Le Comité des fêtes de la ville de Béjaïa, en collaboration avec l’association « Bruit de Mots » et l’Institut Français d’Alger, a organisé avant-hier, un colloque sur la psychanalyse et sa relation à la créativité. Neuf psychanalystes algériens et français se sont succédés pour présenter une série de communications en essayant d’apporter quelques définitions et éclaircissements sur des concepts et des problématiques en rapport avec la créativité. Même si la salle du Théâtre Régional de Béjaïa qui avait accueilli l’événement n’était pas entièrement remplie, il y avait quand même un public relativement nombreux qui est venu assister à ce colloque dont l’accès était libre et ouvert à tous. Après l’ouverture officielle, la parole a été donnée aux différents intervenants, dont le premier était l’ancien ministre du Travail et de la formation professionnelle dans le gouvernement de Sid Ahmed Ghozali. Mohamed Boumehrat est également mathématicien. Dans sa communication, il a abordé la problématique de la créativité en mathématiques. Ainsi, le ton a été donné et le colloque a effectivement démarré. Le Dr Annie Topalov, psychanalyste à Paris, a abordé la question de « L’émergence et de la créativité des images dans la Cure ». On sentait chez elle une certaine pression due à la difficulté de lire son texte de manière confortable, dans un laps de temps de trente minutes. Malgré cela, elle a réussi à se dépasser et a fini par présenter son sujet avec clarté. Le Dr Topalov a également été modératrice des communications de l’après-midi, tandis que pendant la matinée, c’était le Dr Claude Guy, également psychanalyste à Paris et auteur-écrivain. En fin de journée, il a dédicacé son dernier livre intitulé « Ce corps en héritage, approche clinique de la filiation », publié chez Imago. Son humour et la pertinence de ses interventions ont permis de clarifier le vocabulaire de certains communicants, pour le rendre accessible au grand public, pas spécialement habitué au jargon des analystes. Le Dr Benjamin Abdessadok, également psychanalyste à Paris, a présenté une importante communication sur le Traumatisme au travers d’une communication intitulée « Le Traumatisme psychique et la création : l’apport de l’écoute analytique ». Le Dr Abdessadok est originaire de la région frontalière entre l’Algérie et le Maroc. Il n’est donc pas étranger à ce pays qu’il visite régulièrement dans le cadre de ses activités professionnelles.
Images, photos et dessins
La deuxième série de communications a été assurée par des psychanalystes venus de Marseille et qui découvrent Béjaïa. Ils sont habitués de l’Algérie, puisqu’ils viennent régulièrement animer des séances de formation au CHU de Bab El Oued. Mais c’est la première fois qu’ils visitent Béjaïa, qui a gagné leurs cœurs. Ainsi, Monique Prat, qui n’a pas omis de nous rappeler en aparté qu’elle porte le même prénom que la mère de Saint Augustin, a partagé une expérience qu’elle a eue avec une de ses patientes. Le principal outil utilisé était un album rassemblant diverses photos personnelles et familiales retouchées par la patiente. Monique Prat a donné des explications intéressantes sur les circonstances dans lesquelles sa patiente a été emmenée à retoucher des photos liées à son histoire personnelle. Ensuite, le Dr Jean Pierre Chiappe a parlé des dessins d’enfants. C’est un outil important de communication entre l’enfant et l’analyste. Le public a également réagi à ses deux communications, tellement le sujet a interpellé les assistants. Un des intervenants a posé des questions concrètes sur sa relation personnelle au dessin, ainsi que celle de ses enfants, dont l’un dessine, mais pas l’autre.
Peinture de Baya et les mille et une nuits
La séance de l’après-midi a été consacrée essentiellement à la création littéraire et artistique, quand le Dr Nicole Auffret, psychanalyste à Paris, a parlé de Baya, notre artiste peintre nationale. L’analyste a fait beaucoup de recherches sur Baya, mais la documentation à son sujet reste encore relativement pauvre. Elle a donc dû faire des déplacements à la recherche de sources d’informations sur notre artiste, afin de mieux traiter son sujet. Puis, le Dr Claude Guy, dont nous avons parlé plus haut, a abordé la question des points de rencontre entre « l’art, la psychanalyse et le trauma ». Enfin, pour cette première série de communications de l’après-midi, le Dr Gilbert Grandguillaume, anthropologue à Paris, a parlé du « Récit du trauma dans les mille et une nuits ». Il est à signaler que Gilbert Grandguillaume n’est pas étranger à l’Algérie, puisqu’il y a vécu dans les années soixante, essentiellement en Kabylie où il a appris les langues kabyle et arabe, et qu’il continue à les utiliser avec élégance. Il a également été un des enseignants de notre actuel ministre de l’Education Nationale, lorsqu’il était enseignant à Oran. La dernière partie du colloque a constitué en une intervention très remarquée du Dr Rachel Frouard, psychanalyste à Paris. Elle a des origines algériennes, puisque, dit-elle, sa grand-mère est kabyle, et ses ancêtres ont vécu dans la région d’Aumale, Sour El Ghozlane actuellement, dans la wilaya de Bouira. Elle a traité de la problématique de « l’illusion, en tant que fondement du processus créatif de soi et du monde ».
La dernière communication a été assurée par Nacéra Sadou, psychologue clinicienne à Alger. Elle a parlé d’un sujet qui a suscité de vifs débats : « Les pratiques à l’algérienne face à la question de la créativité ». En donnant des exemples concrets, et emmenant le débat sur le terrain local et national, elle a su capter l’intérêt du public. Les débats ont été surprenants et très émouvants parfois, lorsque, par exemple, un des participants a présenté le dernier ouvrage de son père, psychanalyste en Kabylie depuis des décennies, et qui était décédé juste la veille du colloque. D’ailleurs, l’intervenant a dû quitter la salle pour aller à l’enterrement de son père. L’autre moment également émouvant fut lors l’un des intervenants a lu à partir de la salle, un de ses poèmes emprunts de fortes émotions.
Cela a surpris tout le monde mais ça avait créé un grand moment de bonheur et de plaisir. Plusieurs analystes nous ont confié le plaisir qu’ils ont eu à communiquer dans cette atmosphère dépourvue du feutre auquel ils sont habitués en Europe, et de communiquer dans une atmosphère si détendue et si agréable.
Le Colloque a donc été une belle réussite. D’ailleurs, Malek Bouchebah, le président du CFVB, a même accepté de discuter sur le principe de renouveler cette expérience en abordant d’autres sujets. Le public bougiote semble être friand de sciences et de connaissances. Il suffira de bien étudier la question et de se préparer sans précipitation, et dans la sérénité.
Ce colloque a été le fruit d’un excellent travail de contact, d’organisation et de communication du Dr Faika Medjahed, psychanalyste à Didouche Mourad à Alger. C’est grâce à ses efforts et à son dynamisme que ces choses ont pu se faire.
N. Si Yani
