Quand les traditions riment avec modernité

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En ce début de la saison des amours, le printemps en l’occurrence, la période est toute indiquée et propice à des liaisons éternelles, un espace de temps naturellement favorable à sceller les alliances et à unir les hommes et les femmes qui se sont attirés et qui nourrissent au fond de leurs âmes et de leurs cœurs des sentiments sincères et honnêtes.

Des sentiments qui appellent l’autre partenaire afin de construire un avenir plus radieux, plus heureux et plus harmonieux. A deux, tous les obstacles seront finalement franchis avec moins d’effort, mais beaucoup plus de générosité et de don de soi. C’est le prix à payer pour vivre à deux et surtout bâtir du solide qui consolidera et contribuera à la pérennité de la vie sur l’ensemble de la planète. Contrairement à d’autres localités qui ne célèbrent les fêtes de mariage qu’en période estivale, ici, à Tighilt Mahmoud, un village totalisant plus 4 000 habitants, relevant de la commune de Souk El Tenine, à 25 kilomètres au Sud de la capitale du Djurdjura, la saison des amours, des mariages et des vols nuptiaux est déjà lancée. Comme pour la faune et la flore, les hommes et les femmes se sont joints à la partie en vue de se rencontrer, de s’aimer, de s’unir et de perpétuer la vie. Mission essentielle des hommes et des femmes sur terre. Durant le dernier week-end du mois de mars dernier, nous avons eu le privilège d’assister à un mariage qui a marqué les esprits, puisque les traditions sont conservées et la modernité introduite, les deux modes font heureusement bon ménage.

Les préparatifs d’une bonne fête de mariage

Pour songer aux préparatifs, il faut au préalable que deux âmes soient déjà prêtes à s’unir par les liens sacrés du mariage. Rabah Chebiri, un jeune informaticien, a trouvé son autre moitié depuis plus de deux ans, il s’agit de Melle Miloudi Samira, une spécialiste du secteur du bâtiment, une sympathique jeune fille qui a fini par entendre le chant éloquent de son futur époux. Les fiançailles ont eu lieu et le mariage administratif inscrit. Les parents n’ont trouvé rien à redire puisque les concernés ont tranché de vivre ensemble. « Nous avons convenu ensemble de nous marier pendant la saison des amours, conformément à la loi de Dame nature », reconnaîtra le jeune époux. Pour réussir une bonne fête, il fallait commencer par embellir la maison parentale qui accueillerait le couple, les travaux de peinture et plusieurs autres bricoles ont été effectués. « C’est dans les traditions des Kabyles d’embellir et de nettoyer la maison pour accueillir d’heureux événements, tels que les mariages, les naissances et les circoncisions », dira Dda Amar, le père du jeune époux. «Il fallait aussi acheter le trousseau de la mariée, coudre les robes traditionnelles, acheter les bijoux et la robe blanche », ajoutera Nna Zedjiga, la mère du futur époux, qui précisera qu’il fallait aussi acheter les alliances et le costume ainsi que le burnous d’honneur. Le couscous roulé de la main des villageoises a été aussi préparé depuis de nombreuses semaines. Les invitations ne sont pas oubliées. Tous les villageois, les amis et les relations ont tous été conviés à la fête. A la mi-mars, le bœuf a été acheté du marché à bestioles de Taboukert, il a coûté 24 millions de centimes. Une semaine avant la date fixée, tout le matériel de cuisine du comité de village a été préparé. « Notre comité a mis à notre disposition tout le matériel dont aura besoin le cuisinier, en contrepartie d’une waada en argent », dira Rabah. Il faut aussi signaler que le côté animation n’a pas été oublié puisque la troupe musicale traditionnelle Idhebalen a été invitée, le DJ loué le chanteur Salah Kadi et le poète Hamid Ou Moussi de Fréha étaient sollicités. Même le cheval sur lequel montera la jeune épouse fut réquisitionné du village d’Ighil Imoula. Tout cela a un prix, l’animation artistique et le cheval ont coûté 10 millions de centimes. Il ne restait que l’achat des légumes et des fruits qui s’est fait à la veille de la fête. « Les légumes et les fruits ne sont achetés qu’à la veille, il faut bien sûr qu’ils soient frais, de manières à éviter le gaspillage et les intoxications », signalera le chef de famille Deux jours avant la fête, le bœuf a été immolé par un boucher aidé par les membres de la famille et les voisins. Il va sans dire que les présents ont eu un déjeuner copieux. Immédiatement après le repas, les cuisiniers se sont attaqués à la préparation du dîner fait d’abats du taureau tandis que les parents et les proches de la famille sont allés en cortège vers la maison de la mariée sise non loin du village à la cité garage. Les youyous, les klaxons raisonnaient et fusaient de partout, il fallait annoncer l’heureux événement, l’essence même de la célébration du mariage. C’est ce qu’on appelle dans le village Laaweiedh ou le henné. Bien entendu et conformément à la tradition, le futur élu n’avait pas le droit d’être de la partie, il était resté chez lui. Débordant de joie, c’est sa maman toute rayonnante qui s’est acquittée de la tâche d’offrir les cadeaux à sa future belle-fille. Inutile de préciser que chez la famille de la mariée, l’ambiance était plutôt festive, le DJ diffusait de belles mélodies et les youyous déchiraient le ciel plutôt brumaux et couvert. Les invités ont été bien pris en charge, les boissons fraîches et chaudes et les gâteaux généreusement offerts. C’est l’hospitalité légendaire de la région. De retour à la maison du marié certains invités ont rejoint leur foyers qui pour se reposer qui pour se rafraîchir et d’autres sont directement passés dans la cuisine pour aider à la préparation du dîner. Vers 18 heures, celui-ci étant prêt, les convives affluaient pour déguster les abats préparés pour la circonstance. Il n’est pas encore 10 heures que le DJ est mis en marche pour amuser la galerie jusqu’à tard dans la nuit.

Le jour « J » : Idhebalen, les artistes et le baroud

Dès l’aube, les cuisiniers sont déjà à l’œuvre, le repas doit être prêt vers la mi-journée. Vers dix heures de la matinée, la troupe musicale traditionnelle Idhebalen, une troupe de la commune de Frikat, est déjà arrivée au grand bonheur des jeunes et moins jeunes, qui ne demandaient qu’à se défouler. L’ambiance montait de plusieurs crans au fur et à mesure que les nombreux invités arrivaient. Les moins jeunes, les jeunes et les plus âgés ont investi la piste de danse. Inutile de préciser que même le futur marié était au beau milieu de la foule avec son costume et son burnous blanc. Une ambiance des plus chaudes a régné jusqu’à l’heure du déjeuner. La troupe traditionnelle est laissée reprendre son souffle en attendant de prendre la soupe et le couscous traditionnel. Un repas copieux offert à plus de mille personnes. Il fallait attendre jusqu’à 15 heures de l’après-midi pour que tout le monde soit servi. Vers 16 heures, un long cortège d’une cinquantaine de voitures s’est formé pour aller chercher l’heureuse élue. Le futur marié enveloppé dans son burnous prenait la tête du cortège avec un bouquet de fleurs à la main, son vieux père a pris place à côté du chauffeur qui n’est autre que le grand frère. La mère par contre est restée à la maison, comme le dit la tradition. « La maman reste à la maison, elle doit la garder et accueillir les retardataires, c’est la tradition », nous dira-t-elle. Il est bon de préciser que la troupe musicale accompagnait le cortège ainsi qu’une équipe de cameramen et de photographes. «Il faut tout immortaliser », dira celui qui allait entrer dans la cage dorée. C’est ainsi que le cortège s’est ébranlé feux de détresse allumés et mains sur les klaxons. Une fois à destination, le marié accompagné par un de ses grands cousins, est entré dans la chambre de la future épouse Samira, une jolie jeune fille bien ornée de bijoux anciens et d’une robe blanche, en plus d’un mendil (écharpe traditionnelle) sur la tête et un burnous sur les épaules. Bien entendu, les séances photos-souvenirs entre les deux familles ont eu lieu. Main dans la main et sous le baroud d’honneur, le couple a enfin pris place dans la voiture, décorée traditionnellement. Le cortège a fait long détour de Souk El Tenine vers Ait Abdelmoumène en passant par Alma et Ait Mesbah, dans la commune de Béni Douala. A deux cents mètres avant d’arriver à la maison familiale, le cortège s’est arrêté le couple descend et la mariée monta sur le dos du cheval comme au bon vieux temps, elle est suivie par tous les invités et Idhebalen n’ont pas fini d’amuser et de semer la gaieté par leur mélodies. Un air de fête magnifique. Une belle ambiance a régné pendant ce court trajet. Avant d’entrer dans sa future maison, la mariée a eu droit à des coups de baroud comme à la sortie de son domicile paternel.

Tivougharine par les hommes

Après le dîner, c’est le henné. Seulement, dans ce village, les Tivougharine ne sont pas interprétées par les femmes mais par les hommes du village. Les sages du village bien conduits par Dda Ahmed Haroun ont alors assuré leur récital en présence des deux époux, de leurs parents et d’une assistance faite essentiellement de femmes puisque la cour de la maison a semblé exiguë pour accueillir tous les invités. Par ici, et contrairement à ce qui se fait dans d’autres villages, les cadeaux se donnent en toute discrétion. Une règle à mettre à l’actif du comité de village. Le Baroud et les youyous remplissaient l’atmosphère d’une chaleureuse ambiance. Une fois le henné terminé place au chant. Une scène de fortune a été aménagée par les amis de l’heureux du jour, Salah Kadi, et un orchestre bien dirigé par le batteur Larbani Mahfoud a créé une ambiance des grands jours. Les danseurs se sont donnés à cœur joie, d’autant plus que le chanteur a su enchaîner avec de nombreuses chansons rythmées. Des chansons de Cherif Hamani, de Lounes Matoub et de son propre répertoire ont été du goût des spectateurs. Hamid Ou Moussi de Fréha intervenait à chaque fois avec ses issefra pour permettre au chanteur de reprendre son souffle. Un gala qui a duré jusqu’à l’aube, que les villageois de Tighilt Mahmoud et tous les invités n’oublieront pas de sitôt et qui restera dans les anales du village. Le lendemain, vers 11 heures, la mariée habillée d’une robe traditionnelle, une chandelle (El Mesvah) dans une main et une cruche dans l’autre main, est accompagnée par les femmes du village pour la corvée d’eau de la maison des grands parents, une maison qui a vu naître son mari. Bien sûr, les femmes ont fait le tour du village avec cette fois Tivougharine de la gent féminine. En tout et pour tout, la fête a duré 3 journées, plus de 1 000 repas ont été offerts et, au total, un millions de dinars a été dépensé (tous frais confondus). Le lendemain, les tourtereaux se sont envolés vers la Turquie pour passer leur lune de miel. Soyez heureux et bravo !

Hocine Taib

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