Thimes ou le dilemme cornélien

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Encore une histoire d’amour. Encore une histoire de roi et de princesse. Encore une fin tragique, car le sang coule dans cette pièce comme dans l’autre. Mais comme dans l’autre, le succès est foudroyant.

Certes, les deux pièces se ressemblent, du moins quant au dénouement. Dans Tifi, le principal personnage, sorti de la plèbe, meurt d’un coup de poignard. Dans Timest, joué jeudi dernier à la maison de la culture, le héros de la pièce se donne également la mort en s’enfonçant un poignard dans le ventre. La ressemblance se renforce davantage quand on a eu la chance d’avoir assisté aux deux spectacles : le roi et Tudart dans Tifi et le roi et le forgeron sont joués par les mêmes comédiens : Abdenour Azradje et Malek Fellac. Comme, par ailleurs, les deux pièces sont écrites par le même auteur, en l’occurrence Lyes Mokrab et que celui-ci avec sa trilogie (Massinissa, Tifi et Timest) semble bien parti pour faire carrière dans le théâtre, surtout dans la tragédie, ou comme il l’affirme lui-même, le drame, mais nous en discuterons plus loin, il faut convenir que les deux pièces, dont il est question ici, ont de quoi dérouter plus d’un spectateur par leur profonde similitude. Pourtant, le public ne s’y est pas trompé. Le thème est si différent : Tifi, que les femmes du village jalousent pour sa beauté et ses richesses, affronte la colère et la bêtise générale avec tant de courage qu’elle s’attire l’admiration de tous les jeunes, dont Tudart qui la défend au prix de sa vie. Dans, Times (Le feu), au contraire, le forgeron se pose comme le champion d’un idéal libertaire qui lui fait affronter le roi et l’étranger, propagateur d’une foi zoroastrienne. Cette passion pour un idéal aussi beau le conduit à mettre le feu au palais royal avant de se donner la mort. La question qui se pose, au sortir du spectacle pognant, est à la suivante : à quel registre rattacher les deux dernières pièces de ce jeune et génial auteur ? A la tragédie ? A la comédie ? Ou bien, comme il nous déclarait lui-même, un drame ? Pour trancher une telle question une définition s’impose. Voici ce que dit le Larousse à propos de la tragédie : « Pièce de théâtre dont le sujet est le plus souvent emprunté à un mythe ou à l’histoire, mettant en scène des personnages illustres et représentant une action destinée à provoquer la pitié ou la terreur, par le spectacle des passions humaines et des catastrophes qui en sont la fatale conséquence.» Et voici comment il définit la comédie : «pièce de théâtre destinée à provoquer le rire par le traitement de l’intrigue, la peinture satirique des mœurs et la représentation de travers et de ridicule.» Mais voici ce qu’il dit du drame : pièce, film, etc. d’un caractère général grave, mettant en scène des sentiments pathétiques et des conflits sociaux (par opposition à la comédie).Et encore ceci : «Pièce de théâtre de ton moins relevé que la tragédie ou le comique peut se mêler au tragique. Ton moins relevé qu’est-ce à dire ? Le registre, d’abord, est comi tragique, c’est-à-dire que le rire fait baisser le ton tragique et empêche l’émotion d’être à son paroxysme. Mais il y a aussi l’action qui, évoluant de manière tragi comique, débouche sur une fin heureuse. Cela dit, reposons la question à la lumière de ces données : à quel registre se rapporte Thimes ? La pièce est-elle un drame, comme son auteur le pense ? Non, puisqu’il n’y a aucune scène comique. Il y a, certes, le rire, mais ce rire grinçant vient de la douleur ou du mépris de ceux qui souffrent pour le roi, l’étranger et la caste qui s’appuient sur l’armée pour tyranniser le peuple. Non seulement il y a une forte de fatalité qui pèse sur son destin, mais, les effets tragiques sont partout : dans chaque mot, dans chaque réplique et dans chaque geste qui les accompagnent. De plus la situation  va crescendo et la fin est prévisible. La pièce se termine dans le sang. Enfin le sujet est emprunté à la légende, et, conformément à la tragédie classique, la pièce sacrifie aux règles des trois unités (action, temps et lieu).

Dans Tifi, la ressemblance avec Iphigénie est frappante dans le ton aussi bien que dans l’atmosphère qui enveloppe certaines scènes comme celle où l’on voit Tifi offerte en sacrifice au dieu de la pluie pour apaiser son courroux. En assistant à Thimes, c’est à Polyeucte, que l’on pense un peu, car dans cette pièce, le héros est proprement cornélien. Se détournant de l’amour de Pauline, Polyeucte, un roman chrétien brise les statues des dieux et veut aller à la mort en martyrs.

Quoi qu’il en soit, l’auteur de Thimes comme de Tifi doit songer à bannir le rire de ces deux pièces non seulement parce que ces deux pièces auxquelles nous avons assisté sont de vraies tragédies dans la lignée d’un Caligula de Camus ou d’un Huis clos de Sartre, mais aussi parce qu’il n’y a aucun effet comique. Par conséquent, il «charge» inutilement la pièce.

Aziz Bey

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