La place est grande, propre et belle. Limitée au Nord par la Maison de la culture de laquelle une rue la sépare, à l’Ouest par le siège de la wilaya et le carré des martyrs, au Sud par les bâtiments de la police, elle s’ouvre vers l’Est où elle se prolonge sous forme d’allées et de pelouses.
Un amphithéâtre à la romaine adossé au carré des martyrs domine le lieu. C’est une halte obligée pour les passants qui viennent de l’ancienne ville pour aller vers la nouvelle ou vers Draâ El Bordj, un quartier chic sis sur une colline qui domine Bouira, ou vice-versa. Certaines nuits de pleine lune, l’illusion jouant à plein tube, le promeneur solitaire qui regarde vers les gradins, assis sur l’un de ses bancs, s’étonne presque de ne pas les voir se peupler de figures et de costumes d’un autre temps. C’est que le lieu est chargé d’histoire. Au carré les noms de plus de 6 000 martyrs sont gravés sur le marbre. A Draâ El Bordj, rôde le fantôme de l’Emir Abdelkader qui a fait une courte halte en cet endroit pendant la guerre qu’il a livré à l’occupant, et ceux des habitants du fort turc… Quant à Djurdjura, si le promeneur est face à ce formidable rempart qui sépare, à l’est, Bouira de Tizi Ouzou, c’est une épopée qui se déroulerait devant ses yeux qui va du vaillant Takfarinas livrant bataille sur bataille aux cohortes romaines, aux héros de la guerre de libération en passant par Boubaghla et Lalla N’Soumeur, dont les faits d’armes sont encore gravés dans le granit. Mais depuis le Ramadhan, les bruits et les lumières ont chassé le rêve. On ne vient plus pour méditer où donner libre cours à son imagination. On vient pour regarder les enfants qu’on amène en ces lieux, s’amuser et jouer. C’est devenu un centre d’attraction. Toute la ville s’y donne rendez-vous après la rupture du jeûne. Il y a, comme dans une fête foraine, un manège, un toboggan en forme de navire, il y a un train, des autos et une balançoire en forme de chaloupe. Les enfants veulent tout voir, tout essayé. Ils aiment rouler, tourner, se balancer, grimper, glisser, rire et crier de joie et de plaisir. Et tous les parents qui les suivent dans leurs jeux, et tous les curieux qui se trouvent là y prennent part, redeviennent l’espace d’un laps de temps très court, eux-mêmes, des enfants. Et tout ce beau monde réussit à créer un spectacle, une ambiance qui font oublier qu’il existe d’autres places, d’autres lieux qui appellent à d’autres amusements, d’autres plaisirs. La place a volé la vedette aux rues les plus animées de la ville. Même la rue Zighout Youcef, où la circulation automobile est interdite la nuit pendant le Ramadhan depuis le siège de la wilaya au lycée Mira, et où l’on propose toutes sortes de dégustations, n’arrive pas à réunir autant de monde…Cela, les vendeurs de café et de thé l’ont compris, car eux aussi ont jeté leur dévolu sur cette place qui procure du divertissement, mais rapporte pas mal d’argent. La question qui se pose est de savoir si ces divertissements tiendront devant les soirées en plein air que compte organiser, dès cette semaine, la Maison de la culture. La scène, dressée devant la Maison de la culture, est juste en face de la place publique. Lorsque s’y présenteront des artistes de renom, dont on ne connaît pas encore les noms, vu que le programme dit spécial Ramadhan n’a pas été rendu public, ces soirées artistiques ne tueront pas les jeux pour enfants ? Et où, d’ailleurs, s’installeraient les spectateurs qui viendront assister à ces soirées sinon sur la place publique? Imaginons un instant ce qui se passerait au cas où un Yahiaten, un Menghellet ou une de ces étoiles montantes comme Hassiba Amrouche monterait sur scène. Quel est l’enfant qui voudrait jouer ? Et quel est le parent qui voudrait se laisser détourner d’un tel spectacle ? Alors, un spectacle en chassant un autre?
Aziz Bey

