Le mois sacré que tout le monde attendait avec impatience a commencé comme chaque année, dans un climat empreint de piété d’affairisme et de fête. Si les mosquées n’ont jamais été aussi pleines ni aussi illuminées, si les affaires semblent ne jamais aller aussi bien, les fêtes qui s’annoncent, elles, promettent d’être aussi déjantées, aussi fastueuses les unes que les autres. Et cette coexistence du profane et du sacré loin de porter préjudice à la fraternité et à la solidarité au sein de la société en renforce, au contraire, les puissants mécanismes, tant il est vrai qu’en ce mois béni, il y a comme une espèce de transcendance qui transforme les faits les plus anodins de la vie en symboles et les charge d’un sens nouveau ! La sagesse et la frivolité le recueillement et le rire n’ont jamais été proches, et les gens les plus graves passent facilement d’une prière et d’une méditation à un divertissement de circonstance.
C’est, en effet, le mois où toutes les vertus et les «vices» s’expriment.
Le hadji découvre qu’il a un faible pour les tartes et le thé. Le fêtard le plus attitré prend soudain conscience de la vie dissolue qu’il mène depuis toujours et éprouve soudain le besoin de se ranger ne serait-ce que pour un mois. Mais que dire de ces femmes au foyer «écrasées» par leurs tâches quotidiennes qui rompent soudain avec les anciennes habitudes qui les attachaient à leurs devoirs et qu’une force irrésistible pousse brusquement dehors? Et cette famille entière qui, l’espace d’un mois, se réconcilie avec les arts, et en affichant ses goûts, court d’un spectacle à l’autre ?
C’est qu’on n’a jamais été aussi mélomane, ni mordu de théâtre, de feuilleton et de sketches qu’en ce mois sacré. Les rues, les vitrines et les cafés, toutes ruisselantes de néon, invitent à la fête.
Les cordons des bourses les plus serrés se délient devant les mille tentations qui se dressent comme des fées malicieuses sur le chemin des flâneurs, ici une grillade, là de grâce, une glace ou une pâtisserie…Comment résister à tant d’invités ? Comment garder sa tête froide devant tant de plaisirs, plaisirs pour les yeux, plaisirs pour les oreilles, plaisirs enfin pour le palais…Voyez comme ce pain rond est doré et appétissant ! Et ce gâteau comme il est délicieux et fondant !
Et cette boisson comme elle est sucrée et parfumée! Bref, une menace de damnation éternelle que la spiritualité essaie d’écarter par la prière et l’invocation divine. Au mois de Ramadhan, le profane côtoie sans scandale le sacré dans un esprit convivial, de bon augure pour la stabilité des institutions et du pays.
Aziz Bey