L’histoire de Muhand U Chaâbane

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Comme c’est connu, Muhend U Yehya était un grand dramaturge qui a adapté beaucoup de pièces théâtrales et de poèmes en kabyle. Il a consigné aussi des histoires et des anecdotes tirées du terroir. Ces dernières sont riches en enseignements. Le choix s’est porté, cette fois-ci, sur une histoire bien de chez nous. Il s’agit d’un personnage culte de Mohia qui n’est autre que Muhend U Chaâbane. Celui-ci, rocambolesque et excentrique, victime de déveine le poursuivant là où qu’il aille, ne connut guère de paix dans ses péripéties. L’auteur relatait : “Muhend U Caâban a mangé aujourd’hui une citrouille. Il voulait devenir un bon fidèle. Tariq el moustaqim, l’Islam… Il a vu les “frères” musulmans faire de la propagande et il a cru que c’était la vérité. Un jour, il se leva tôt et se dis : “Bon ! pour que je sois un bon croyant, il faut que je “gèle” mon cœur. Les femmes, c’est fini ! J’maâ liman, qu’elle soit Brigitte Bardot (…) La boisson c’est terminé ! et puis la nourriture, je dois être frugal. Je mangerai comme tous “El moumnine” (…) et puis quoi encore ?Ah ! Mon argent. Je garderais uniquement ce dont j’ai besoin, le reste je le remettrai à Muh N dakou pour le changer en France (…)”. Muhand U Caâban devint alors un “bon” musulman. A un moment donné, il s’est mit devant la fenêtre. Il a vu deux femmes : l’une était vieille et l’autre était jeune. Celle-là pleurait à chaudes larmes. Il sortit pour s’enquérir de cette situation, lui, le désormais “bon” croyant. Arrivé à leur hauteur, la vieille lui dit que c’était l’oncle de la jeune fille qui en était la cause, qu’il les avait trahies. Et à sa fille de renchérir : “Il m’a spolié, et a emporté tout ce que mon père m’a léguée”. La vieille supplia notre “héros” de les aider. Il accepta. Il rentra chez elles. On lui servit le café après quelques instants la vieille femme se retira. Muh U caâban et la jeune femme restèrent seuls. Celui-ci lui posa de tas de questions sur cette situation conflictuelle elle répondait tout en pleurant. Puis elle le remercia en le cajolant, “toi tu es un homme généreux, fasse Dieu qu’il en aient beaucoup comme toi”. U caâban, lui promit de tout régler, en s’approchant d’elle petit à petit en changeant peu à peu le sujet de conversation. Ils “sombrèrent” dans les nuages et Muh l’enlaça si fort, la situation s’échauffait et… “Ah !… Vociféra l’oncle de la jeune fille, ya chemata !”. Il était armé d’un fusil de chasse, il continua : “Je vais te tuer !… Ah ! Et tout cela chez moi, hein !…” Muhend U Caâban sursauta “attendez !… mon gars… ce n’est pas…” l’oncle, furibond, le coupa sec “Fais ta prière, vous allez mourir tous les deux… maintenant, tu paie ou tu meurs !”. Notre “bon” fidèle sort un carnet de chèques de sa poche et versa tout ce qu’il avait à l’oncle de la jeune fille, pour avoir la vie sauve. Muh U Caâban, l’échappant bel, rentra tout écœuré, la mine défaite, chez lui. Cinq minutes après, le téléphone retentit. C’était Muh U Bazar qui l’invitait à une partie de cartes. Muh se dit qu’après tout ce qui s’est passé, il avait besoin de changer d’air. “Je ne boirai pas avec mes amis, Akhzou chitan ! Je fais la prière”, s’est-il résolu. Il se rendit alors chez ses amis, on l’invita à boire un coups, il ne put résister et se dit “bof ! Si je bois un tantinet, ça ne fera rien. C’est un remède pour l’âme… Allez ! besmellah… “Il but un petit verre. Après avoir bien mangé, ils sortirent le jeu de cartes et jouèrent. Notre Muhand se dit “oh ! C’est juste un jeu, ce n’est pas haram !”. Il joua et perdit tout l’argent qu’il avait sur lui, et il leur doit encore une grosse somme. Après, une rixe se déclencha entre eux. L’un de ses “amis”, jeta en l’air un cendrier qui atterrit en plein sur l’œil de Muh U Caâban n twaghit. On l’emmena chez lui, ivre mort, l’œil au beurre noir. Il jura de se venger. L’un d’eux s’approcha de lui et l’assomma d’un coup de poing, il tomba groggy. A son réveil, il téléphona à Muh Y dakou pour récupérer son argent, celui-ci l’informa que ses billets étaient perdus. Il entra alors dans une colère noire, puis, décida alors d’aller voir Kharroubi, son ex-enseignant de lycée. En arrivant à l’institution où ce monsieur travaillait, voilà le planton qui lui barre l’accès. Muhand U Caâban insista pour voir l’homme qu’il cherchait, le vigile lui dit : “Est-ce que tu as une convocation sur toi ? Un rendez-vous ?”. Muh répondit par la négative. “Et comment voudrait-tu voir M. Kharroubi dans ce cas-là ?”, le réprimanda son interlocuteur. Il insista quand même, mais sans résultat, il s’apprêtait à rebrousser chemin quand tout à coup, apparut Kherroubi, Muh U Caâban accourut vers lui, celui-ci refusa catégoriquement de le recevoir et le renvoya au même planton. Ce dernier, las, lui demanda ce qu’il cherchait, Muh lui raconta tout, en lui disant à la fin qu’il voulait de l’argent. Le gardien lui donna cette sèche réplique : “Tu fais le trafic de la devise et tu viens réclamer de l’aide ?”, il lui donna un coup de pied. U Caâban s’en alla dépité en se disant “Ah !” Cette journée… Je ne serais jamais un bon fidèle. Ce matin, j’ai juré que plus jamais je ne toucherai aux femmes, plus jamais la boisson, les jeux, les grabuges et puis surtout, j’ai juré de ne pas aller quémander chez quelqu’un… ah ! et j’ai fait tout cela en une journée et dire que je viens de commencer la prière !” Se lamenta-t-il. En revenant chez lui, il constata qu’on déménageait sa maison et qu’un huissier était sur place. Ses “amis” l’avait envoyé pour récupérer leur dû. Muhand U Caâban pris de vertiges s’écroula à terre. Il vit passer devant lui la jeune femme qu’il avait rencontré dans la matinée même, accompagnée de son oncle, ils marchaient ensemble et ricanaient. A la tombée de la nuit, Muh se dit : “Et maintenant ?… Même si je vais chez les clochards, ils ne voudraient pas de moi… Ah ! a tiyita d’gi yersen !”. Fin de l’histoire”.

Micipsa Y.

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