Yennayer sur la neige

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Par : Rachid Oulebsir

A partir d’Allaghane, hameau où trône, encore à l’abandon, comme une bosse pleine de verrues, le “limes” romain de Tavlazt, la station de ski de Tikjda, est à plus de 80 km. Trop loin donc même si le parcours forestier enneigé vaut bien le détour pour une journée. Le col de Chellata, plus près sur les hauteurs d’Akbou, est encombré de visiteurs, des familles mais aussi des écoliers en excursion. Nous optons pour Ain-Zebda, une vieille station hivernale sur les terres d’At-Mélikèche, proche du col de Tirourda, à 1800m d’altitude dans les contreforts méridionaux du Djurdjura.Trois routes y mènent en remontant de la haute vallée de la Soummam. On peut démarrer de Chorfa et emprunter la RN 15 qui serpente vers Larbâa- N’Ait-Iraten, ou s’aventurer à partir de Tazmalt sur la départementale N°7 qui monte vers Agoni-Goroiz, le chef-lieu communal des At-Mélikèche. La seconde route, plus touristique, est une voie étroite réputée difficile. Il faudra un 4×4 pour s’y hasarder. La troisième voie part de Lvir-Leqsar, traverse la butte de Tassargant, pour rejoindre au dessus du mausolée de Sidi-El-Moufak la départementale N°7 qui file vers Akbou par la montagne d’Iazounen. Les deux chefs de familles auraient voulu adopter l’itinéraire le plus sûr pour les deux véhicules, à savoir remonter par Chorfa via Selloum en contournant Takerbouzt, village réputé le plus populeux de toute la Kabylie, mais sur insistance des adolescents ils optent pour le pèlerinage à travers les hameaux des At-Mélikèche, que la pauvreté a gardé dans leur architecture authentique. « Nos enfants sont coupés de leur racines par l’invasion culturelle occidentale et orientale. Yennayer nous offre l’occasion de renouer avec le temps des ancêtres mais aussi leur espace », explique Rachid pour justifier cet itinéraire à travers les hameaux des At-Mélikèche, édifiés à partir du 15ème siècle à la limite de la fonte des neige, par leurs belliqueux ancêtres amazighs chassés de la Mitidja par les Beni-Merine et les Taalbas.

Ouvrir la porte de l’annéeTrois adolescents, quatre enfants et autant d’adultes s’affairent aux préparatifs ce matin du jeudi 12 janvier 2006. Tassadit, la grand-mère n’est pas de bonne humeur. Elle n’aime pas voir ses enfants partir à l’aventure. Elle invente de multiples motifs pour dissuader ses petits-enfants, l’éloignement, le froid et surtout le respect de la coutume : « Qu’est ce que cette trouvaille ? Fêter Yennayer là- haut sur la colline, sur les pentes enneigées, alors que nos ancêtres ont toujours réservé la soirée pour accueillir le nouvel an.A mon âge je ne peux plus vous préparer le couscous au poulet et aux sept herbes. Vous le remettrez à demain. J’espère que vous ne rentrerez pas trop tard pour que je puisse conter les légendes de Yennayer à vos petits enfants », supplie l’octogénaire contrariée Yennayer de cette année 2956 est particulier. Il arrive deux jours après l’Aid-El-Kebir, qui célèbre le rite sacrificiel d’Abraham. Le problème de la viande ne se pose donc pas, les côtelettes du mouton garniront avantageusement le barbecue prévu en plein tapis neigeux. Il est 11heures. De menaçants cumulus grisâtres colonisent un ciel bas, déchiré par de soudaines éclaircies flamboyantes. La météo a prévu une belle journée malgré quelques gouttelettes bonnes à effrayer les frileux. Les sacs et les paniers sont chargés. Les coffres des deux véhicules sont pleins. Pas de différence entre l’essentiel et l’accessoire. Ce qui parait aux adultes chose futile s’avère primordial pour les enfants : « Je ne peux pas y aller sans un moyen pour faire de la glisse. A défaut de luge, je prend cette moitié de bidon en plastique”, dit Samy le lycéen. « Il me faut d’autres pellicules, n’oublie pas de passer par le village », dit Lilia la collégienne à son papa.Chihab l’instituteur est le spécialiste du barbecue. Faire un feu c’est son dada, à le croire pyromane ! Il prend toutes les précautions pour réussir son feu, même la neige ne l’effraie pas. Il emporte trois sacs de toile bourrés de planchettes, et de vieux journaux et une petite bouteille d’essence simili résidu d’un de ses chantiers de peinture de l’été passé. Samy qui a invité ses deux amis d’Akbou s’occupe des brochettes. Quatre à cinq par personne, nous voilà avec une cinquantaine d’aiguilles de roseau bien garnies de viande fraîche alternée de morceaux de tomate et de pelures de poivron. La grande plaque de fonte qui servira de gril est déjà dans la malle de la grosse berline de marque asiatique. Les enfants sont excités.Ils s’agitent dans leurs parkas, leurs doudounes et remuent l’herbe grasse de leurs grosses bottes. Samy, voudrait emmener Rex son petit chien, Racim se faire accompagner de sa grand-mère pour se bercer des légendes d’ogres fabuleux qui jadis auraient habité le mystérieux et lointain Tamgout.Nous partons de la maison fermière du grand-père sise à Tafraout, un immense plateau d’oliveraies qui s’étire au pied du Djurdjura, connu pour ses produits maraîchers mais surtout pour ses fruits de printemps, les nèfles notamment. C’est sur la haute plaine d’allaghane à l’est de la commune, occupée par les principales familles fondatrices du village de Tazmalt autour du souk hebdomadaire de la tribu des At-Mélikèche au début du 19ème siècle. Hayet a pris soin des victuailles. Comme pour Iwedjiven la fête des premiers labours d’automne ou Tafsout, les réjouissances d’accueil du printemps,Yennayer s’autorise un pique-nique très riche en fruits secs mais aussi des fruits de saison. Un énorme panier à provisions reçoit donc, en plus des nombreuses galettes, les dernières pommes et grenades du jardin, les glands cueillis cette saison, les figues sèches cadeau d’un ami d’At-Maouche, le pays des figuiers géants, des dattes sèches de la variété Kentich très sucrées mais bien sèches, des olives noires salées de cette saison sans oublier une importante quantité d’oranges et de mandarines. Le départ est donné vers dix heures. Les familles ont pris soin de fournir un copieux petit déjeuner aux enfants. Le froid donne de l’appétit.

Visiter un moulin traditionnelLa cueillette des olives tire à sa fin dans la haute vallée de la Soummam. Les paysans se sont accordés un répit durant les deux jours de l’Aid et la journée de Yennayer.La neige couronne encore les mamelons de la chaîne des Bibans, moutonnant à perte de vue. Le tapis blanc est plus épais, plus uni, sur les contreforts méridionaux du Djurdjura. Alignés face au levant, à mille mètres d’altitude, et blottis dans l’imposant massif culminant à 1900 m à Azrou-n’thor, les dix villages d’At-Mélikèche sertis comme les joyaux d’un chapelet sur le chemin de wilaya n°7 cachent des trésors du patrimoine culturel local : de vieilles maisons du Moyen-âge, des agoras séculaires, des mausolées sans âge, et surtout, des moulins à sang : pressoirs actionnés par des meules de basalte triturant l’olive à la vitesse d’un cheval pour fabriquer des huiles dorées, vert jade, lourdes et onctueuses comme du miel. Les enfants veulent visiter l’un de ces moulins antiques et voir de près la fabrication de l’huile d’olive.Nous saisissons donc l’opportunité et remontons par Tassargant vers les lointains hameaux de nos ancêtres pour nous arrêter chez M. Ziane Hamid, dernier artisan oléiculteur à fabriquer l’huile à l’ancienne, avec une meule de pierre tractée par un cheval..Avant Lemsela et Ighil-leqrar, deux villages qui se touchent pour n’en faire plus qu’un, la route serpente, remontant en pente raide vers Tighvirt. Des filets de fumée blanche montent des cheminées. Un rayon de soleil perce l’épaisse gangue de nuages gris, présageant une longue éclaircie. L’oliveraie de Tiza-Charikh dévastée par la neige et le gel l’an passé s’est péniblement reconstituée. Des troncs en apparence solides avaient été déracinés, fêlés comme de fragiles poteries d’argile. Le moulin de Ziane Hamid est une petite batisse isolée en contre-bas de la route, propre et ordonnée. L’atelier est réduit, avec une seule meule et une seule presse.La fumée monte du toit, en volutes perturbées par le vent, le petit atelier est en marche. La cour est en béton légèrement inclinée pour permettre l’évacuation des margines. Les tas d’olives sont séparés par des murettes de parpaing. L’atelier est un peu sombre. La meule, retenue au plafond par un axe, est actionnée par un cheval grâce à un attelage horizontal. L’animal en tournant autour de la cuve entraîne la meule. On y verse alors les olives qui sont triturées et broyées. Par une ouverture à la base de la cuve (El-hodh) on sort la pâte d’olive. Un jeune apprenti aide le maître moulinier. Il libère les scourtins (sacs ronds et plats tressés avec de la fibre végétale) du grignon,(Ighès) pour les remplir à nouveau de pâte d’olive fraîchement triturée. Le cheval blanc tourne à la voix de son maître. Le moulinier installe les sacs plats sur la presse, taâssart. L’huile de la première pression s’écoule dans un bac. C’est la meilleure huile, elle est dite vierge. Hamid nous la fait goûter avec un morceau de galette chaude. « Aucune comparaison avec l’huile des moulins électriques », constate Chihab.Les enfants sont tombés amoureux du cheval qui observe son maître avant chaque arrêt et chaque départ. Nous prenons de nombreuses photos.Un jeune ouvrier ôte les scourtins des chapelles pour les débarasser des grignons (noyaux écrasés) entreposés dans un coin du moulin : ils seront brûlés pour actionner la chaudière ou offerts aux paysans quand la quantité est importante. L’huile s’écoule doucement dans différents bacs de décantation alignés, remplis d’eau chaude. Plus légère, l’huile reste en surface. Recueillie à « la feuille » (grosse cuillere plate et large avec manche), elle est entreposée dans des bidons que les paysans récupèrent, après que le moulinier ait prélevé sa part, un septième du volume global. Hamid gave les enfants de figues sèches enduites d’huile nouvelle. « Ce n’est plus la peine de partir vers la haute montagne », propose l’un des trois lycéens. Les vieux moulins font partie de l’identité régionale, les paysans y sont attachés et leur accordent une valeur sentimentale exagérée. L’analyse froide des spécialistes leur attribue un allongement de la durée de trituration, donc une forte acidité même si le goût et la saveur de départ peuvent faire illusion. Ce n’est pourtant pas notre impression après une ultime dégustation de la gelée de caroube à l’huile nouvelle. Nous quittons avec regret la convivialité et la chaleur du petit moulin. Il est onze heures, un paysan entre dans la cour et débarrasse son baudet de sa lourde charge d’olives. Plus d’une demi-heure de route pour traverser les hameaux occidentaux de la commune et rejoindre la wilaya de Bouira par l’est. Nous sommes au dessus d’Idhriqène. En face, sur notre gauche, des éboulements monstrueux ont dessiné sur la face de la colline de hautes colonnes d’argile rougeâtres, des orgues herculéens qui découpent le coteau parsemé d’une moucheture d’oliviers ébouriffés par la main froide de la neige de part et d’autre de la grande rivière Assif-ou-Guentour, qui coule dans un bruit assourdissant. Les figuiers dénudés et les frênes, à l’allure souffreteuse sont plus adaptés à l’altitude, la neige ne leur a fait aucun mal. La chaussée étroite, défoncée par le creusement d’une canalisation de gaz, se rétrécit encore dans le hameau d’Idhrikène, ne laissant le passage qu’à un seul véhicule. Il n’y a pas grand monde sur la route, à l’exception de quelques adolescents conduisant des bourricots chargés de bouteilles de gaz. Sur notre droite la route entre dans la wilaya de Bouira. Elle mène vers la haute Kabylie. La voiture ahane dans la longue côte de At-Hamdoune, la cité dont le fondateur serait originaire du M’Zab. Nous passons à gauche d’Ivehlal, le village des marabouts descendants de Bahloul-ou-Assem, un Almoravide venu du Rio d’oro, l’actuel Sahara occidental. Après un hameau composé d’une dizaine de maisons à terrasses et à toitures de tuile romaine, nous entrons dans le chef-lieu d’Aghbalou, que nous traversons pour remonter vers Ain Zebda, la station hivernale abandonnée.

Papa, C’est quoi Yennayer ?Une vingtaine de virages après le cimetière de chouhadas des Bahalil, nous sommes à Ain-Zebda. Une puissante source aménagée en fontaine publique coule du flanc gauche de l’immense montagne vers un bassin de brique et de béton. Tala-Goudi, tel est le nom originel oublié de cette source connue il y a des siècles par les habitants de la région, avant que les colons français me la baptisent de cette traduction arabisée. Deux bergeries occupent l’aval de la route qui monte en lacets vers la grande Kabylie à travers une immensité de coteaux colonisés par le diss, cette plante ligneuse caractéristique du Djurdjura.. Nous remontons encore deux kilomètres jusqu’à l’ancien terrain occupé par les chalets coloniaux démantelés dans les premières années de l’Indépendance. Il y a beaucoup de monde. Un panneau indique que nous sommes en plein parc naturel du Djurdjura, donc une zone écologique protégée même si l’état d’abandon renseigne assez sur le peu d’intérêt accordée à la protection de la nature dans nos régions. Les voitures garées des deux côtés de la chaussée laissent un passage étroit. La neige a fondu en cet endroit idéal pour le pique-nique. Nous continuons la route vers le col de Tirourda. Nous atteignons enfin le tapis neigeux. L’altimètre du véhicule indique 1785 m. Nous dépassons une chênaie dense. Nous nous installons sur un terre-plein en contrebas du chemin. Plusieurs familles y sont déjà. Quatre jeunes proposent des ballades à cheval, d’autres jouent aux photographes ambulants.Une famille a laissé les traces encore fumantes d’un feu de bois. Chihab s’occupe de raviver les flammes et d’entretenir le brasier. Les enfants ont une faim de loup. On grille les brochettes en écoutant le vieux Rachid dérouler l’histoire de YennayerDebout les pieds dans la neige le vieux Rachid explique Yennayer aux enfants. Devant son éloquence, de nombreux jeunes qui jouaient dans la poudreuse se sont approchés. L’odeur de la viande grillée y est aussi pour quelque chose dans cet intérêt soudain accordée à la culture des anciens. La désaffection qui touche la culture nationale en général et la culture amazighe en particulier a des racines profondes et des causes plus récentes, le reflux du mouvement associatif n’étant pas des moindres. Quelques associations relèvent le défi avec des moyens réduits et une vision folklorique vidée de message civilisateur, de sens culturel, mystique et symbolique. Rachid directeur de collège, se sent un devoir pédagogique d’éclairer ceux qui veulent bien l’écouter. « Comme toutes les fêtes traditionnelles”, Yennayer semble perdre son sens originel, son contenu s’est appauvri avec le temps, pour devenir dans les familles qui le fêtent encore, un simple dîner où l’on consomme un couscous au poulet. La porte de l’année amazighe n’est plus ouverte avec l’éclat voulu et la mobilisation des premières années d’après l’Indépendance. « Autrefois, le jour de l’an amazigh était attendu avec fébrilité. Tous les travaux cessaient, la récolte des olives était interrompue pour quatre jours. Les personnes âgées affirment que les familles se rassemblaient dans la demeure de l’aïeul, décorée, repeinte et ouverte aux convives du clan. Les rites observés actuellement varient selon les régions encore habitées par les Berbères, de l’Egypte jusqu’aux îles Canaries. Dans la région de Ghadamès en Libye, le premier Yennayer est le jour des enfants. Ils y donnent libre cours à leur imagination pour jouer des tours aux adultes, une sorte de premier Avril avec un registre de farces très variées. En Algérie, dans les Aurès, la Kabylie et l’Oranis, ce sont les femmes qui s’adonnent à de grands travaux de nettoyage des demeures choisies pour accomplir le rituel de Yennayer ».Les pierres de l’âtre sont changées (Inyan el Kanoun), les travaux ménagers de l’année écoulée, métiers à tisser, mouture de blé et de divers condiments (Coriandre, poivron…) achevés. Les fumiers sont sortis des écuries. Les maisons sont nettoyées pour permettre l’entrée de la nouvelle année. Yennayer est un hôte exigeant, il aime la propreté et l’ordre. L’un des enfants avalant son casse-croûte interrompt son oncle : « C’est pas bête, cette façon de voir la vie, les ancêtres avaient de l’imagination » !Lilia zoome sans arrêt. Elle prend des photos en plongée vers la vallée de la Soummam. « Je pense à toutes ces filles qui n’ont pas la chance de sortir comme moi », se confie-elle à sa maman qui pour une fois se fait servir un casse-croûte par son mari ! Les lointains et mystérieuses toitures de tuiles rougeâtres qui abritent tant de rêves adolescents fascinent la jeune collégienne. Le vieux Rachid continue sa conférence, des adultes se sont joints à la petite assistance. On bavarde. On s’interpelle, on fait connaissance. Yennayer sur la neige qui aurait osé imaginer une telle conférence !

Les ancêtres avaient le respect de la nature« De l’oasis de Siwa en Egypte jusqu’aux îles Canaries dans l’Atlantique le cérémonial du jour de l’an amazigh revêt des formes diverses. Une seule pratique demeure identique, il s’agit du dîner du réveillon. Ce repas est précédé d’un rite sacrificiel symbolique qui consiste à faire couler le sang d’un coq fermier remplissant certaines conditions. La famille élargie se retrouve autour du couscous au poulet agrémenté de morceaux de viande séchée au soleil, (Achedlouh), conservés depuis le dernier Aïd-El-Adha. On se gave durant toute la soirée de fruits secs cachés pour la circonstance. Des grenades, des pruneaux des dattes, des raisins, des figues, sont sortis des jarres de terre cuite, des amphores bien dissimulées dans l’architecture de la maison berbère notamment dans la soupente (Tissi) qui prolonge l’écurie (Adaynin).Les adultes expliquent alors aux petits enfants l’arrivée de Yennayer et le calendrier agraire berbère. » explique le vieux pédagogue. Les enfants ont pris la clé des champs. Ils trouvent ce laïus rébarbatif. La glisse et le combat à coups de boules de neige sont plus excitants. On dévore les dernières brochettes avant de distribuer les fruits aux enfants et un à tous ces invités-surprise »Ce calendrier agraire, en usage dans toute l’Algérie du nord depuis bientôt 3000 ans, est construit sur les rythmes de la nature. Les journées sont regroupées selon la température, la longueur, les éléments naturels (canicule, froid, vent, neige) sans tenir compte des mois.Les travaux agricoles rythment le partage de l’année en périodes propices ou contre-productives. Les moments où il ne faut pas entrer dans les champs, ou au contraire les durées où tel acte agricole est fortement productif, sont consignés dans cet almanach. Une grande partie du discours des adultes est réservé aux oliviers, leur plantation, la récolte, le greffage, les variétés d’olives, le respect de l’arbre en général. Le jour de l’an coïncide avec le 12 janvier du calendrier universel. Les saisons ont une avance de trois semaines sur celle du calendrier Grégorien. L’hiver (Tagrest) débute le 29 novembre, le printemps (Tafsut) le 28 février. L’été (Anebdu) le 30 mai et l’automne (Lexrif) le 30 août.Avant l’avènement du monde moderne, le calendrier agricole amazigh répondait à des soucis concrets tels que les prévisions météorologiques, le suivi des récoltes, la sauvegarde des végétaux…  »

Offrande et partage« Le coq de Yennayer est particulier, Il ne s’agit pas de n’importe quel gallinacé. Le rite exige un choix pointu. Il ne faut pas égorger une poule pondeuse ou une poularde même bien grasse. La femelle est donc épargnée par Yennayer qui exclut également le chapon et les jeunes poulets. Le coq élu par le rite doit jouir de ses capacités de reproducteur, être âgé de plus d’un an, avec un plumage clair. Les coqs noirs sont interdits et plutôt réservés aux pratiques de soins traditionnels dans les maladies mentales. » Ajoute le conférencier champêtre qui ne pouvait finir son intervention en plein air sans évoquer un pan de la cosmogonie amazighe »Le repas rituel célèbre l’ouverture sur un temps nouveau, des jours à venir que l’on espère pleins de promesses, tranquilles, prolifiques et heureux. Une cérémonie de vœux et de prières est encore observée dans certaines familles où la tradition est sauvegardée. On y évoque les dieux de la religion païenne berbère : Lillou le dieu des eaux, Ifrou le dieu des espaces, montagne, plaines, rivières et grottes, ihouh,le dieu du tonnerre. Certains initiés expliquent que la nature a secrété ses propres protecteurs, des dieux champêtres et forestiers, sylvains, nymphes et autres satyres. Mais aussi ses prédateurs : Les animaux fabuleux des légendes berbères comme Tseriel l’ogresse capable d’avaler un troupeau de bœufs, waghzen, le cyclope ou encore lafaa, l’hydre à sept têtes qui sévit dans les sources (Tiliwa) et enfin les Jnoun, esprits malfaisants qui hantent les marécages et les eaux stagnantes (Amalous).On dédie la cérémonie aux forces du bien, aux anges, aux saints protecteurs, on rentre en communion avec la nature, en connivence avec les éléments naturels, plantes, animaux, vents, astres, par la narration d’histoires fabuleuses empreintes de bonté d’âme où des géants au cœur d’or viennent corriger les méchants diables qui propagent le mal, déguisés en animaux vicieux et versatiles comme l’hyène (Ifis), le serpent (Azrem), on invite, on offre des repas, des plateaux de fruits aux voisins. On partage le coq de Yennayer avec quiconque se présente à la porte de notre demeure”. Il est cinq heures, le soleil avant de se cacher derrière le buste épais de Lalla Khedidja incendie les derniers filaments de cirrus comme autant de mèches éphémères qu’éteindra le voile impitoyable de l’obscurité. Nous ramassons nos bricoles, éteignons le feu à l’aide de neige et redescendons par la route nationale 15, surplombant Takerbouzt, le village aux mille légendes. Des panaches de fumées blanchâtres montent en volutes des centaines de cheminées comme de fantomatiques créatures à la conquête du ciel. Nous entrons sur la RN 26, Yennayer nous a offert une journée inoubliable.

R. O.

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