Entre festivals, cortèges nuptiaux, feux de forêts et décharges

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L’été en Kabylie, c’est la saison où les contrastes sont portés à leur point culminant. Étendue touristique en friche- sans zone touristique bien encadrée et promue-, bassin supposé de l’euro des émigré-des anciens émigrés, car les jeunes consomment cette devise sur son lieu de production-, lieu de festivals multiples associant la culture à l’économie- poterie de Maâtkas, bijoux d’Ath Yenni, Raconte-Arts d’Iguersafen, tapis d’Ath Hichem, fête de la figue de Lamsellah,…-, ce même territoire est souffrant, c’est le moins que l’on puisse dire, sur le plan de l’environnement.

L’actualité la plus brûlante, sans jeu de mots, ce sont ces flammes qui sont venues à bout de ce qui reste comme forêts et maquis sur les versants naguère verdoyants et plantureux, chantés par nos poètes et écrivains. Que sont devenus les flancs d’Azeffoun dominant la mer et dominés par le sommet de Tamgout n’Ath Ghobri ? Que reste-t-il des abris forestiers, du silence majestueux et l’air pur d’Ath Aïssi, Alma Guechtoum, Tifrit Ath L’hadj, Tidmimine et Oulkhou de notre martyr Tahar Djaout? Le feu a dévoré ces deniers jours les coins les plus discrets, les plus accueillants et les moins troublés d’Assif Ldjemaâ, entre les villages d’Akbil et de Aïn El Hammam. Les villageois de Taourirt Amarane sont descendus jusqu’à Tagrart, en bas du stade, pour éteindre l’incendie qui menaçait les maisons.

La majestueuse cédraie de Tikjda a été réduite en peau de chagrin, en 1999, depuis que le premier grand incendie, après la guerre de Libération, a effacé de la terre des sujets de cèdre, qui ont commencé à croître sous le règne de Massinissa et Jugurtha. Les flancs d’Azrou n’Thor crament chaque été laissant, en hiver des coulées de boue menacer les populations de L’had N’Illiltène. La forêt n’Ath Abbas (Ighil Ali, Boudjellil, Bordj Boni) est devenue l’ombre d’elle-même. Elle ne jette plus aucune ombre sur les fééries des Portes de Fer. Il en est de même de Toudja, Oued Das et Taourirt Ighil. Tout est réduit en cendres, en brandon et en champ de désolation.

L’ambiance caniculaire est toute trouvée, elle a bon dos, pour expliquer ou justifier ce massacre à ciel ouvert du patrimoine floristique et faunistique de la Kabylie. Or, les hautes températures ne sont qu’un facteur de risque, pour parler un langage médical. S’il n’y a pas d’éléments qui déclenchent l’étincelle, il n’y aura pas de feu. Là aussi, persiste un mythe, celui du verre jeté en forêt, et qui déclencherait l’incendie à tout bout de champ. Cette probabilité est trop mineure pour qu’elle soit présentée à chaque fois comme argument. Le verre ne peut produire une chaleur d’ignition que dans des positions particulières et rares (tessons concaves recevant pendant plusieurs heures le soleil dans son foyer). Et puis, un autre problème qui rejoint la grande préoccupation environnementale: le verre dans un milieu forestier est un signe de grave négligence. Et pourtant, on sait que les décharges sauvages pullulent au bord même du magnifique lac du barrage de Taksebt.

C’est le barrage de Kabylie, avec celui de d’Ighil Temda (à Kherrata), qui est le plus malmené sur le plan environnemental. La différence est que celui de Kherrata date de l’époque coloniale et celui de Takseb de 2007. Le risque est encore grand avec tous ces incendies qui dégarnissent les flans du bassin versant. La longévité du barrage est d’autant plus réduite que les versants y déposent leurs matériaux solides (limons, boues, cailloux) charriés par l’érosion. L’Algérie a une expérience « riche » en la matière: barrage du Ksob, à M’Sila et barrage Djorf Torba, à Bechar dont les bassins sont complètement envasés. Un petit barrage, Foum El Gueis, a été mis à l’arrêt depuis quelques semaines dans la wilaya de Khenchela pour les mêmes raisons. Avant même l’envasement avancé d’un barrage, les appareils de pompage et de refoulement peuvent facilement être affectés par les apports solides venus avec l’eau.

La médaille et son revers

En matière de tourisme, et malgré toutes les potentialités avérées, la Kabylie n’arrive pas à faire de ce créneau un des moteurs de l’économie locale. L’anarchie et le désordre demeurent les valeurs les plus partagées, aussi bien dans les plages que dans d’autres lieux de séjour. C’est un secteur qui souffre d’un terrible déficit d’encadrement. L’été en Kabylie, c’est le moment des retrouvailles entre les familles venant des autres régions d’Algérie et d’outre-mer; c’est la grande fiesta des processions de mariages; ce sont les grandes dépenses qui renflouent les caisses des bouchers et des superettes. Mais, c’est aussi la saison où l’on n’a pas besoin de chercher à dénicher un ruisseau : il se « sent » à quelques dizaines de mètres à la ronde par les puanteurs des eaux usées. Un tel phénomène, on le retrouve même, ô sommet de la souillure et de l’inélégance, sur les plages.

Comment faire retrouver à la Kabylie son visage et son faste d’antan ? Des efforts méritoires sont menés çà et là par des jeunes organisés en collectifs ou associations. Ces jeunes ont besoin d’être encouragés et accompagnés par les pouvoirs publics et les élus. Il y a un trésor d’imagination à développer pour introduire des activités de recyclage des déchets. Pourquoi les projets de l’Ansej continuent à tourner seulement autour de certaines activités de transport, de plomberie, de collecte de lait? A ces agences publiques (Ansej, Angem, Cnac) incombe aussi la mission de vulgarisation et de médiatisation des autres créneaux portant sur les nouveaux métiers de l’économie verte et s’inscrivant dans le cadre du développement durable. Cependant, ces agences, pour mener un tel travail, il faut qu’elles se dotent elles-mêmes de la ressource humaine nécessaire pour concevoir de tels projets.

Amar Naït Messaoud

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