Deux agents de liaison racontent Amirouche

Partager

Un colloque a été organisé, hier, au musée régional El Moudjahid de Tizi-Ouzou, à l’occasion dela semaine de la mémoire, en hommage au colonel Amirouche Aït Hamouda, qui se tient, depuis hier 29 mars, date à laquelle il est tombé au champ d’honneur à Djebel Thameur en 1959, près de Boussaâda.

La semaine prendra fin le 04 avril. A cet effet, plusieurs communications empreintes d’émouvants témoignages ont été au programme de cette première journée du souvenir, dont celles de deux agents de liaison du colonel Amirouche, M. Slimane Laichour, dit Rachid, et Mohand Sedki qui ont ému l’assistante d’anecdotes témoignant de la grandeur de l’homme. Le témoignage de M. Slimane Laichour fut particulièrement émouvant. Agent de liaison de Krim Belkacem et de Saïd Mohammedi, il deviendra celui du colonel Amirouche dès son retour de Tunisie en Juillet 1957. «Nous avons partagé des souffrances, des espérances et des confidences, pendant une année durant laquelle il a parlé à la population et l’a encouragée à embrasser la révolution. Son arrivée a insufflée une nouvelle dynamique. Un nouvel élan était né dans la wilaya III», dira l’orateur. «Nous nous sommes séparés dans les Aurès, fin mars 1957, quand il a décidé de nous envoyer regagner la Tunisie auprès du CCE, avec des documents ultra secrets. Il nous a accompagnés parce que la tâche était dure. Il s’est assuré de faire au moins la moitié du chemin avec nous et c’est sur les hauteurs de Batna que nous nous sommes séparés. Là il a eu une phrase prémonitoire, quand il nous a réunis la toute dernière fois : ’’écoutez mes compagnons, l’Algérie sera libre et indépendante, mais moi ce jour-là je serai absent à l’appel’’. Et ce fut la dernière fois que je le vis», dira M. Laichour, avec une grande émotion. «Amirouche fut un organisateur hors pair, un grand stratège, un homme qui a donné espoir aux gens», ajoutera l’orateur avant de poursuivre : «Un jour, au village Tasslant, sur la rive Ouest de la Soummam, alors que nous revenions d’une mission, le chef Nidâam nous a apporté à manger. Notre ventre criait famine et Amirouche lui a dit : Est-ce qu’il y a des blessés ? Il a dit oui. Est-ce que vous leur avez donné à manger ? Il a dit oui. Est-ce que le menu est pareil que le notre ? Le chef Nidâam balbutia un peu avant de dire non. Alors la colonel Amirouche lui a dit d’enlever le plat et de le donner aux blessés… Voilà la magnanimité d’Amirouche, d’abord ceux qui ont le besoin le plus urgent et après les autres». M. Laichour continuera : «Une fois, nous sommes passés Amirouche et moi dans mon secteur, parce que quand Amirouche est venu pour remplacer Mohammedi Said, je devais lui faire visiter tous les coins et recoins. Passant à proximité de chez moi, j’ai demandé à Si Amirouche si je pouvais aller voir ma mère, ma femme et mes petits frères. Il m’a dit : A Rachid, tu sais bien que les permissions sont interdites ! J’étais choqué et ébranlé je n’attendais pas ça de lui. Finalement, j’ai encaissé le coup et ma grand-mère et partie ramener ma femme et ma mère. Nous sommes restés trois minutes ensemble. Je les ai présentés à Amirouche et elles sont reparties. En arrivant à Ath Ouacif, au village Takidount, en face de son village natal, Amirouche m’a dit : ’’tu vois là-bas, il y a certainement ma mère, mon fils et ma mère, mais je n’en suis pas sûr. Néanmoins, je n’irai pas leur rendre visite, parce que les permissions sont interdites’’. Et c’est là que j’ai vu la grandeur de l’homme, c’est là que j’ai vu un homme qui s’applique la rigueur à lui-même…». L’autre témoignage fut celui de Mohand Sebkhi, un autre agent de liaison du colonel, qui racontera à son tour comment il a rencontré le colonel et gagné sa confiance : «J’ai connu Amirouche en 1956, après le congrès de la Soummam. Une fois, il s’est réfugié dans un village dénommé Thimliouine à Ouzellagen, là où ils ont fait le congrès de la Soummam. Je l’ai trouvé avec quatre ou cinq Moudjahidine et je lui ai remis un message qui m’avait été donné par le chef de la zone II, le capitaine Arab, un Chahid. A l’époque, j’étais agent de liaison zonale, j’étais en charge de transmettre les instructions, les directives, les messages…etc. Un jour de printemps, il voulait prendre l’air et quand son garde du corps, un ami d’enfance de mon village, le chahid Tayeb Mouri qui est tombé au champ d’honneur avec le colonel, s’est levé pour l’accompagner, il lui a dit : ’’A Tayeb, c’est Mohand qui vient avec moi’’. Cela m’avait étonné car j’étais le plus jeune de tous. J’avais 17 ans et c’est plus tard que j’ai compris que c’est un homme qui teste les gens qui sont proches de lui. Nous avons marché le long d’une piste, en contrebas du village, pendant une demi-heure. Il me questionnait ou plutôt me harcelait de questions. Il voulait savoir pourquoi j’étais là. Il m’a demandé si j’avais un père. J’ai dis qu’il était décédé en 1947 quand j’avais 09 ans. Alors il m’a dit : tu es un orphelin ? J’ai dit oui et je ne savais pas qu’il était lui-même orphelin. Il m’a dit : qui t’a élevé ? J’ai dit : mon oncle. Il m’a dit : est-ce que tu as été au collège ? J’ai dit que non. Je suis d’une famille modeste je n’ai pas les moyens d’aller à l’école. C’est de là que naquit l’amitié entre lui et moi. Me sachant orphelin, il me protégea comme un père, il insistait pour que je mange en premier…et c’est ainsi qu’il fit de moi son chargé de missions dans toute la wilaya III. Je marchais jusqu’à la wilaya II, 22 jours de marche. J’ai marché jusqu’à la wilaya VI pour des missives destinées à Si El Houas».

Karima Talis 

Partager