«Notre village est sécurisé»

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Avant, c’était un centre de regroupement construit en 1958. Le lieu portait alors le nom de la tribu qui y vivait : El Ouakla. aujourd’hui, c’est un petit village où vivent 600 à 700 âmes.

Le chef-lieu de commune dont il dépend administrativement, lui-même un bourg à peine plus grand, est en train de se muer en une jolie petite ville, sous l’impulsion démographique.

Hélas, le lieu dit, qui a troqué son nom El Ouakla contre celui de Ouled Abda vers les années 1970, ne suit pas la même évolution. Faute d’assiettes foncières, non seulement il ne peut plus recevoir de projets capables de favoriser son développement, mais à cause de l’anarchie qui règne en matière d’instruments urbanistiques, il en est résulté une telle situation que le lieudit, à 4 km au nord de Aïn El Hadjar, fait plus que jamais penser à ce qu’il était initialement : un camp. Des maisons construites en «toub» (terre) sont toujours là. Ce qui a changé c’est que les enfants qui avaient entre un an et dix ans en 58, année de la construction de ce camp, ont aujourd’hui entre cinquante et soixante ans et continuent à vivre sous le même toit. En dépit du progrès qui est entré sous forme de gaz, d’électricité d’eau courante, de téléphone et même d’internet, le problème de logement demeure entier, même pour ceux qui ont bénéficié en 2000 du logement social. Nous verrons plus loin pourquoi.

Ce qui s’est réellement passé la nuit de lundi dernier

Le village se préparait à faire la sieste, lorsque nous y sommes arrivés. Dehors, où le thermomètre affiche les 43° à l’ombre, pas âme qui vive. Sans Rabah, un jeune patriote qui rentrait chez lui par le même moyen de transport que nous, nous aurions eu de sérieux problème pour faire notre travail. Pour lui comme pour ceux avec lesquels il nous a mis en contact, les journaux qui avaient rapporté dernièrement l’information sécuritaire selon laquelle un important groupe de terroristes avait investi le village ont été mal informés. Le groupe dont il était question, composé de 20 à 25 éléments, serait, aux dires de nos interlocuteurs, passé pour s’approvisionner dans une épicerie, entre R’Himet et Béni Okba, à 6 ou 7 km à vol d’oiseau de Ouled Abda. En outre, cette boutique est tout près de la forêt. Ce qui facilite le mouvement de ces groupes. «Ce n’est pas la première fois qu’ils le font, expliquent nos sources.

Chaque fois qu’ils passent, l’épicier les déclare aux autorités. Et chaque fois, ils le molestent». Et nos interlocuteurs d’ajouter pour bien signifier que leur village est très sécurisé : «Ici, vous comprenez, nous sommes soit des patriotes, soit des gardes communaux. Les uns et les autres, nous formons en fait une grande famille». La dernière incursion remonterait à l’automne 96. Ce jour-là ou plutôt par une nuit d’automne, un groupe de plusieurs hommes armés faisait irruption dans le village et enlevait trois jeunes. Deux ou trois jours plus tard, le plus âgé d’entre eux, il devait avoir 35 ans et claudiquait, retournait seul chez lui. Selon sa version, il aurait réussi à fuir. Les deux autres (Kamel, 28 ans et Djamel, 30 ans) ont été assassinés. Enlevés déjà deux ans plus tôt, jugés et relâchés, ils étaient loin de se douter du triste sort qui les attendait. Ce double assassinat avait poussé les habitants du village à prendre les armes. C’en était trop : en 94, deux jeunes ayant achevé leur service national avaient été pris chez eux (un à Ouled Abda, l’autre à Aïn El Hadjar) et furent égorgés sur le trottoir de la rue principal du chef-lieu de commune. Leurs têtes, arrachées, avaient été placées sur le rebord de l’une des fenêtres du siège de l’APC. En faisant le choix des armes pour lutter contre le terrorisme, les habitants de Ouled Abda ont été un facteur déterminant dans cette lutte.

En effet, le chemin de wilaya qui relie Aïn El Hadjar à El Maamir, Er’Himet, Ouled Abda et Rouiba, au nord, et le chemin de wilaya qui dessert El Hachimia via Gourra et Ouled M’Haya, au sud, deux routes qui constituaient cet axe du mal qui a permis la planification de plusieurs actes terroristes sanglants, se trouvaient, au lendemain de cet engagement héroïque bloqués et contrôlés par les patriotes et les gardes communaux enrôlés dans cette localité. Grâce à quoi le secteur le moins sûr de la wilaya se trouvait du coup sécurisé. Slimane, un de ceux qui ont bénéficié d’un logement social et qui sont en litige avec les propriétaires du terrain, nous donne un petit aperçu de la situation. Le centre de regroupement s’étendait sur une superficie de près de 13 ha. Comme c’étaient des terres privées, l’administration coloniale aurait, selon ce citoyen, indemnisé leurs propriétaires avant de lancer le projet en 58. Un arrêt du wali datant du 19 juillet reconnait cependant à ces derniers le droit de possession et ordonne aux autorités locales concernées une indemnisation. Une copie de cet arrêté nous a été remise. Malgré cela le litige demeure, selon notre interlocuteur.

Les propriétaires continueraient à faire valoir leur droit sur ce terrain. Seuls trois ou deux hectares et demi échapperaient à ce litige. Notre interlocuteur ajoute : «Tout le monde ici est en litige». Il désigne ainsi les locataires des 17 logements sociaux. Ils ont construit des balcons et une petite cour devant leurs logements et cela n’a pas été du goût des dits propriétaires. Ils nous encerclent, s’indigne Rabah, «ici, c’est Gaza. Il n’y a pas de barbelés en apparence, mais c’est comme s’ils utilisaient ce moyen contraignant pour nous obliger à demeurer à l’intérieur d’un cercle. Ils ont vendu leurs terres, mais ils les gardent toujours. Et pourtant, nous avons tant donné pour ce pays. Et voyez ce que nous recevons en guise de récompense». Vivant avec son père et ses deux frères célibataires, il a un enfant et il est en litige avec un parent. On a vendu à ce dernier le terrain sur lequel il avait construit un garage il y a dix ans. Ce terrain était devant chez lui et annexé au logement. Il ne comprend pas qu’on puisse le vendre à quelqu’un qui habite loin et qui vient à peine de s’installer au village. La pièce qu’il occupe sert à la fois de chambre et de cuisine. Même situation pour Mohamed qui vit avec son père et ses trois frères, dont deux sont mariés et pères de deux et trois enfants. Chacun des frères mariés dispose d’une seule pièce. Le cas de Kaddour est plus désespéré encore.

Père de trois enfants, il vit chez son père avec ses trois frères, dont l’aîné a lui même cinq enfants. Plus bas, c’est le «camp». Boudjema et son frère Ali n’ont jamais quitté le logement aux murs en toub et au toit en ternîtes depuis sa construction. Ils y vivent avec respectivement leurs quatre et huit enfants. Le troisième frère a soixante-deux ans et est toujours célibataire. «Je dors dans la cour», nous confie Ali, dont les enfants ont entre 15 et 25 ans. Ce problème a été porté à la connaissance des responsables à travers de nombreuses correspondances et des revendications portées par de nombreuses délégations dépêchées auprès des autorités concernées. En vain, selon Slimane qui vit dans un logement social avec son frère Laïd, eux aussi à l’étroit.

Terrorisés durant les années 1990

Avant de nous rendre ce mercredi après-midi au village de Ouled Abda par le chemin communal, nous avons d’abord eu un entretien avec le P/APC, en l’occurrence Djelloul Haddad. (Nous ne donnerons que la partie qui concerne ce village, réservant l’autre pour un reportage sur le chef-lieu de commune qui connait depuis ces dernières années une transformation urbaine spectaculaire.) Concernant l’habitat rural, l’élu local a fait savoir que des pourparlers sont en cours avec les propriétaires du terrain afin d’en faire l’acquisition. Mais comme les pris fixés ont été jugés trop bas par les intéressés, le responsable de la commune envisage une compensation en offrant un terrain de même surface, c’est-à-dire 1,6 ha. Cette opération qui pourrait entrer en vigueur incessamment s’inscrit dans le cadre de la résorption de l’habitat précaire, autrement dit la RHP.

Un centre de regroupement qui n’a pas tellement changé

A propos de l’AEP, car, ainsi que nous l’avons constaté de visu, les villageois s’approvisionne en eau potable à partir de ce puits public qui doit exister depuis l’époque coloniale, le P/APC a fait savoir qu’un réservoir de 500m3 vient d’être achevé et qu’il pourra incessamment entrer en service pour la distribution d’eau provenant des transferts du barrage de Koudiet Acerdoune. De même qu’il a été catégorique à propos de la salle de soins construite à côté de l’école primaire. Celle-ci s’ouvrira «à la rentrée sociale», assure notre interlocuteur. Quant au projet de réalisation de deux classes, bloqué depuis un an à cause de l’instabilité du terrain, le responsable municipal a indiqué que «les analyses du sol ayant été faites, l’entreprise va démarrer prochainement les travaux». Clôturant l’entretien sur une note optimiste, il nous a déclaré avec cette fierté propre aux élus qui réussissent de belles œuvres, que Ouled Abda est l’une des localités en zone rurale qui dispose actuellement «du meilleur éclairage public de la wilaya».

Dénonçant la prolifération des décharges sauvages et la lutte engagée pour leur éradication à travers la commune, la vétérinaire chargée du bureau d’hygiène (BHC) a dressé un court bilan de son action pour l’exercice de l’année en cours : lors de la campagne de vaccination menée entre avril et mai, son service a pu vacciner contre la fièvre aphteuse 182 têtes bovines dans la localité de Ouled Abda et 1083 têtes à l’échelle communale. Ces solutions laissent les habitants avec lesquels nous avons pu entrer en contact sceptiques. D’autres responsables avant celui-là ont essayé sans succès, selon eux. Slimane, père de cinq enfants qui vit ave son frère, lui-même père de huit enfants dans un logement social, rappelle les démarches faites dans ce sens depuis des années pour sensibiliser les autorités autour du problème posé par le foncier. Déplorant l’absence de vraies rues (celles existantes ne sont pas goudronnées et se terminent souvent en cul de sac), d’un terrain de proximité pour occuper les jeunes, d’espaces verts, il insiste sur le règlement du problème foncier qui donnera la clef de tous les autres problèmes. Une promenade à travers le village nous a, hélas, convaincu combien le pessimisme amer de ce citoyen est justifié.

La notion d’amélioration urbaine semble totalement étrangère au village. On n’accède déjà que très difficilement par voiture à l’école et à la salle de soins. La construction de deux autres salles de classe qui a pris presque toute la cour, et dont les travaux ont été suspendus depuis plusieurs mois, évoque deux cratères ouverts. Nous avons pu recenser de nombreux logements précaires. Si la commune pouvait demain acquérir ce terrain de 1,6 hectare, le relogement de leurs occupants permettrait de récupérer les assiettes ainsi dégagées et de songer non seulement à lancer d’autres projets de construction, mais à dégager les perspectives par l’ouverture de nouvelles rues et l’élargissement de celles qui existent déjà. Il appartiendra surtout au responsable actuel, dont les qualités de gestion nous paraissent de bon aloi, de régler ce vieux litige entre les habitants du village et les propriétaires des terrains privés. Quoi qu’il en soit, voilà les grands défis qui attendent le P/APC de cette commune qui connaît une mutation urbaine extraordinaire.

De sa capacité à améliorer les conditions de vie des citoyens et à effacer des esprits l’idée de «camp» et de barbelés dépendra la confiance si nécessaire à l’établissement des relations entre élus et électeurs, entre administrateurs et administrés. Quant à nous, nous quittons ce village avec le sentiment d’avoir vécu un moment dans un vrai «camp» en dépit des progrès réalisés dans d’autres domaines, y compris dans le domaine sécuritaire.

Aziz Bey

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