Urgence à la “cité d’urgence”

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Mercredi dernier, sous un soleil automnal radieux, nous nous sommes rendus à la “cité d’urgence” dans la ville de Seddouk, répondant à l’invitation d’un groupe d’habitants d’un quartier qui nous est informés des misères qu’ils endurent.

On s’est déplacé donc, pour constater de visu la misère que vivent les vingt-deux familles de ce quartier, composé de nouvelles constructions qui manquent de commodités les plus élémentaires. Les habitants disent avoir frappé à toutes les portes des autorités locales leur étalant leurs déboires quotidiens mais, selon eux, les responsables consultés ne sont pas à leur écoute, l’une des raisons qui fait qu’ils se considèrent comme des laissés pour comptes. Asbai Mahfoud, l’un des habitants rencontrés, a bien voulu nous parler. «Quand on s’est rapproché de la société de distribution de l’électricité et du gaz de l’Est ex Sonelgaz pour demander des branchements de gaz naturel dans nos foyers, qu’on croyait avoir facilement et gratuitement, celle-ci nous a établi un devis se chiffrant à 1 100 000,00 de dinars, soit 55 000,00 dinars par foyer. Chose inacceptable pour nous, car nous avons mis toutes nos économies dans la construction de nos maisons. D’ailleurs, c’est pour cette raison et il y en a d’autres bien sûr que je vais énumérer ci-dessous, que nous avons décidé de fermer les sièges de l’APC et de la daïra, la semaine passée, pour nous faire entendre. Les autorités locales ont immédiatement réagi en improvisant une réunion d’urgence tenue à la daïra. Après discussions, un compromis fut trouvé», a souligné notre interlocuteur qui a enchaîné sur le même ordre d’idées en disant : «Pour ce qui est de ce problème de branchement en gaz de notre quartier, le P/APC nous a répondu que logiquement il sera pris en charge dans le cadre de l’extension par la DME ou l’APW de Béjaïa, sinon, l’APC le prendra en charge en 2016 comme il a répondu aussi pour les autres points que nous avons aussi soulevés. Concernant l’AEP, le maire nous a fait savoir que le subdivisionnaire de l’hydraulique de la daïra de Seddouk a déclaré lors d’une réunion du comité technique, qu’une entreprise a été retenue pour un projet d’alimentation de notre quartier.

Absence de gaz et d’eau potable

Le maire aussi a répondu pour l’aménagement urbain des ruelles nous informant qu’il est inscrit dans le cadre des FCCL 2015. En l’informant que nous avons établi une demande pour l’électrification de nos foyers depuis le 15 avril 2013 et qu’elle est restée sans suite, le P/APC a signalé que pour l’électricité il a tenu une discussion avec un responsable de la DME qui l’a informé que le programme quinquennal 2010/2014 a été consommé et qu’il y a lieu d’attendre le programme 2015/2019 pour les futures extensions. Enfin, pour l’assainissement, dernière revendication émise, le maire a répondu qu’il dépêcherait les services techniques qui établiront une fiche technique pour un projet qui sera inscrit en 2016. En conclusion, le P/APC nous a demandé de lui adresser, dans les prochains jours, un rapport détaillé de la plateforme de revendications et qu’il nous répondra par écrit dès sa réception. Il est de notre devoir de croire tout ce qu’a dit le P/APC, comme il est de notre droit de rester vigilants car des promesses non tenues on en a assez reçu». Le deuxième responsable que nous avons consulté est Idjed Madani, président de l’association les jeunes d’avenir de la cité d’urgence, qui nous a informé de la cagnotte allouée par l’APC à la cité d’urgence qui est de l’ordre de 8 000 000,00 dinars inscrits dans le cadre des PCD 2015, qui restent bloquée suite au blocage de l’APC. «L’APC nous a octroyé des projets pour l’aménagement urbain de trois ruelles, l’assainissement et l’eau potable, se chiffrant à 8 000 000,00 dinars mais seulement ils tardent à être réalisés à cause du disfonctionnement de l’APC suite à un blocage», se plaint-il. «Certes on a cru que cette fois-ci l’APC s’est montrée attentive à nos doléances, mais rien ne se profile à l’horizon pour nous rassurer que ces projets existent réellement ou seront réalisés effectivement, notamment cette puce que nous a mis à l’oreille un élu de l’opposition, nous informant que le montant de 8 000 000,00 dinars qui nous a été alloué est pris en charge dans le cadre des FCCl, inclus dans une proposition qui sera faite à la wilaya comprenant une panoplie de 25 projets. Si ce qui ressort de cet élu de l’opposition est vrai, cela nous fera vraiment mal. L’avenir nous dira dans tous les cas qui a tort et qui a raison, car ce blocage se terminera bien un jour proche et tout s’éclaircira», a ajouté M. Idjed. En arrivant à la cité la chose la plus frappante ce sont ces constructions chiques assorties de ruelles qui restent des chemins boueux, ravinés et étroits, dont certaines ne sont pas accessibles en voiture de par leur mauvais état. Il y a aussi des maisons modestes dont les façades extérieures ne sont pas encore achevées. Ni crépissage, ni peinture des murs. Située à l’Est de la ville de Seddouk, sur un terrain accidenté planté d’oliviers autrefois, lesquels ont été arrachés, cédant la place au béton, cette cité a une histoire récente et tourmentée. Créée au milieu des années 70, elle ne cesse de s’agrandir devenant la plus grande des cités périphérique de la ville de Seddouk. Elle est habitée en général par des ruraux venus pour la plupart des communes rurales de Benidjellil, Béni Maouche, Bouhamza, Amaloun, etc. Des populations qui ont souffert durant la guerre de libération nationale se retrouvant à l’indépendance habiter dans des villages rasés, des maisons détruites, un lourd tribut donné en chouhada. Aux premières années de l’indépendance, leur situation sociale faite de misère et de privation, ne s’étant guère améliorée. Pour cela, des familles entières, ballots sur les épaules, fuyaient les villages à la recherche du bien être qu’ils pensaient trouver en ville d’où l’exode rural vers la ville de Seddouk. Aujourd’hui justice est rendue pour ces familles appelées autrefois «des réfugiées».

Les promesses de l’APC

La plupart d’entre elles occupaient des résidences somptueuses et fondaient les plus grands commerces, entreprises de Seddouk. Ils sont les vrais citoyens de la ville de Seddouk, aujourd’hui. D’ailleurs, la partie haute de cette cité située à proximité du marché hebdomadaire, est devenue commerçantes avec des magasins de luxe. Cet exode rural s’est accentué durant les années 1980 avec le spectre de la nationalisation des terres agricoles qui planaient sur les familles, gros propriétaires terriens de la ville de Seddouk dont certaines ont fait les frais en se retrouvant du jour au lendemain expropriées de leurs terres pour des besoins de construction d’édifices publics scolaires ou sociales et d’autres touchées par la fameuse loi sur la révolution agraire, sous le slogan de : «la terre à celui qui la travaille». Ceci étant dans la ville de Seddouk, cette hantise des familles touchées par ces expropriations était la principale cause qui a incité les propriétaires à contourner cette loi, en bradant anarchiquement, sans viabilisation, ni actes de ventes authentiques des terrains agricoles pour de modiques sommes et parfois à crédit pour des citoyens ruraux fuyant les villages pour s’installer en ville à la recherche d’une vie meilleure pour leurs famille. Voilà comment se sont constituées de grandes cités urbaines à la périphérie et tout autour de la ville de Seddouk. Parmi celles-ci, une seule citée a traversé un parcours mouvementé riche en rebondissements qui jusqu’au jour d’aujourd’hui ne cesse de connaître des extensions fulgurantes dons le domaine de l’habitat qui lui offre le label de la cité la plus importante et la plus peuplée avec un nom un peu particulier et difficile à décrypter : «La cité d’urgence» par excellence. Comme nous sommes curieux de savoir comment cette cité a pris ce nom un peu bizarre, c’est Da Rachid, l’un des premiers qui ont construit dans cette cité qui nous le dira. «J’étais un villageois et j’exerçais dans mon village un petit commerce qui marchait bien. Un jour, j’ai entendu parler qu’un propriétaire terrien vendait des terrains à construire dans la ville de Seddouk. Dans notre village, on manquait de tout. Ni école, ni salle de soins, ni transport. Et toute cette misère incitait les gens à y aller s’installer en ville, d’autant plus que ceux qui s’étaient installés nous disaient que la ville, c’est l’Eldorado d’où cette légende : «Amane guelhit, tricité guelkhit, ayefki guethchoulit». Comme tous les ruraux, j’étais tenté avec les quelques économies que j’ai réalisées. J’ai acheté pour cela un lot de terrain. Mais dès les premiers travaux entamés, on a buté sur d’innombrables problèmes, notamment la fameuse loi sur les constructions illicites décrétée par les pouvoirs publics pour mettre un terme à des constructions anarchiques qui se construisent sans permis de construction. Nous ne pouvons prétendre à ce sésame car nous n’avions pas d’actes authentiques, nous avions acheté avec des actes sous seing privé appelé papier timbré légalisé à la mairie. Et aussi, nous ne pouvions pas abandonner nos constructions où on a mis toutes nos économies. Ceci étant, au moment où les autorités locales de l’époque agissaient par injonctions à notre encontre, nous intimant l’ordre d’arrêter les travaux, nous ne l’entendions pas de cette oreille, au contraire, nous étions animés d’une ardeur de continuer à construire nos logements vaille que vaille et qu’adviendra que pourra. Nous travaillions, donc, même la nuit au clair de lune. Et chaque matin que dieu fait, les autorités constataient que les travaux vont bon train même dans les ténèbres de la nuit. C’est dans ce contexte qu’est né le nom de cité d’urgence. Confrontés à des ruraux coriaces aiguisés par la traversée dans la douleur et les tumultes d’une guerre atroces qui leur a enlevé tout ce qu’ils ont de plus cher, des biens matériels aux vies humaines, les autorités ont lâché du lest en renonçant à leur besogne de démolition comme stipulée par cette loi en question. En constatant aussi que les constructeurs, bon gré et mal gré et d’une course effrénée contre la montre habitaient leurs logements sans en avoir terminé les finitions et encore moins espérer les commodités propres à la ville, tels que l’eau courante, l’électricité et l’assainissement dans les foyers», a raconté en détails notre interlocuteur.

Les souffrances d’hier et d’aujourd’hui

«La galère est loin de s’estomper puisque d’autres problèmes surgirent au grand jour, mettant dans l’embarras les nouveaux arrivés qui ne cessent de prendre le chemin de la mairie pour revendiquer un minimum de dignité aux autorités locales qui les ont classés comme des insoumis à la loi sur les constructions et qui ne daignaient même pas leurs accorder le minimum vital qu’ils demandaient. C’est-à-dire, à chaque fois qu’on se présente à la municipalité pour demander un projet, les autorités nous le refusaient arguant le fait que nous avions construit illicitement sur des terrains agricoles», se souvient-il. Pour cela, les habitants n’avaient d’autres choix à l’époque que de mettre les mains aux poches pour réaliser à leurs dépens les réseaux d’assainissement et les branchements d’eau courante. Cette tradition s’est bien ancrée dans l’esprit des habitants de cette cité qui, sans risque de nous tromper, compte environ un quart de la population de la ville. Ainsi, hormis le gaz de ville et le réseau électrique dont ils ont été gratifiés durant l’année 2003, les habitants continuent d’endurer les mêmes souffrances que leurs prédécesseurs. Si la partie haute de cette cité a bénéficié d’un goudronnage de la grande route et le bétonnage d’une ruelle, la partie basse quand a elle est au stade de chantier. À commencer par l’état pitoyable des voies d’accès qui sont dans un piteux état. Caillouteuses, ravinées par les eaux pluviales et truffées de saillies et de crevasses, ses habitants ne cessent de demander à la municipalité le bitumage, ou du moins le bétonnage des chaussées et les aménagements des ruelles. Les habitants restent condamnés éternellement à patauger dans la gadoue durant les intempéries et inhaler de la poussière qui envahit aussi leurs foyers durant la saison estivale.

L. Beddar

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