Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, réunira les walis le samedi 29 août dans un contexte délicat de restrictions budgétaires et de menace sur les services publics et l’emploi. Déjà l’inflation n’a pas attendu la rentrée pour se manifester de façon cynique pour une large gamme de produits. De même, des dizaines de mairies et de sièges de daïras ont été fermés par les populations depuis le début du mois d’août, période correspondant à la vitesse de croisière de la prise des vacances par les fonctionnaires, se greffant à un taux effrayant d’absentéisme qui a pris ses quartiers dans les administrations depuis le mois de Ramadhan, lequel a chevauché cette année, sur les mois de juin et juillet. L’annonce par le gouvernement de la mise en application, à partir du 1er août, du nouveau calcul du salaire de base, qui fait suite à l’abrogation de l’article 87-bis du Code du travail, n’a pas particulièrement emballé les travailleurs. Au contraire, une grande déception a été constaté chez les franges ciblées par ce nouveau mode de calcul -censé aussi bénéficier de l’ « effet domino » jusqu’à la catégorie 10 de la grille des salaires- sur la base duquel des promesses mirobolantes ont été faites aux travailleurs aussi bien par le gouvernement que par l’UGTA. La montagne accoucha d’une souris, lorsque, sur les fiches de paie, des augmentations insignifiantes ont été constatées par les travailleurs. Les catégories 8, 9 et 10 de la grille ne sont touchées que par une augmentation qui n’atteint pas les 1 000 dinars. Cependant, un tel mirage pour lequel on a entretenu le suspens pendant plusieurs années et dont l’Union générale des travailleurs algériens tire une satisfaction sans doute démesurée, n’est qu’une déconvenue parmi tant d’autres, des dizaines, subies par le monde du travail et de l’économie en général. Tous les calculs effectués sur la base d’un baril de pétrole à 120 dollars sont appelés à être remis en cause et refaits sur la base du nouveau prix dont on ignore jusqu’à quel seuil il arrêtera la dégringolade. Au cours de ces derniers jours, situé à moins de 43 dollars, il est possible, à Dieu ne plaise- et l’hypothèse est avancée par certains prévisionnistes- que l’on soit amené dans quelques mois à projeter les recettes extérieures sur la base d’un prix inférieur au prix de référence adopté par la loi de finances, soit 37 dollars. Il s’ensuit que les premières mesures de rigueur budgétaire prises par le gouvernement ne sont que le « coup d’envoi » d’une politique de restriction qui n’a pas encore dit son dernier mot. On comprend le « non-pessimisme » du gouvernement dans une phase socialement et politiquement incertaine. Mais, il n’est pas difficile d’y découvrir un flegme et un optimisme de façade destinés à apaiser les esprits et à faire admettre un autre rythme social dont on ignore la progressivité. Mais une chose est sûre: la gestion des affaires publiques sous l’empire de crise économique et de rareté comme celle qui se profile à l’horizon et dont on subodore les premiers effets, diffère totalement de la gestion sous le sceau de l’abondance et de l’embellie financière. Cette dernière situation appelle non pas des réflexes de gestion et de rationalité mais elle répond plutôt à une logique de distribution de la rente, génératrice, par une espèce de cercle vicieux, de besoins incessants et de clientèles réticulées. La nouvelle étape que l’Algérie aborde avec cette deuxième année de recul des recettes pétrolières, requiert incontestablement beaucoup d’entregent, de doigté de discipline et d’ingéniosité de la part des gestionnaires des affaires publiques, qu’ils soient des responsables administratifs (walis, chefs de daïra, directeurs d’exécutifs, responsables des établissements publics), que des responsables élus, de l’Assemblée communale à l’Assemblée nationale, en passant par l’Assemblée populaire de wilaya.
Donner ses chances au génie national
La réunion que prépare Abdelmalek Sellal avec les walis a une signification particulière pour la rentrée sociale qui aura lieu dans moins de deux semaines et pour les mois qui suivent. Le retour aux protestations n’a pas attendu la mise en application des mesures d’austérité par le gouvernement, parce qu’il y a une autre « austérité » imposée par la gabegie et le désordre régnant dans la gestion des affaires publiques. Elle a fait valoir ses capacités de nuisance au cours des mois d’été lorsque des milliers de foyers ont été privés d’eau pendant plusieurs semaines dans un grand nombre de communes de Kabylie et ailleurs, dans les autres régions d’Algérie. Pendant les nombreuses fêtes familiales organisées cet été certains foyers ont dû recourir à l’achat de citernes d’eau. Paradoxalement, cela se passe à quelques centaines de mètres de grands barrages réalisés à coup de milliards. C’est que les adductions et les réservoirs ne sont pas encore réalisés, sept à huit ans après la mise à eau du barrage. De même, les routes et autres infrastructures gravement affectées par les intempéries de février-mars 2015 sont, en grande partie, restées en l’état six mois après leur détérioration. L’exemple le plus illustre est sans doute la RN15, dans ses tronçons situés à Selloum, à Takerboust et au col de Tirourda. Des morceaux entiers ont été arrachés et emportés par les eaux, laissant à peine un mini-couloir sur la partie amont de la route. Les coulées de boue obstruant 80 % d’un tronçon sont toujours là. Il en est de même des maisons ébranlées et fragilisées et qui attendent une intervention des services concernés. En tous cas, le mécontentent des populations va crescendo au fur et à mesure que la qualité des services publics reculent et que la relation entre le citoyen et ses élus ou avec les responsables administratifs locaux souffre de défiance ou de défaut de communication. La majorité des wilayas ont reçu, au milieu de l’été un nouveau responsable de l’exécutif. Le gouvernement compte beaucoup sur ces walis pour instaurer un climat de paix sociale et rapprocher les structures administratives du citoyen. Deux questions s’imposent à ce niveau de réflexion: que peut faire un wali, seul, dans un schéma d’organisation de l’Etat qui n’a pas évolué d’un iota depuis des décennies? Une organisation hypercentralisée où les populations et la société civile n’ont pas encore réellement leur place. Ensuite, il est à se demander par quel tour de prestidigitation le wali et ses directeurs d’exécutif réussiraient, sous le sceau de l’austérité ce qui n’a pas été réussi dans le faste financier des années passées. Il est tout à fait vrai que c’est là le moment le plus propice- imposé par la contrainte- pour que les Algériens fassent preuve d’ingéniosité afin d’explorer toutes les solutions qui sortiront le pays de la dépendance des recettes pétrolières. Cependant, cet effort de dépassement de soi et de la situation actuelle ne saurait se réaliser avec les méthodes éculées de gestion et d’administration usitées jusqu’à présent. Ce sursaut appelle une volonté politique claire, une remise en cause du schéma d’organisation de l’Etat et de ses démembrements, une véritable participation des populations à la définition de leur destin. En somme, une révolution mentale à laquelle une réunion avec les walis ne saurait se substituer.
Amar Naït Messaoud