« Rah ikahhalha aâmaha » «il a tenté de lui embellir les yeux, il a fini par la rendre aveugle». Quoi de mieux que ce dicton populaire pour décrire les explications et les suggestions du professeur Farid Benramdane, tendant à faire valoir l’opportunité d’enseigner la (ou en) langue arabe dardja. Ces explications, il les a données dans une interview au journal El Khabar du jeudi 30 juillet 2015. On se souvient que, paradoxalement, la revendication de l’enseignement de l’arabe algérien a vu le jour, pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie indépendante, en…Kabylie.
Ce fut en avril 1980, lors du Printemps berbère. Les banderoles de l’époque appelaient à l’enseignement de l’arabe algérien et de tamazight. Une chanson de Ferhat Imazighène Imoula, datant de la même époque le dit explicitement. Pour certains, il y avait une conviction profonde que l’enseignement des langues maternelles faisait partie de la revendication démocratique et devait concourir à la formation de la citoyenneté. Pour d’autres, il s’agissait d’une « vente concomitante », une posture tactique tendue vers la mobilisation de toutes les populations du pays pour réaliser l’ensemble des revendications du mouvement berbère de l’époque que l’on peut résumer dans le projet d’instauration d’une véritable démocratie.
Trente-cinq ans après, l’honnêteté intellectuelle nous amène à constater que la revendication de l’enseignement de l’arabe algérien n’a pas beaucoup d’adeptes. Il n’a apparemment pas d’assise populaire. Le manque de résistance à la vague islamo-baathiste lâchée, ces derniers jours contre madame la ministre de l’Éducation, en est une preuve tangible. Les réactions du genre «l’arabe classique n’est pas une langue maternelle. Cette langue ne sera jamais la langue maternelle des Algériens», lancée par le pédagogue Mouloud Harrouche (El Watan du 31 juillet) ne « courent pas les rues ». Et c’est pourquoi, le syndicaliste Meziane Meriane juge que c’est là une « décision courageuse ».
L’enseignant «ne doit pas avoir de complexe pour reconnaître que la langue classique n’est pas maternelle, il ne faut pas cacher le soleil avec un tamis», ajoute-t-il. Il ne s’agit pas d’entrer ici, pour sonder les retards de la revendication de l’arabe algérien, dans les explications et justifications que pourront fournir des sociologues, des historiens ou des linguistes. Sans doute, la relance du débat pourra apporter quelques éclaircissements. Le tollé soulevé par des déclarations imprécises des responsables de l’éducation a montré tout ce dont le pays est capable en matière de… médiocrité.
Paradoxalement, on ne vais pas m’arrêter sur les réponses de parties- Association des Ulémas, organisations et journaux baathistes- qui appellent au limogeage de Mme la ministre et de ceux qui crient haro sur les réformes inspirées de la commission Benzaghou de 2002, mais, on aimerais plutôt, aborder brièvement la manière dont se servent quelques défenseurs tardifs de l’arabe algérien pour argumenter leurs discutables choix. D’où, le retour au professeur Benramadane qui, dans son entretien avec El Khabar, et après des explications théoriques, en vient à donner des « pistes » pratiques du genre : «Dans notre société on dit « houta » et non « samaka ».
L’enseignant peut l’utiliser pour faire passer l’idée et transmettre l’information (ou la connaissance), c’est-à-dire que l’enseignant dira que celle-ci (la chose désignée) est « samaka » et non « houta ». De même, le petit élève de 1ère année dit : « j’ai une auto », et l’enseignant lui répondra : « le mot auto, nous, nous l’appelons « siyyara »,… etc.» (fin de citation). Il ajoute : «En outre, un grand nombre de mots de l’arabe algérien proviennent de la langue arabe littéraire ou classique (fos’ha), sauf qu’ils sont prononcés de manière mauvaise (viciée) ou légèrement déviée (falsifiée: « mouharrafa »). L’enseignant se chargera de les corriger]. Plusieurs aberrations ponctuent un raisonnement censé faire passer des idées « modernistes » dans le maquis du conservatisme ambiant.
Elles se résument à ce paternalisme normatif que l’on s’obstine à assigner à l’école. Le mot est lâche: l’école doit corriger l’élève, en lui signifiant que la langue de ses parents, qu’il parle à la maison et dans la rue est « viciée ». La norme, c’est l’école. On ne concède finalement la « transition » de l’arabe algérien(qui peut durer six mois, selon le professeur) que pour faire subir à l’élève des épreuves de correction et de dressage, voire d’humiliation, en lui faisant comprendre, explicitement ou implicitement, que ses parents sont dans le tort, sont analphabètes, et que l’institution scolaire est faite pour dépasser cet « handicap » en hissant l’élève à la « norme » d’une langue, que personne ne parle et qui n’existe que dans les cahiers et les livres.
Éducation ou dressage ?
Le continuum foyer-école, que l’on prétend assurer et assumer, n’est qu’une ruse de guerre pour mieux casser psychologiquement l’enfant, d’autant plus que, en plus de la langue, on tente, par certains cours d’éducation religieuse, de persuader encore l’élève que ses parents sont de tièdes musulmans. Y a-t-il meilleure manière de nourrir la schizophrénie chez les élèves et le clivage au sein de la cellule familiale? Meilleure manière de dresser les enfants contre les parents et d’aggraver le fossé générationnel, déjà largement béant?
Comme la présenta Mme. Greffou dans son livre « L’École algérienne d’Ibn Badis à Pavlov », l’enseignement de la langue arabe emprunte aux méthodes de l’enseignement des attardés mentaux en France », car basé sur le principe de la correction et du dressage.
Sans doute, les radicaux de l’arabisation, qui n’imaginent aucune concession sur l’arabe littéraire sacralisé sont-ils plus conséquents avec eux-mêmes. Ils ont, au moins, le mérite de la franchise, en décidant d’autorité que la langue d’enseignement, c’est l’arabe classique. Incontestablement, la polémique née de certains points abordés par la conférence sur l’évaluation des réformes de l’école a permis de faire remonter à la surface les vieilles querelles stériles, fondées sur des positions souvent biaisées, qui ne servent ni l’école ni la société. Un article de presse a révélé ces derniers jours une des propositions phares de la commission Benzaghou de 2002. Il s’agit de la nécessité d’enseigner les matières scientifiques en français au lycée, afin de réaliser une jonction heureuse avec l’université. Pour cela, il faudrait revoir les horaires et les méthodes d’enseignement de la langue française au primaire et dans le moyen.
Si l’on n’ose pas assumer de tels choix, dont beaucoup de nos pédagogues reconnaissent, en privé la pertinence et la nécessité il est assurément difficile de convaincre de la sincérité des politiques d’enseignement, biaisées par des scrupules idéologiques, des rigidités administratives et des rentes de situation. L’école algérienne, qui allait droit dans le mur, est aujourd’hui emmurée dans un enclos d’hypocrisie généralisée. La rente pétrolière a permis des errements et des lubies; elle a permis de se passer des compétences, de la technicité et de l’esprit inventif. Le clignotant est à l’orange. L’hypocrisie est déjà partiellement vaincue par ceux qui ont les moyens d’envoyer leurs enfants dans des écoles privées et de les inscrire dans des universités étrangères. L’école publique que fréquente la majorité des enfants algériens est prise en otage par l’islamo-baâtisme rentier. La libération de l’école équivaudra inévitablement à la libération de toute la société.
Par Amar Naït Messaoud
