L’association du village Tizekht, sous la présidence de Chaoui Rachid, a rendu vendredi passé un vibrant hommage aux 14 martyrs tombés au champ d’honneur le 24 avril 1956 au lieu-dit Ifri, situé à environ cinq kilomètres du village.
La cérémonie a duré une demi-journée, et une visite guidée vers le lieu même du combat où une stèle est déjà en construction a été effectuée. La montagne d’Achtoug flirte avec un nuage cotonneux descendu du ciel mélangé à de la verdure. Ils forment ensemble un panorama splendide, agréable à scruter même de loin. C’est au détour d’un virage que nous apercevons au loin, Trouna, le chef-lieu communal languissant au soleil de printemps qui commence à planer sur une ville encore endormie. En traversant la rue principale qui mène au siège de l’APC, il n’y avait pas beaucoup de monde qui circule à pied ou en voiture. Chose tout à fait logique, c’est le premier jour du week-end et les gens, après une semaine harassante de labeur, préfèrent se reposer. Paradoxalement, la placette du siège de l’APC grouille de monde, car c’est l’endroit où convergent les invités, attendus par les membres de la famille révolutionnaire. On a rejoint le groupe et c’est Mokadem Md Ouidir, membre de l’association du village Tizekht et fils de chahid, qui nous a reçus et nous a présentés à Chaoui Rachid, chargé de nous raconter comme témoin oculaire, le déluge de feu qui s’était abattu sur le village Tizekht les 23 et 24 avril 1956, une date gravée dans les mémoires des habitants qui ont tout perdu les jours suivants. La première halte, nous l’avons faite à Tizekht ou Dda Rachid commençait à raconter ce que les habitants ont enduré durant deux journées de braises. «Deux compagnies comptant 80 moudjahidines chacune ont passé la nuit dans notre village où elles ont diné. Le matin, de bonne heure, la sentinelle de garde signalait une patrouille de l’armée française se dirigeant vers notre village. Les moudjahidines sont sortis immédiatement du village. Une partie a remonté la rivière Bouguellid jusqu’au sommet de la montagne d’Achtoug où deux artilleries ont été installées, l’autre partie est éparpillée sur le flanc de la montagne. Mais seulement, l’armée française a elle aussi installé un char sur le mont Arbtat situé à la même altitude et juste en face du mont Achtoug. Les soldats suivaient tout le mouvement des moudjahidine. Le char commençait alors à tirer sur les moudjahidine, puis il est relayé par cinq avions qui bombardaient aussi. Six moudjahidine ont été tués, parmi eux deux complètement calcinés. Les moudjahiddine éparpillés dans la nature ont tué de leur côté beaucoup de soldats ennemis, mais nous ne savions pas le nombre exact, car leurs camarades les récupéraient. Pour les venger, le char tirait ses bombes sur le village. Une fillette tuée et plusieurs blessés parmi les civiles qui fuyaient leurs maisons. Quand les soldats sont partis, les habitants ont déserté le village pour se refugier dans les grottes d’Ifri, occupées auparavant par quelques moudjahidine qui leur ont cédé l’espace.
Le lendemain donc, quelqu’un nous a dénoncés et l’armée est revenue avec un grand renfort. Les soldats balançaient les civiles en les jetant dans le ravin de plus de 300 mètres plus bas. Les corps arrivaient déchiquetés. Au total, 14 civiles tués et c’est pour ces chouhadas que nous allons ériger une stèle sur le lieu même du carnage, avec une plaque en marbre où seront transcrits leurs noms», a raconté en détails notre interlocuteur. Il arrêta son récit pour que nous puissions nous rendre à Ifri. Nous roulons sur le CW 35 et au bout de trois kilomètres, on a quitté la route goudronnée pour prendre par une piste fraichement réalisée sur un flanc accidenté. Etroite, elle permet juste le passage d’une seule voiture. Elle est d’une distance d’environ deux kilomètres.
Nous sommes arrivés enfin à Ifri où, déjà les autorités locales, quelques moudjahidine et beaucoup de fils de Chahids, des sections de l’ONEC de Seddouk et de Béni Maouche ont honoré par leur présence une cérémonie bien organisée, laquelle a tenu toutes ses promesses. Kassaman a retenti sous une salve de coups de feu. Un imam a récité la Fatiha et c’est le chef de la daïra de Béni Maouche, représentant du wali de Béjaïa, qui a posé la première pierre pour l’édification d’une stèle dont les travaux ont été déjà entamés avec les dons des généreux donateurs. La délégation s’est ensuite retournée au siège de l’APC. Dans la grande salle des délibérations, il y a eu la projection d’un film sur l’histoire de la révolution, des prises de parole, la remise des cadeaux aux familles des Chahids tombés à Ifri. La cérémonie s’est achevée vers midi par une collation. Il faut dire aussi que le village de Tizekht a tendance à se vider totalement du fait que juste après la bataille du 24 avril 1956, les habitants ont été châtiés et délocalisés vers des villages de Seddouk. Ceux qui sont revenus en 1962 se comptaient sur les doigts d’une main.
Le village est collé à un flanc accidenté où les conditions de vie sont extrêmement rudes. Le séisme de l’an 2000 a frappé aussi ce village, détruisant des habitations. L’année dernière, un incendie «géant» a tout ravagé. Voilà les raisons qui ont fait fuir ses habitants.
L. Beddar