«Il faut féliciter tous les partenaires»

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Natif de Béjaïa,

Le docteur Sahi Bachir, exerce en qualité de médecin rééducateur au CHU de St Etienne (France). Dans l’entretien qui suit, il a bien voulu répondre à nos questions.

DDK : Vous avez été à l’origine de la prise en charge de M. Baibou Ahcene, qui vient d’être opéré d’une fracture ostéomyélite du fémur à la clinique privée Sabéha Kara. Un mot là-dessus ?

Dr Bachir Sahi : Sur demande du patient et après accord de son chirurgien du CHU, j’ai présenté son dossier au colloque mensuel du CHU de Saint-Etienne, réunissant infectiologues, bactériologues, radiologues, pharmaciens et orthopédistes. Dans le cadre de la coopération médicale entre les CHU de Béjaïa et Saint-Etienne, le Pr Farizon Fréderic, orthopédiste, l’a opéré à Béjaïa le 12/5/2014. Les prélèvements ont été acheminés à Saint-Etienne et le Dr Céline Cazorla, infectiologue, a donné les instructions nécessaires en collaboration avec les infectiologues de Béjaïa. Le patient est resté 3 semaines en infectiologie à Béjaïa sous l’œil vigilant du Dr Outamazight et le Pr Nouasria. Par la suite, il a rejoint son domicile en prenant des antibiotiques. L’évolution a été favorable selon les contrôles biologiques hebdomadaires puis bimensuels, ceci pendant un an, ainsi que les contrôles radiologiques. Tous les éléments ont été communiqués, au fur et à mesure, par mes soins, à Saint-Etienne. Une deuxième intervention a été programmée après le feu vert de l’infectiologue, le Dr Cazorla. Le Pr Farizon a souhaité que l’intervention se fasse dans un lieu où l’hygiène hospitalière est satisfaisante. Le patient et ses sponsors (Les entreprises Sahi) ont choisi la clinique Kara. Le chirurgien Français a validé ce choix lors de sa visite, la veille de l’intervention.

Pourquoi deux interventions ?

En France, un à deux chirurgiens par département connaissent cette technique, en deux temps séparés, d’origine américaine. Les Grenoblois sont bien avancés dans ce domaine. 1- Technique des esquimaux : arrêt des antibiotiques 2 mois avant. Asepsie rigoureuse. Tailler les deux extrémités du fémur infecté de 10 cm de chaque côté. Mettre deux tiges en les collant avec du ciment gentalliné. Antibiothérapie adaptée aux prélèvements profonds. Attendre le feu vert des infectiologues pour entamer la technique RIA.

2-Technique RIA : Reaming-aspirator-irrigator ou Alésage-irrigation et aspiration de l’os spongieux du fémur sain avec une machine ressemblant à une grande perceuse aspiratrice surmontée d’un guide (canne à pêche). L’os est aspiré filtré puis remis dans le fémur sain après ablation des esquimaux et lavage septique. Pendant le transfert d’os, il y a traction du fémur malade et rajout de l’inductos qui est un os synthétique très cher, le tout autour d’un clou centromédullaire (Stryker).

Tout s’est bien passé et votre contribution a été appréciée par le patient

Il faut féliciter tous les partenaires qui ont contribué dans cette complexité médicale et solidarité scientifique qui a pu réunir les CHU de Béjaïa et St Etienne, les cliniques privées Kara et Benmerad et les entreprises Sahi. Une véritable solidarité scientifique et humaine autour d’un malade compliqué.

Justement, en évoquant l’hygiène hospitalière, d’après votre expérience en France, comment est-il possible de l’améliorer chez nous, à Béjaïa ?

Dans les autres hôpitaux, je ne connais pas le fonctionnement mais au CHU de Béjaïa, je pense qu’il faut interroger le Pr Nouasria Boubekeur qui est le chef de service des maladies infectieuses au CHU et il est en même temps le président du Comité de Lutte Contre Les Infections Nosocomiales (CLIN). Il y a certainement des procédures qui sont faites. En France, la tâche est très difficile et nous avons essayé d’y remédier depuis une vingtaine d’année en instaurant cette instance multidisciplinaire qui regroupe un référent médical et paramédical par service, un pharmacien, un bactériologue, un infectiologue, un spécialiste en hygiène hospitalière, des cadres de blocs opératoires, etc. Le CLIN se réunit 3 à 4 fois dans l’année. Il faut aider le bureau du CLIN en lui fournissant, à temps, les données demandées, respecter ses recommandations et se mettre à sa disposition lors des inspections semestrielles. Le CLIN est respecté à l’hôpital comme le fisc est respecté dans la société. C’est une autorité indiscutable. En l’absence de coopération de tout le monde dans les services, le CLIN n’ira pas loin. Le gestionnaire responsable du CLIN en France est le directeur des affaires médicales. Le directeur et le président du conseil médical de l’établissement sont informés des événements majeurs.

Dans le cadre de cette coopération entre les CHU de St Etienne et de Béjaïa, on a probablement prévu ce volet d’hygiène hospitalière dans la convention ?

Le Pr Berthelot Philippe, infectiologue au CHU de Saint-Etienne et président de la société française de l’hygiène hospitalière, est venu au CHU de Béjaïa, en octobre 2014, sur invitation du Pr Nouasria. Il était resté une semaine à analyser le parcours du patient et a donné au personnel du CHU les recommandations nécessaires vu que l’hygiène hospitalière est un des points faibles du CHU de Béjaïa. Il était convenu avec le doyen de la faculté le Pr Tliba, et le président du CLIN, le Pr Nouasria, d’organiser un diplôme universitaire d’hygiène hospitalière qui démarrera l’année académique prochaine, c’est-à-dire 2015-2016. Il est très souhaitable qu’Alger les aident notamment, M. le ministre de l’Enseignement supérieur, à réaliser ce premier diplôme universitaire en Algérie. Notre ministre de la Santé M. Boudiaf Abdelmalek n’arrête pas de mettre l’accent sur l’hygiène hospitalière lors de ses interventions. De notre côté à Saint-Etienne, nous fournirons, Inchallah, l’aide scientifique pour l’encadrement de ce diplôme.

En pratique, c’est quoi l’outil simple à mettre en place ?

C’est une question de volonté collective et d’éléments moteurs et fédérateurs autour d’un projet. N’attendons pas le formel.

– c’est la traçabilité et le suivi des infections en mettant en place soit un dossier patient informatisé soit un dossier patient en papier avec des onglets différents dont : Bactériologie. Les maladies concernent parfois plusieurs disciplines (urgences-traumatologie- infectieux, etc.) et donc, il faut une lisibilité du suivi avec des traces écrites.

– Affecter dans chaque hôpital un référent en infectieux et hygiène hospitalière avec un suppléant en cas d’absence qui sera disponible, joignable et abordable + N° de portable + adresse émail.

– Mettre en place un colloque mensuel comme au CHU de Saint-Etienne qui réunira : infectiologues, radiologues, orthopédistes, pharmaciens, bactériologues, quelques paramédicaux concernés et discuter des cas difficiles.

– L’infection est l’affaire du bactériologue et de l’infectiologue, le chirurgien et l’anesthésiste ne doivent pas s’aventurer dans ce domaine et ne doivent pas avoir de fierté mal placée. Ils doivent appeler leur confrère infectiologue et attendre son feu vert pour opérer, traiter ou réopérer. Travailler par e-mail ou par Fax, c’est mieux. L’avis téléphonique sans écrit risque de poser problème pour le suivi ou devant le juge.

– Il y a aussi l’hygiène de l’environnement : du bloc opératoire, du service, de la chambre, des toilettes, la désinfection des vêtements et de la literie, diminuer le nombre de visites, etc.

– Rajouter des blocs opératoires au CHU de Béjaïa afin que l’équipe puisse avoir le temps de bien les stériliser et les patients soient opérés rapidement, car chaque retard joue en faveur de l’infection. Il faut interroger les urgentistes, les chirurgiens et anesthésistes là-dessus.

Pour cela, faut-il beaucoup d’argent ?

Je souhaite que l’APW de Béjaïa puisse valoriser l’hygiène hospitalière comme elle valorise le football et donc donnera un peu d’argent à l’hôpital pour qu’il y ait moins de microbes. Je sais que notre wali aime le football et se déplace même avec le MOB . Cela est rare chez nous, en France. Donc, les autorités doivent aussi faire de même avec le secteur de la santé dans l’intérêt suprême de la population.

Nous vous laissons conclure…

Je souhaite une longue vie à la coopération entre les CHU de Béjaïa et ceux de St Etienne et remercie votre journal pour l’information de proximité qu’il donne à temps pour les populations de la région de Kabylie.

Entretien réalisé par A. Gana

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