El-Mizab, village de riches et de misères

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C’est un si beau village que nous avons visité vendredi dernier. Il s’appelle El-Mizab. Mais les gens aiment l’appeler le village des riches.

Il a été créé après l’indépendance, c’est-à-dire durant les années 70. Les propriétaires terriens vendaient à l’époque, pour ne pas dire bradaient, des lots de terrains à des prix dérisoires pour échapper à l’expropriation de leurs terres dans le cadre de la «révolution agraire». Il est situé non loin de la ville de Seddouk et au piémont d’une pinède qui lui confère un charme inaltérable avec ces arbres qui dégagent des senteurs qui chatouillent les narines et des couleurs bigarrées dont la plus dominante est le vert.

Nous nous sommes crus dans une province verte d’un pays européen, eu égard aux villas pavillonnaires érigées dans les normes suivant des permis de construire établis par les services techniques de l’APC de Seddouk. Des villas qui sont pour la plupart assorties de jardins fleuris entourés de murets construits avec de la pierre locale. Le décor est beau et agréable à regarder pour tout visiteur qui s’y rend. Seulement, le premier habitant qu’il croisera, pointera du doigt les autorités locales qu’il accusera d’avoir laissé leur localité en marge du développement. Les habitants de cette bourgade crient à qui veut bien les entendre leur misère noire et un quotidien fait de privation et de frustration.

«Certes on est supposés être des citadins de la ville puisque notre village est situé à la limite Sud de celle-ci. Comme une preuve tangible de la marginalisation de notre chère localité l’APC vient de bitumer la route allant de la cité Berkani à la RN74 mais force est de constater que le bitumage de la chaussée s’est arrêté juste à la limite séparant cette cité de notre village, laquelle est une petite rivière», tel est le premier constat fait par Merrouche Hocine, membre de l’association socioculturelle locale et ancien fonctionnaire à la daïra de Seddouk.

Les autorités aux abonnés absents

Le réseau routier n’a jamais reçu une once d’aménagement même en tout-venant, a-t-on constaté lors de notre visite. D’ailleurs, le véhicule tangue comme un bateau en roulant sur des ravinements de la chaussée. Des fois, on se perd dans des nuages de poussière. La route d’accès comme les ruelles intérieures sont au stade de pistes agricoles. Et c’est encore M.Merrouche qui dira quelque chose là-dessus.

«Les élus actuels sont venus lors de la campagne électorale passée nous rendre visite pour nous embourber d’illusions, en nous promettons monts et merveilles. On a cru après leur passage à l’APC qu’ils feront de notre village la Californie, une fois tout ce qu’ils ont promis est concrétisé. Malheureusement pour nous, tout ce dont ils nous ont fait rêver à fini en illusion perdue. On aurait aimé voir notre village considéré comme les autres villages de la circonscription, en lui attribuant sa part des budgets alloués par l’Etat à celle-ci. Je suis issu d’un village de montagne, laissant la vie de rural pour celle de citadin. Le comble pour moi aujourd’hui, c’est que mon village natal a connu un développement au point où toutes les ruelles sont bitumées ou bétonnées.

À El-Mizab, mon village d’accueil, je marche encore sur la gadoue que j’en traîne dans mes souliers à la maison. On a créé une association pour porter nos revendications à l’APC pour leur prise en charge. L’année passée, l’APC, répondant soi-disant à nos louvoiements, nous a fait savoir qu’elle aurait dégagé une enveloppe financière de 368 millions de centimes pour l’aménagement des routes avec du tout-venant (TVO). L’ironie du sort a fait que c’est juste du tout-venant que nous méritions et même celui-ci tarde à venir. Pour nous, laisser la route d’accès et les ruelles de tout un village dans un état de pistes agricoles est un déni de droit. Car notre village a droit aussi à sa part d’investissement», a ajouté notre interlocuteur qui a continué dans sa lancée à soulever d’autres problèmes qui lui tiennent à cœur, en commençant par la scolarisation des enfants, qui traversent deux rivières et font des kilomètres pour rejoindre leur écoles situées en ville.

«Comme notre village, qui compte une centaine de familles pour une densité de population de 600 habitants environ, n’est pas pourvu d’une école primaire pour leur scolarisation, nos enfants courent des risques énormes en allant étudier dans des écoles de la ville de Seddouk. Ils traversent deux rivières et parcourent environ deux kilomètres à pied. On a pourtant demandé un bus pour le ramassage scolaire, mais il nous a été refusé», renchérit ce membre de l’association locale qui ne s’est pas arrêté là dans le constat amer qu’il fait de son village, puisqu’il a révélé que pour réaliser certains projets dans son quartier, ce sont les habitants qui ont mis les mains aux poches pour les financer. Des pratiques qu’on croyait bannies en 2015 mais encore en vigueur à Seddouk, une commune qui reçoit des pouvoirs publics sa part d’investissement comme toutes les autres communes de la wilaya de Béjaïa.

«Notre village ne cesse de s’agrandir avec la construction de nouvelles demeures qui sortent de terre comme des champignons. Des quartiers se forment et des nouveaux arrivés y habitent sans les commodités. Notre cas est édifiant. Après avoir saisi l’APC plusieurs fois pour nous aider à avoir les commodités qui manquaient et voyant que nos doléances tombent dans les oreilles de sourds, nous avons décidé de mettre les mains aux poches pour financer des projets. On est 20 familles à financer un projet d’assainissement qui nous a coûté 160.000,00 dinars, un projet d’extension de l’énergie qui nous a coûté 270.000, 00 dinars et celui du gaz naturel pour 320.000 dinars», a conclu Monsieur Merrouche. Pourtant, le village El-Mizab a bénéficié en 2010/2011, d’un projet de construction d’un groupe scolaire qui mettrait fin au calvaire qu’endurent les écoliers, été et hiver, qu’il vente, neige, pleuve ou sous un soleil de plomb. Force est de constater qu’à ce jour, le projet n’est toujours pas réalisé ce qui accentue la souffrance des écoliers.

Que de commodités manquantes !

Le président de l’association en question, Haddad Hamid en l’occurrence, en passant par là fut appelé par Merrouche car estimant que lui aussi a des choses à dire sur le sous-développement qui caractérise leur village. Le président, sans se faire prier, n’est pas allé par le dos de la cuillère pour dénoncer lui aussi la marginalisation de leur village en matière de développement, où aucune action n’a été entreprise dans le but d’améliorer le cadre de vie des habitants, devenus des laissés pour compte.

Il ne tardera pas à lâcher que lui-même est une victime tant que les habitants de son quartier courent depuis 2008 pour avoir une extension en gaz et en électricité mais, à ce jour, rien n’a été fait pour eux. «Et dire que nous sommes considérés comme des citadins alors que les ruraux vivant dans des coins des plus reculés sont mieux nantis que nous en matière de commodités. On continue dans la résignation à faire face au calvaire de la bouteille de gaz qu’il faut aller chercher loin, et ce, quand elle est disponible. Quand à l’électricité on utilise le système «D» pour avoir le courant électrique à la maison. En 2008, la Sonelgaz répondant à notre demande nous a établi un devis faisant ressortir une somme de 420.000,00 dinars. Une somme qui dépasse nos moyens. Pour cela, on s’est rapprochés de l’APC pour une éventuelle prise en charge de ce projet dans le cadre de l’extension. L’APC nous a promis que le courant électrique sera opérationnel au courant de l’année 2014.

Nous entamons le premier semestre de l’année 2015 et malheureusement, rien ne se profile encore à l’horizon», regrette-t-il. Notre interlocuteur n’a pas omis de signaler qu’une conduite d’assainissement obstruée à différents endroits rend la vie difficile aux villageois de par les odeurs nauséabondes qui s’y dégagent. «La boucle est bouclée par l’APC de Seddouk avec le refus de réparer une conduite d’assainissement obstruée dans plusieurs endroits. Nous sommes allés voir les responsables de l’APC qui n’ont pas encore décidé de la réparer alors que les habitants qui passent à côté bouchent les narines pour ne pas sentir les odeurs nauséabondes qui s’y dégagent», a-t-il expliqué.

Le village El-Mizab est très convoité par les gens qui désirent construire au sol des demeures. Le prix du mètre carré a pris de l’envol, passant de 10.000 à 15.000 dinars. Qui dit mieux ! De par sa proximité de la ville de Seddouk et de son emplacement dans un endroit isolé le village présente un cadre idéal pour la détente loin des tintamarres de la grande ville. Aussi, le sous sol est riche en eau potable, ce qui a favorisé les forages des puits. Le logement collectif n’est pas en reste avec la construction d’environ deux cents logements par un promoteur privé qui vend au fur et à mesure de la finition des logements. L’Office de promotion et de gestion de l’immobilier de Béjaïa a lancé les travaux de construction d’environ 120 logements.

Le projet a été confié à une entreprise privée des travaux publics qui à mis les moyens qu’il faut pour le réaliser dans les délais impartis. En mettant les bouchées doubles, les travaux vont bon train. Dans ce village, les manques en matière d’infrastructures se conjuguent au présent. La frange qui souffre le plus de ces manques ne peut être que la masse juvénile qui fait face à l’absence d’infrastructures de loisirs. Les jeunes d’El-Mizab, certains, on les retrouve adossés au mur pour discuter sur les sujets qui les concernent tels que le sport, d’autres font un saut à pied à la ville de Seddouk, pour surfer sur Internet dans un cybercafé ou flâner dans les rues à lécher les vitrines. «Ce n’est pas le terrain domanial qui manque dans notre village mais la volonté des autorités locales à penser nous construire un terrain de jeux de proximité pour la pratique du sport, ou un foyer de jeunes pour mener diverses activités», dira un jeune sportif qui évolue dans un club seddoukois.

Une personne du troisième âge lui emboite le pas pour signaler aussi l’absence d’un centre de soins. «Je traîne une maladie chronique et à chaque déplacement à la polyclinique, je dois débourser 200 dinars en prenant un taxi clandestin», a-t-il dit. Et il ajouta : «Même si le grand château alimentant en eau potable toutes les localités de la commune se trouve à quelques mètres au dessus de notre village, ce précieux liquide est rationné ici à une heure par jour».

L. Beddar

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