Les limites objectives de la politique de prestige

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Si les cérémonies les plus solennelles et les harangues les plus prolixes pouvaient suppléer aux différentes frustrations de la jeunesse algérienne et combler le vide culturel et mortel qui la tient en otage- lequel, chaque jour, la pousse un peu plus vers des horizons brumeux et des rivages d’abrupt désespoir-, l’on aurait été déjà bien loin de ce profond gouffre et de ce labyrinthe dans lesquels presque toutes les franges de la population ont été plongées, sans repères ni balises. Les jeunes sont poussés dans leurs derniers retranchements, accumulant échec scolaire, manque de formation, déficit de distraction et de formation artistique et culturelle; ils sont soumis à toutes les tentations, y compris les moins imaginables. Dans l’actuel conflit yéménite, où se font face une coalition de dix pays arabes menée par l’Arabie Saoudite et les milices Houtistes, proches des chiites iraniens, des centaines de jeunes algériens, généralement de la wilaya d’El Oued, sont impliqués. Un reportage réalisé par un journal arabophone a pu suivre leurs réseaux à El Oued. D’autres algériens se battent contre le régime de Bechar El Assad, en intégrant les rangs de Daech ou Ennosra. Le terrorisme du Sahel n’a pas manqué également de recruter de jeunes algériens sur les frontières de notre pays. Cela se passe quatorze ans après le début du reflux du terrorisme dans notre pays qui avait fait environ 200 000 morts. Au tout début de l’aventure terroriste, c’étaient aussi des jeunes, parfois moins de 20 ans, qui étaient enrôlés par les semeurs de la mort, les utilisant comme de la chair à canon afin de réaliser des desseins sordides, liés exclusivement à la prise de pouvoir. C’est que l’humus, qui pouvait sustenter et fortifier une telle tendance chez les jeunes, était déjà largement fertilisé par l’inculture, la déscolarisation, l’extrémisme religieux développé dans les mosquées. Ces dernières avaient complètement échappé aux pouvoirs publics, sous la pression d’une « nouvelle religion » importée de contrées lointaines où sévit le wahhabisme et autres idéologies létales. L’on se souvient de cette fièvre qui a succédé à la prise du pouvoir en Iran par l’imam l’Ayatollah Khomeiny en 1979; pour la petite histoire, ce nom sera intégré dans la liste des prénoms établie par le gouvernement de Chadli Bendjedid et transmise aux APC pour application au lendemain du soulèvement populaire du 20 avril 1980 en Kabylie. Une punition, parmi tant d’autres, parce que la région a eu le courage et la dignité d’affronter le pouvoir autocratique de l’époque. Donc, lorsque l’islamisme politique- qui avait déjà investi les campus algériens et assassiné l’étudiant kabyle Amzal Kamal le 2 novembre 1982- commençait à avoir le vent en poupe, ses ténors et parrains- dont Mahfoud Nahnah- décidèrent d’envoyer des contingents algériens en Afghanistan pour guerroyer contre l’occupant russe! La jeunesse algérienne était alors happée par un vent de folie au point de se rendre à plus de 5 000 Kms d’Alger pour s’ « offrir » les portes du paradis. L’on sait qu’un grand nombre de ceux qui furent appelés les « Arabes afghans » étaient d’origine algérienne. Certains allèrent même dans des contrées moins connues (Kosovo, Tchétchénie) en soldats de Dieu pour combattre un ennemi fantomatique. Il était bien de s’intéresser au sort des prisonniers algériens, là où ils se trouvent dans le monde. Néanmoins, ceux qui croupissaient dans les cellules du Guantanamo ne furent pas arrêtés par les soldats américains sur le sol US, ou « extorqués » aux autorités algériennes sur le sol national. Ils étaient capturés sur le front, à Peshawar ou dans la banlieue de Kaboul. Ce sont, pour une large partie, ces jeunes-là qui se retourneront contre leur propre pays dans la décennie 1990, et singulièrement contre les gens de culture, les cadres et les forces de l’ordre. Après tant d’années d’errements, les vraies solutions tardent toujours à voir le jour. On a plusieurs assises de la jeunesse au cours de ces quinze dernières années. « Jeunes de toute l’Algérie, asseyez-vous »!, semble-t-on leur signifier. L’instruction du Premier ministre, Abdelmalek Sellal, portant sur la retraite obligatoire à 60 ans, ne doit pas faire illusion; la gérontocratie a apparemment de beaux jours devant elle, d’autant plus que les institutions et les mécanismes de formation ne sont pas encore bien huilés pour contribuer au rehaussement des compétences et de la qualification. Ce sont deux concepts qui demeurent quasi étrangers à notre lexique national. La culture continue malheureusement à se vêtir du prestige des grandes parades au détriment de l’action continue. Ce qui aurait dû être un comportement naturel, une activité quotidienne de formation, de détente, de culture, d’échange avec le monde, d’ouverture sur la science et la grande réflexion, prend les contours d’un spectacle ludique, dans un environnement où l’intégrisme gagne chaque jour un peu plus de terrain. Au cours de ces dernières semaines, on a même réussi à soulever les jeunes, chaque vendredi après la prière, contre la mesure de régularisation du commerce des boissons alcoolisées. Un journal arabophone, qui a ameuté la République, les mosquées, les zaouïas, contre un ministre, membre du gouvernement Sellal, a ouvert ses colonnes à un langage belliqueux qui rappelle les moments les plus noirs de notre histoire récente. Jusqu’à quand gardera-t-on ainsi la jeunesse algérienne prisonnière d’une idéologie moyenâgeuse et d’une formation au rabais?

Amar Naït Messaoud

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