Les limites des solutions rentières

Partager

Même si les nouvelles mesures de rigueur budgétaire prises par le gouvernement ne touchent pas directement la Fonction publique et les salaires, elles ne manqueront pas de se répercuter sur le pouvoir d’achat des travailleurs. L’actuelle « accélération » de la dévaluation du dinar, par rapport à l’euro et au dollar, est une dynamique négative qui aura des incidences sur les prix à l’importation. De manière directe, la Fonction publique, forte des ses quelque trois millions de personnes (y compris les pré-emplois), sera concernée au moins par deux mesures: le non renouvellement du parc automobile et la suspension de la promotion des fonctionnaires dans leurs grades. En outre, le personnel parti en retraite ne sera remplacé qu’à la proportion de trois départs pour un recrutement. Le resserrement de la politique de recrutement va toucher en premier lieu les pré-emplois qui sont dans l’administration depuis 5 à 6 ans pour certains d’entre eux. Ils ont toujours nourri l’espoir d’être intégrés dans les structures où ils exercent. L’Etat n’a pas tari de promesses à ce sujet. Néanmoins, aussi bien ceux qui sont dans l’administration que dans les entreprises publiques, ils ont été déçus, voire abattus, par les déclarations faites au début du mois en cours par le ministre du Travail, de l’emploi et de la sécurité sociale, Mohamed El Ghazi, où il disait: «l’Algérie n’est pas une vache à lait que tétera n’importe qui sans la contrepartie d’aucun service». Il expliquera lors de son déplacement à Skikda que la Fonction publique ne peut pas absorber toute la masse des diplômés pré-emploi. Sans doute que, dans le fond, le ministre n’a pas tort. Mais, dans la forme et les procédures, le gouvernement n’a pas fait preuve de beaucoup d’imagination, lorsque le pays vivait, il y a à peine une année, à l’ombre de l’embellie financière. Il a laissé moisir le dossier des pré-emplois, y compris après leurs manifestations et sit-in qu’ils ont observés dans différentes wilayas et à la capitale. Près d’un million de jeunes sont dans cette situation d’expectative où ils voient l’épée de Damoclès d’arrêt de contrat pendre au-dessus de leurs têtes. Ils sont le maillon le plus faible de la chaîne. Des dizaines de milliers d’autres diplômés de l’Université attendent d’être recrutés dans ce dispositif à bout de souffle. Les primo-demandeurs d’emploi sont, chaque année, évalués à quelque 250 000 personnes. On peut facilement mesurer le drame du chômage si les données actuelles des finances du pays, avec 46 dollars le baril de pétrole, demeurent en l’état ou s’aggravent davantage. Cette solution de « bricolage », initiée au début des années 2000, a été accélérée en 2011 sous la menace du Printemps arabe qui rampait sur les pays de la région. Les contrats, qui étaient d’une durée d’une année renouvelable, sont devenus sans limites. On a créé dans les administrations des situations intenables et cocasses à la fois. De petits bureaux, sans chaises ni tables de travail, abritent parfois 6 à 7 employés. Dans beaucoup de bureaux, l’on rencontre des filles et des garçons qui s’adonnent à des jeux sur l’ordinateur ou à la consultation des réseaux sociaux sur internet. D’autres deviennent de petits « marchands » en ramenant au bureau des objets électroniques ou des vêtements à vendre. L’ennui et l’oisiveté s’installent dans une administration déjà affectée depuis longtemps par l’incompétence et la médiocrité. Lorsque les ministres de l’Intérieurs, qui se sont succédé à ce poste, parlent de services publics à améliorer, ils évoquent tous les problèmes- de la numérisation des pièces d’Etat civil jusqu’à la délivrance par le canal d’internet de certains documents-sauf celui de l’incompétence régnant dans plusieurs services et de déficit de formation dont ils souffrent. Avec l’afflux des pré-emplois, seuls quelques services ont pu profiter de cette nouvelle énergie pour améliorer les prestations de service public. Les autres trainent les pré-emplois comme un boulet, en surveillant leur pointage et en les harcelant pour des futilités, alors que personne n’a profité de leur présence.

Horizons incertains et humour mal placé

En tout cas, il est malaisé d’accorder aux pouvoirs publics un quitus pour la politique de l’emploi en direction des universitaires. Même le dispositif de la micro-entreprise ne manque pas de dérives, de chois tordus et d’horizons peu clairs. Toutes les anecdotes qui animent la rue à propos des entreprises Ansej ne sont pas fausses et, généralement, elles sont dénuées de méchanceté. Même le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, y est allé avec la sienne, avec son humour ordinaire, lorsqu’il commentait certaines médisances de l’opposition en ces termes: «On a dit que certains acquéreurs de crédits Ansej ont utilisé cet argent pour se marier; et bien, grand bien leur fasse, qu’ils se marient» ! L’autre signe d’inquiétude pour ce dispositif de la micro-entreprise: le nombre d’entités ayant fait faillite a atteint, selon Yacine Kellal, porte-parole de l’Association de soutien aux micro-entreprises, le chiffre de 300 000. Le directeur général de l’Ansej, Mourad Zemali, révèle de son côté que 13 750 micro-entreprises «ont connu des difficultés de remboursement de leur dette», et que 260 jugements ont été prononcés contre des promoteurs de projets pour détournement de l’argent de l’Ansej à des fins autres que celles inscrites dans le cahier des charges. En dehors de notes d’humour que l’on peut apprécier çà et là ces faits ne manquent pas d’être un symptôme d’une grave dérive d’une politique de l’emploi qui n’a pas réussi à l’ombre d’un baril à 140 dollars et que l’on demande au gouvernement de « révolutionner » avec un baril à 46 dollars! Le pari peut-il être tenu sans une vraie politique d’investissement dans les secteurs de la production?

Amar Naït Messaoud

Partager