Le nouveau sens des luttes syndicales

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La célébration de la fête du 1er mai en Algérie a immanquablement subi la « patine » du temps, par rapport à un parcours qui, dans la plupart des pays du monde, est semé de lourdes interrogations et de grandes remises en cause. Le sens festif que la classe ouvrière à travers le monde tenait à célébrer et à perpétuer jusqu’au milieu des années quatre-vingt du siècle dernier, a été radicalement chamboulé par la fin de la guerre froide, la disparition des deux pôles qui menaient le monde et surtout le triomphe du capital. Ce dernier a presque eu sa revanche par rapport à la fièvre socialisante des années qui ont succédé à la deuxième Guerre mondiale. L’Algérie a beaucoup célébré cette date. Elle y avait mis le faste et les cérémonies idoines. Le rite en valait la peine, particulièrement après la fin de la colonisation qui signifiait la reconquête non seulement du territoire national, mais également de la dignité humaine, y compris celle inhérente au monde du travail. Fini l’indigénat, fini la khamassa. Les Trois révolutions- agraire, industrielle et culturelle- lancées sous le règne de Boumediene avaient bénéficié de la spontanéité et de la candeur d’une population malmenée par plus d’un siècle de colonisation. L’on se souvient des kermesses du 1er mai à la Place du…1er mai d’Alger. Elle ne différait pas beaucoup de la kermesse ouvrière de la place Rouge de Moscou. Les congratulations entre syndicalistes et officiels de l’administration et du gouvernement avaient cet air ingénu qui, en réalité ne présupposait aucun enjeu particulier, du fait que l’Algérie vivait officiellement sous l’ère du « socialisme ». Autrement dit, il n’y avait presque pas de patronat à fustiger ou à malmener par des grèves, par exemple. L’employeur principal était l’État, nourri, lui, par les recettes en hydrocarbures. Cela a continué pendant plusieurs années, avec le même rythme et les mêmes couleurs du… parti unique. En effet, l’activité syndicale a été fortement encadrée par le parti, à telle enseigne que les organisations politiques clandestines qui essayaient de jouer à l’ « entrisme » dans l’UGTA étaient persécutées. Le point culminant de ce difficile mariage a été observé pendant les événements d’octobre; plus précisément, pendant les journées de tension syndicale à Rouiba et à Réghaïa qui ont précédé l’explosion. Dès la libéralisation du champ politique en 1989, la mouvance intégriste avait identifié et déniché un précieux champ de manœuvre, en investissant le syndicat. Ainsi, fut crée le Syndicat islamique du travail (SIT), une officine ou un appendice de l’ex-FIS. Il a fallu toute l’ingéniosité d’un Abdelmalek Benhamouda, secrétaire général de l’UGTA à l’époque, pour combattre sur le terrain cette officine intégriste. Son coup de grâce viendra avec l’annulation des élections législatives de décembre 2011. Ce même Benhamouda sera assassiné quelques années après sur le perron de la Maison du peuple, à Alger.  Pendant le règne du terrorisme, l’action syndicale était presque mise sous éteignoir, préférant défendre l’Algérie d’abord en tant qu’entité menacée dans son intégrité. Pourtant, sous l’effet du plan d’ajustement structurel (PAS) dicté par le FMI à l’Algérie, des centaines de milliers de travailleurs furent licenciés des entreprises publiques. Ces dernières voyaient des dizaines de leurs unités se fermer chaque mois. L’État n’eut d’autres choix que de créer des dispositifs sociaux (filet social, pré-emploi, caisse de chômage,…) pour amortir le choc de la chute économique du pays. Après les années de la terreur intégriste, la reprise économique de l’Algérie avait nécessairement induit d’autres modèles de fonctionnement et d’intervention. Le secteur privé commençait à gagner sa part dans l’économie, même si, globalement, le système entier était bâti sur la rente pétrolière, soit 97 % des recettes extérieures du pays. Indubitablement, le besoin de syndicalisation se faisait plus pressant face à un champ économique nouveau, non encore encadré par une législation adéquate. Les pouvoirs publics ont essayé d’encadrer les relations de travail, la rémunération et d’autres volets socioprofessionnels dans ce qui est appelé le Pacte social et économique. La Tripartite (gouvernement, syndicat, patronat) s’est réunie seize fois pour corriger le tir, instaurer un nouveau Smig (souvent rongé par l’inflation), huiler les mécanismes de travail,…etc. La dernière réunion de février 2014 avait décidé l’annulation de l’article 87-bis du code du travail sur la base duquel est calculé et réglementé le Smig. Ce dernier était, en quelque sorte, prisonnier d’une législation obsolète instaurée dans la foulée des injonctions du FMI au milieu des années 1990. L’abrogation de l’article 87-bis a insufflé par mal d’espoirs chez les travailleurs. Cependant, selon des calculs faits par les institutions concernées, les augmentations de salaires issues de l’abrogation de cet article ne concerneront pas tous les travailleurs. Il s’agit surtout des bas et moyens salaires. Ce sont 1,2 millions de travailleurs de la Fonction publique et quelque 3 millions de travailleurs du secteur économique (public et privé). Le 1er mai, qui signifie la fête des travailleurs, la liberté syndicale, la dignité de ceux qui créent les richesses, prendra, de plus en plus, en Algérie, les couleurs des nouveaux défis qui se posent à l’économie nationale en matière de diversification des activités et de voies de sortie du système rentier. Sans doute, le mérite de lutter dans un système de production, mais naturellement soumis à la contradiction des intérêts du patronat avec ceux des travailleurs salariés, est nettement plus grand et plus porteur que le simple fait de festoyer dans un système rentier dont les lendemains sont faits d’horizons bouchés.

Amar Naït Messaoud

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