Samedi dernier, c’était le jour du marché hebdomadaire à Amizour. Les gens viennent des soixante-quatorze villages et hameaux de la commune pour faire leurs courses, et rencontrer famille et amis.
D’autres viennent de plus loin : Barbacha, Kendira, Béjaïa, Sidi-Aich,… Et tous attendent avec impatience ce jour de marché ou on fait des affaires. Mais cette semaine, il y avait de l’inquiétude dans l’air. Da Hamou, après avoir effectué ses courses, s’est arrêté dans un café jouxtant le marché pour s’attabler en compagnie de ses amis. Leur sujet de conversation tournait autour des derniers événements de la région et surtout autour de «l’Affaire de l’université». Il parait, selon ce qu’on lui a rapporté que l’ouverture de la nouvelle université a été annulée, et que les étudiants vont être renvoyés à Béjaïa, a-t-il avancé devant ses amis subjugués. C’est que Da Hamou s’inquiète pour sa fille et sa nièce inscrites dans le nouveau campus d’Amizour, à la faculté des sciences exactes. Lui qui habite Barbacha était rassuré de savoir que ses filles allaient faire leurs études pas loin de la maison. Avec l’hiver qui approche et la nuit qui tombe tôt, il était content que sa progéniture puisse rentrer tôt à la maison. Il était décidé de se déplacer dans le courant de la semaine pour rencontrer «le directeur» de cette université pour réclamer une solution. À l’extérieur, au niveau de la station de bus «SNTV», les jeunes discutaient également. L’ouverture de la faculté allait leur rapporter beaucoup, puisque les étudiants allaient remplir la ville et créer une nouvelle ambiance et une nouvelle qualité de vie. Avec la fermeture annoncée, tous les espoirs sont réduits à néant. Même un receveur s’est mis de la partie. «Avec l’ouverture de l’université on était sûrs de pouvoir remplir nos bus et faire de bonnes recettes. S’il n’y a pas d’université je crois que je vais devoir changer de ligne de transport. À Amizour, il n’y a pas de perspectives de développement. On comptait beaucoup sur cette université pour nous donner de l’espoir et enfin, passer à un autre stade dans le niveau de vie de la région». Un autre transporteur, en rejoignant le groupe en discussion avance: «on ne veut pas que cette région se développe. Vous voyez bien que rien ne se passe ici. Il y a des gens qui veulent enfermer Amizour de sorte qu’elle ne s’en sorte jamais».
À quelque distance de là des jeunes sont rassemblés devant le centre culturel de la commune. Un président d’association, discutant avec quelques-uns, parlait justement de ce sujet. «Il ne faut plus se laisser faire et réagir. Il faut aller voir le maire ou le wali, et exiger que cette université ne ferme pas. Il y a clairement une volonté d’étouffer cette commune et c’est l’affaire des citoyens. Quitte à écrire à Sellal et mener des actions pour cela». Il a vite été rejoint par un autre militant associatif qui abonde dans son sens, «je suis d’accord avec toi qu’il y a une volonté d’isoler Amizour de tout projet de développement. Les autres communes avancent mais pas la nôtre. Pas de budgets, pas de projets, pas de perspectives,… c’est à nous de réclamer que ça change. Il faudra aller voir le recteur de l’université et lui demander de ne pas fermer le campus et même, de créer des conditions afin que la commune et les étudiants puissent évoluer ensemble». L’approbation des jeunes a encouragé les associatifs qui ont lancé l’idée de contacter l’ensemble des autorités de la wilaya, dans un premier temps, puis le premier ministre pour leur expliquer combien ce campus est vital pour la région. En réalité il n’y a pas eu de décision de fermeture du campus. C’est une interprétation erronée de la décision de «sursoir» au déménagement vers Amizour, le temps que la commission d’inspection dépêchée par le ministère pour faire le point sur la situation termine son travail. Ce fut un gel momentané demandé par le ministère pour lui permettre d’écouter les parties en conflit dans un climat de sérénité. Les cours se déroulent toujours et la faculté augmente son rythme de travail chaque jour un peu plus. Toujours est-il que dans les rues d’Amizour, l’inquiétude monte et la population commence à exprimer son ras-le bol sur l’étouffement de cette commune laissée enclavée sans lucarne vers l’extérieur ni vision d’avenir. Tous les projets qui y ont été lancés sont restés lettre morte et les tentatives des différentes assemblées depuis des années sont restées infructueuses, du fait des blocages administratifs et bureaucratiques. Alors que la commune, en partenariat avec l’université de Béjaïa s’apprête à lancer les «journées méditerranéennes d’Amizour» sur le développement local, beaucoup de tiraillements se font jour. Il faudrait en effet, selon ce président d’association, «que la population se mobilise et exige la fin de l’embargo sur la région. Car ce campus est une véritable bouffée d’oxygène et nous comptons beaucoup sur lui pour servir de moteur au développement de toute la région. La science et la technologie, c’est justement ce dont nous avons besoin pour attirer des investisseurs et des porteurs de projets à haute valeur ajoutée», ajoutera notre interlocuteur. Quelles seront ces actions sur le terrain, et comment la population réussira à transformer son inquiétude en énergie positive capable de renverser les obstacles et aller dans le sens souhaité c’est ce que les prochains jours nous diront.
N. Si Yani