pressé de rentrer à la maison. Le soir, la vie reprend dans le village ou on croise jusqu’à tard dans la nuit des gens vaquer à leurs occupations. Aller chez l’épicier faire ses achats, rendre visite à la famille,… Contrairement à la journée où le village est désert. Seuls les vieux et les malades restent à la maison. Tous les valides partent aux champs qui grouillent de monde. L’animation est presque la même dans les huileries à qui les oléiculteurs confient leurs productions d’olives pour leur trituration. Dans la cour de chaque huilerie, sont déposées en tas les olives et chaque amas porte le nom de son prioritaire et la date de sa trituration. Arrive le jour « j », le propriétaire emmène avec lui les bidons pour contenir son huile. Les huileries traditionnelles sont en voie de disparition. Il n’en reste pas une seule dans tout le douar d’Amdoune n’Seddouk, région à vocation oléicole par excellence. Les gérants optent pour les huileries modernes qui pullulent dans ce douar, qui en compte cinq au total. La campagne oléicole restera une aubaine pour les villageois ; elle procure un besoin alimentaire, une ressource pour certains, parmi ceux qui ne vivent que de la vente de l’huile d’olive en écoulant le surplus. Ceux qui n’ont pas d’oliveraies bénéficient de l’Aâchour, un don d’huile d’olive que leur octroient les oléiculteurs. Une pratique qui fait partie des valeurs de solidarité et d’entraide léguées par nos aïeux.

L. Beddar

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