Pour mieux cerner les tenants et aboutissants de cette pathologie, nous avons rencontré le Pr Zatout qui nous en parle très simplement :
La DDK : Professeur, pouvez-vous nous expliquer l’origine et les conséquences de la silicose ?
Le Pr Zatout : La silicose est une maladie respiratoire grave et évolutive dont le facteur principal est l’inhalation des poussières minérales renfermant la silice libre cristalline. Cette silicose fait partie des maladies respiratoires les plus graves en raison de l’absence de traitement et son évolution chronique vers l’insuffisance respiratoire. Elle entraine une inflammation chronique et une fibrose pulmonaire progressive.
Il s’agit d’une maladie se caractérisant par la destruction du tissu du poumon ; l’Agence Internationale de Recherche sur le Cancer classe la silice cristalline comme cancérogène pour l’homme. Pendant longtemps, on considérait que la silicose-pneumoconiose sclérogène n’affectait que les travailleurs des mines ; aujourd’hui, de nombreux cas sont apparus dans des activités aussi diverses que variées.
Selon le Bureau International du travail (BIT) et l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’incidence de la silicose est en nette régression dans les pays développés grâce à l’amélioration des conditions de travail, la fermeture de certaine mines et la mise en place de moyens de protection adaptés dans le milieu professionnel.
Comment expliquez-vous la situation de cette maladie en Kabylie ?
Cette maladie n’était pas connue en Kabylie du temps où les citoyens ruraux cassaient la pierre pour construire leurs habitations ou arrêter un glissement de leurs terrains. Mais aujourd’hui, la pierre est réclamée par les citoyens urbains pour construire leurs villas. Le commerce de celle-ci devient très attractif, notamment chez les jeunes en attente d’une activité. Le taillage de pierre représente donc une activité en plein développement en Kabylie. Elle est créatrice d’emplois non organisés et dans un cadre informel.
Pourquoi ce risque de la silicose est majeur en Kabylie ?
La réponse est que les roches des montagnes de Kabylie sont très riches en quartz. Selon l’étude réalisée par le département de génie civil de l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou à Boudjima et L’Office National de Recherche Minière à Yakourene en 1994, les roches des montagnes de Kabylie sont formées de roches magmatiques et sédimentaires qui sont à bases de granit et de grès, très riches en quartz. Selon ces mêmes études, ces roches se composent essentiellement de quartz pour plus de la moitié voire à trois quart des cas, de Feldspath et de Mica. Les conséquences sur la santé de ces particules fines sont péjoratives.
En effet, de nombreux décès appartenant à une même famille ont été enregistrés chez des villageois travailleurs à leur compte. Des foyers ont assisté à la perte de leurs proches. Une étude épidémiologique portant sur des malades hospitalisés dans le service de Pneumo-phtisiologie du CHU de Tizi Ouzou durant la période 2007-2009, a retrouvé 30 cas de silicose compliquée.
Il s’agissait d’une population jeune avec une moyenne d’âge de 38 ans et une durée d’exposition de moins de cinq ans dans un tiers des cas. La mortalité était de 25% à court terme. Une autre étude portant sur l’analyse de 100 dossiers des cas de silicose au CHU de Tizi Ouzou et aux EPH d’Azazga et de Tigzirt entre les années 2007 et 2011 a révélé une courbe de fréquence annuelle croissante.
Ces études ont certainement abouti à des constats mais que préconisez-vous pour y remédier ?
Nous assistons actuellement à l’émergence d’un vrai problème de santé publique dans la région de Tizi-Ouzou par l’augmentation progressive et rapide des silicose aigüe invalidante chez les tailleurs de pierre de moins de 10 ans d’exposition. Plusieurs personnes s’exposent à la poussière des silices dans leurs activités sans avoir à leur disposition des moyens de protection adéquats, que ce soit lors de l’extraction, du taillage ou lors de la décoration de la pierre. Donc, c’est pendant ces travaux qu’ils inhalent la poussière de silice et se retrouvent ainsi atteints de silicose.
Bien qu’actuellement, les procédés de taillage de la pierre soient modifiés, depuis l’utilisation des machines à eau, on assiste de moins en moins à des hospitalisations pour silicose, mais cela ne reflète sans doute pas l’incidence de cette pathologie puisque la plupart des silicotiques ne consultent qu’en cas de complication, et exercent sans aucune couverture ou affiliation aux organismes de sécurité sociale. Une interview a été réalisée par une équipe médicale composée des PR Tibiche et moi-même avec les tailleurs de pierres dans différents ateliers artisanaux à Bouzguène, Ath Bouada, Ifigha, Yakouren, Makouda plus précisément à Thala Bouzrou.
Elle nous a révélé que certains tailleurs de pierres connaissent la silicose comme l’une des maladies respiratoires graves causée par l’inhalation de poussières de silice. Parmi eux, certains pensent que c’est une pathologie contrôlable par des mesures de prévention, notamment le port de masque sans préciser le type de masque. D’autres pensent que l’essentiel c’est de se couvrir les voies respiratoires d’un bout de tissu. Pour quelques uns, ils disent que c’est une maladie non transmissible, qui ne dispose pas de traitement et donc la cause principale est l’exposition et l’inhalation de la poussière de silice.
Qu’est ce qui est fait en matière de sensibilisation des populations à risque devant cette redoutable maladie ?
La sensibilisation vis-à vis de la maladie est difficile du fait du travail temporaire qu’ils exercent durant de courtes durées, ce qui les rend indifférents au risque encouru. Les mesures de prévention s’articulent sur la mise en place de la protection individuelle et collective et l’amélioration des conditions de travail, mais aussi par l’implication de tous les corps d’inspection et de contrôle des administrations concernées, conformément au décret exécutif du 30 août 2010 relatif aux mesures particulières de prévention et de protection des risques relatifs aux travaux de taillages et polissage des pierres.
En plus des mesures de prévention, la mise en place d’un registre de morbidité pour la maladie est indispensable pour mieux évaluer l’ampleur de la pathologie sur les plans de la morbidité et de la mortalité pour mieux justifier la nécessité de protéger les travailleurs de ce secteur, en particulier les tailleurs de pierres.
Entretien réalisé par
S. Ait Hamouda
