Des spécialistes en parlent à Bouira

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Toutes les crèches remplissent-elles le contrat moral qui les lie aux parents qui leur confient leurs chères progénitures ? En d’autres termes, « éduquent »-elles suffisamment l’enfant en lui inculquant les bonnes habitudes qui lui permettent de faire son entrée à l’école de façon harmonieuse ? Il faut croire que non. 

Car, si l’on se réfère à l’intervention de la directrice de l’action sociale (DAS), lors de la journée d’information qu’elle a organisée jeudi dernier à la Maison de la culture, à l’intention des directrices des 43 crèches de la wilaya, certaines de ces crèches failliraient à cette noble mission. Leurs programmes d’activités ne seraient pas toujours conformes aux instructions officielles, et l’ordinaire servi aux enfants ne répondrait pas aux exigences fixées pour leur développement. Aussi, la responsable du secteur, qui affirmait qu’elle se basait sur des constats faits lors de l’inspection de nombreux établissements à travers la wilaya, a-t-elle menacé de fermeture ceux de ces établissements qui ne respecteraient pas les conditions requises ? Et de promettre de multiplier les tournées d’inspection pour un contrôle plus rigoureux du fonctionnement de ces établissements ?

Place et rôle de la crèche dans le système éducatif

Le premier à aller de sa communication sur le sujet est le docteur Brahim Fadhel. Il a commencé par définir la crèche comme un lieu de tranquillité où peut s’élaborer une relation de confiance et d’affection même, la pédagogue étant généralement identifiée par l’enfant à sa propre mère. S’appuyant sur le décret 8/287 du 19 09 2008, portant création, organisation, fonctionnement et contrôle de ces établissements accueillant la petite enfance, le conférencier distinguait la crèche, où s’effectue l’accueil des enfants âgés de 3 mois et moins de 3 ans, du jardin d’enfants ouvert aux enfants de 3 ans à moins de 5 ans. La halte-garderie, elle accueille épisodiquement tous ces enfants, alors que les centres d’accueil sont des établissements qui rassemblent tous les âges avant la scolarisation. Il abordait ensuite la question du règlement intérieur qui fixe les conditions de fonctionnement, de sécurité de santé. A ce propos, le docteur Fadhel insistera sur la présence d’un médecin pour le contrôle d’hygiène, la création d’un conseil pédagogique afin d’établir un bilan des activités et un rapport annuel adressé à l’autorité de tutelle. Quant à l’élaboration des programmes pédagogiques, l’intervenant mettra l’accent sur la formation des pédagogues et les moyens pour accompagner didactiquement ces programmes. Il préconisera l’association des parents à leur élaboration et la détection précoce des maladies handicapantes afin de les guérir ou les signaler lorsque l’enfant arrivera à l’école primaire. Concernant la restauration, la santé et la protection, le conférencier a fait savoir que 8 crèches dans 8 daïras, dont celles de Bouira, M’Chedellah, Lakhdaria, ont fait l’objet de visites d’inspection qui ont permis de recenser 378 enseignants et 72 enseignantes.  

La relation mère-enfant

Le docteur Adelmadjid Touane axera son intervention sur la personnalité de l’enfant, qui, d’après lui, ne pourra s’épanouir pleinement que grâce à la qualité des relations qui s’établissent entre l’enfant et celles chargées de son éducation, lesquelles s’approchent le plus possible des relations maternelles fondées sur la tendresse et l’affection. La séparation d’avec la mère est toujours suivie d’un choc, selon lui. Selon leur importance, ces chocs peuvent parfois entraîner des troubles psychiques qui, sans une prise en charge de qualité tant au niveau des relations que des programmes, pourraient s’aggraver avec le temps et être cause d’échec dans la vie. C’est pourquoi la séparation d’avec la mère doit être progressive. Le rôle du père auprès de l’enfant est secondaire. Il incarne la sécurité la protection, selon ce jeune universitaire qui a travaillé dans Village SOS et qui témoignait de cette expérience vécue auprès d’un groupe d’enfants assistés qui avait tissé des liens quasi paternels avec le directeur de ce centre, mais qui devaient connaître des problèmes après sa disparition.  Le développement de l’enfant dépend donc de beaucoup de facteurs : une mère affectueuse et tendre, un père suffisamment présent à la maison pour donner l’impression d’un équilibre et d’une protection, un établissement qui permet que la vie familiale et la vie qu’il propose se continuent et se complètent sans heurt, les pédagogues qui président à la destinée de ces chérubins étant attentives, compréhensives et elles-mêmes affectives de manière à renfermer en elles ce capital d’affection et de confiance nécessaire à l’épanouissement de la personnalité de ceux dont elle assure à la fois la garde et l’éducation. C’est ce qu’il appelle « transfiguration », processus psychologique qui permet à l’enfant de voir dans l’établissement qui l’accueille la maison familiale avec tous les membres de la famille, la pédagogue incarnant la mère et les camarades les frères. Dénonçant l’imperfection des programmes, le conférencier plaidera pour la définition des priorités dans toute action pédagogique.

Relation entre famille et établissement

Qualifiant le passage de l’enfant de la famille à l’établissement « d’étape inquiétante », pour le professeur Ali Dardaf, la « nouvelle vie » s’accompagne d’un « changement de l’environnement » qui se réalise à travers trois types de relation : social, psychologique et économique. A la maison, l’enfant vit une relation étroite avec sa famille, particulièrement avec sa mère qui le cajole, le gâte, bref le materne. A la crèche, après un bref passage où ses capacités d’adaptation entrent en jeu, il fait, pendant quelques heures, le dur apprentissage de la vie loin des siens. Cela pose généralement problème. Sa mère ne voit que par lui, qu’à travers lui. Il accapare son attention et son affection. A la crèche, il n’est pas seul. D’autres que lui, lui disputent les « faveurs maternelles » de la pédagogue. D’où, selon le jeune universitaire, la nécessité d’un pacte entre la famille et l’école afin de créer une passerelle entre l’établissement et la maison. Les échanges qui s’effectueront entre les parents et les enseignants faciliteront la tâche de ces derniers pour une formation de qualité fondée sur la connaissance, la culture et les valeurs. (A ce stade, le social et la psychologie sont tellement imbriqués qu’il est difficile de faire une dissociation).  La relation économique s’exprime à travers la participation à l’effort fait par la direction pour un bon fonctionnement de l’établissement. Les parents peuvent aider à la détection et à la lutte des défauts présentés par l’enfant. Leur concours est également nécessaire à la préparation de l’enfant à l’école primaire. (Ici, la nature de la participation n’est pas explicitée par le conférencier. On ignore s’il s’agit de soutien financier ou simplement moral). Le docteur Zouina Halouane a présenté un aperçu sur la relation mère-enfant. L’enfant a besoin certes d’affection mais non sans doute d’une mère trop possessive. Victime de sa cécité celle-ci risque souvent de ne pas voir certaines pathologies handicapantes, qui diagnostiquées tardivement peuvent être cause d’échec dans la vie scolaire et plus tard dans la vie professionnelle de l’enfant. Aussi, la conférence misait-elle sur la vigilance de celles à qui incombe l’éducation de l’enfant pour remédier à ce défaut et repérer les troubles qui s’installent par exemple au niveau du langage et les signaler au médecin en vue de leur traitement. La crèche est, en outre, considérée par le docteur Haloune comme le lieu d’apprentissage de l’autonomie, phase incontournable dite de socialisation. La séparation d’avec la mère est donc nécessaire. L’enfant apprend à ne pas toujours dire non. Mais la conférencière est pour des programmes intelligents qui n’excèdent pas 20 mn, sans quoi, ils deviendraient abêtissants. Enfin, l’apprentissage en groupe lui paraissait plus profitable, étant prouvé que, seul, l’enfant apprend moins vite.Le docteur Hocine mettait, d’emblée, dans son intervention, l’accent sur quatre petites choses simples : sport, repas, repos, sommeil, car, selon lui, elles sont essentielles au développement harmonieux du corps et de l’esprit. Et de dresser une pyramide où le sucre et les produits sucrés se situent au sommet. Viennent ensuite les matières grasses (viandes, œufs, poissons, poulets, lait), les fruits et les légumes (au moins cinq par jour) et les aliments (riches en végétaux pour faciliter le transit intestinal). Le conférencier a rappelé que notre organisme a besoin quotidiennement de 10 à 15% de matières grasses, de 30 à 35% de lipides et de 50 à 55% de glucides. Conseil : pour bien grandir, il faut non seulement manger équilibré mais respecter les horaires des repas et surtout bien manger le matin afin d’éviter le coup de pompe de dix heures. Insistant particulièrement sur le respect des règles d’hygiène, il a fait remarquer que 50% des cas d’intoxication alimentaire viennent de nos mains. Et de rappeler le triste et tout récent épisode de Bordj Ménail où plus de 100 personnes ont été intoxiquées par le yaourt avarié. Enfin, le dernier intervenant est l’orthophoniste Nadjima Zekri qui a fait un exposé sur le rôle affectif de la mère dans le développement de l’enfant. A l’exception de l’exposé de Mme Halouane qui est allée à l’essentiel, les communications ont été longues, la psychologie de l’enfant a été survolée, le programme ignoré (celui exposé par le représentant de l’éducation parlait de méthode et d’enseignement propres à l’école primaire. L’enfant dont il a été question est issu d’un couple modèle. Qu’en est-il de l’enfant qui baigne en permanence dans un climat familial dégradé (père alcoolique, enfant orphelin, marâtre) ? Qu’en est-il de la relation fille-mère et père-fille, car l’enfant présenté à cette rencontre avec les responsables d’établissements accueillant la petite enfance est toujours un garçon ? Quant aux programmes qui y sont enseignés, rappelons qu’ils se composent essentiellement de comptines chantées ou racontées et que les activités manuelles sont omniprésentes. 

Aziz Bey  

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