« Ça fait plaisir… »

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Idir fait l’évènement ces dernières semaines en Algérie. Il fait un come-back assez bruyant. Pour lui, c’est un retour mitigé. Toujours heureux de retrouver les siens et la terre des ancêtres, mais très contrarié et profondément blessé face à ceux qui continuent à lui accorder « une existence reconnue qu’à moitié ». Nous avons été à sa rencontre, avant-hier, à son arrivée à Ath Yenni où il a eu droit à un hommage appuyé, dans le cadre du festival « Lumière sur le patrimoine historique et culturel de la Kabylie ». A travers cet entretien, Idir pousse un véritable cri de révolte.

La Dépêche de Kabylie : Vous avez eu droit à un accueil pas du tout ordinaire. Tout Ath Yenni qui se mobilise pour vous dire «bienvenue chez vous, vous êtes notre fierté», ca vous fait quoi ?

Idir : C’est vrai que ce n’est pas un retour comme les autres (large sourire). C’est le retour de l’enfant du pays. Et pourtant, je n’ai pas vraiment et complètement déserté Ath Yenni. J’ai senti tout de même un bien-être exceptionnel et une grande réjouissance de vivre un tel sentiment avec les miens que j’ai vus heureux et joyeux de partager avec moi de tels moments. En un mot, je reprendrai l’expression de ce jeune du patelin qui disait qu’il «est arrivé enfin le jour qu’on attendait tous intérieurement». C’est plein de sens, ça veut tout dire et c’est très touchant qu’on vous lance des expressions comme ça.

Vous attendiez-vous à un tel accueil ?

Franchement non. Parce qu’étant un gars simple qui se contente des joies simples, je ne pensais pas qu’on allait se mobiliser autant et me faire autant d’égards. Ceci dit, ça fait plaisir bien sûr, et je n’ai pas envie d’user de fausse modestie pour le dire.

Venons-en aux faits, ce festival de «Lumière sur le patrimoine historique et culturel de la Kabylie» c’est un projet que vous portez aussi n’est-ce pas ?

Oui j’adhère à l’idée. On m’a parlé du sujet depuis un certain temps déjà je peux même dire depuis longtemps. On devait le concrétiser en juillet, puis en août, par la suite septembre, après c’était pour octobre, mais à chaque fois j’étais en période de soins et d’analyses médicales à effectuer, donc je n’étais pas totalement libre des jours qui venaient. Ce qui fait qu’à chaque fois on a dû renvoyer la date à plus tard. Et je peux dire que là c’est bon pour tout. Ce qui fait qu’on a opté pour ce créneau de novembre pour organiser la rencontre.

C’est un projet qui vous tient à cœur, ce festival, au-delà de cet hommage qui vous est rendu à l’occasion ?

Oui, je crois en l’initiative que je juge à encourager, d’où ma présence ici. C’est tout de même un festival de «lumière». Ca prouve déjà d’une, que les gens cherchent quelque chose de positif, et de deux, cela permet des rencontres, des échanges de points de vue, de la concertation et ça ne peut pas être plus négatif non plus.

C’est une opportunité pour relancer le combat identitaire citoyen que vous considérez inaccompli ?

Peut-être pas de relance, parce que ceux qui bossent pour le combat identitaire ont été en continu sur le terrain et ils sont là mais le but d’une telle initiative est de réunir les gens et permettre l’union des forces pour pouvoir mener justement la masse citoyenne vers la lumière surtout. Ceci étant, je ne pense pas qu’il existe un Kabyle qui pourrait dire aujourd’hui j’ai ou j’abandonne mon combat identitaire. Ca n’aurait pas de sens.

«Lumière» a quelle signification pour vous, dans cette démarche ?

C’est l’avenir. Et je suis de ceux qui considèrent que le passé peut continuer à vivre avec ou sans les autres. Si quelqu’un ne reconnait pas ma culture, moi je la reconnais et je ferai tout pour qu’elle le soit pleinement un jour.

Certains pourraient voir dans cette ébauche une troisième voie par rapport aux courants en présence dans la sphère du combat identitaire, notamment le mouvement de Ferhat, c’est le cas ?

Tout d’abord, je ne sais pas si le mouvement de Ferhat a un projet identitaire. Il a plutôt un projet politique je pense.

Vous êtes tous les deux des militants historiques de la cause berbère. Vos apparitions partagées suggèrent-elles un partage des visions ?

Par mes apparitions à ses côtés, j’essaye de lui apporter de la visibilité pour qu’il puisse s’exprimer, que les gens l’entendent, saisissent son message. Ma mission, si mission il y a, s’arrête là. Après, le reste c’est au peuple de décider, il y a ceux qui pourraient être pour, d’autres moins convaincus donc contre…

Et qu’en pense Idir ?

Si je remonte un peu la genèse du mouvement, c’était d’abord l’autonomie, puis on est passé à l’autodétermination et ensuite à l’indépendance. Moi mon avis, il faut d’abord consulter les gens. Voir aussi si c’est viable ou pas. Après, il y aura le problème algérien et l’indépendance de la Kabylie à voir de plus près, il faut voir si c’est compatible, il faut voir aussi si cette région a la possibilité de se faire indépendante ? A quel prix ? Est-ce que les gens seraient prêts à payer ? Et puis le cas échéant, comment ça va se passer ? Sous référendum ? Ou une autre forme ? Je pense que les choses ne sont pas simples. Il faut aussi s’attendre à des réactions pas évidentes à être acquises de certaines populations. Et puis qu’en diront les autres ? Les Etats-Unis ? Le Maroc ? La Tunisie ? La France ?… Je parle de pays étrangers car on serait à ce moment-là dans le cas d’un espace indépendant qui suscitera certainement des réactions d’en dehors des frontières aussi. Car l’Algérie représente une zone stratégique, et tout ce beau monde qui nous entoure serait-il prêt à accepter facilement un espace indépendant et surtout incontrôlé ? Ca pourrait faire les affaires de certains mais pas d’autres, donc cela amènera à des réactions vraisemblablement opposées.

Justement des voix marocaines font déjà du bruit sur la question. Vous considérez que c’est là une provocation comme l’ont pris certains? Une maladroite ingérence ou plutôt une réaction attendue? Quel est le commentaire que fait Idir ?

Je considère qu’ils ont le droit de dire ce qu’ils veulent, mais qu’ils s’occupent au préalable de leurs affaires internes. Ils sont à peu près dans les mêmes problèmes. Parce qu’on ne peut pas s’empêcher de parler, déjà pour le principe, de l’indépendance de la Kabylie pour les Marocains sans parler de l’indépendance du Sahara occidental. Et puis je suis étonné qu’on réagisse sur l’indépendance de la Kabylie maintenant précisément, alors que le combat identitaire en Kabylie remonte à des décennies sans que cela n’ait provoqué de réactions de nulle part.

Justement, vous ne pensez pas que la sortie marocaine n’est, en quelque sorte, que la réponse du berger à la bergère avec le soutien franc de l’Algérie officielle à la cause sahraouie ?

Si ça ne pouvait se limiter qu’à des bruits de sérails, je me limiterais à dire alors que ça se passe entre eux et qu’ils se bouffent mutuellement. Mais il y a la Kabylie au centre, et qu’ils sachent qu’il est inimaginable qu’elle leur serve d’élément de chantage.

Vous avez déclaré que vous ne chanterez pas en Algérie tant que Tamazight ne sera pas reconnu officiellement, c’est une décision qui vous fait mal ?

Bien évidemment. Mais que voulez-vous que je fasse face à ceux qui ne m’accordent qu’une partie de mon existence? C’est ma manière de dire ma profonde blessure face à un tel déni.

Et pourtant dans un passé récent, on vous a, plus d’une fois, annoncé tout près de remonter sur scène en Algérie… C’est désormais un projet abandonné ? Du moins tant que…

Apparemment oui. Mais je n’ai pas envie que ça soit pris comme un ultimatum que je lance. Mais ce n’est là que la manifestation d’une blessure interne. Parce que si je suis Algérien, je revendique de l’être à part entière et ce ne pourrait être le cas sans la reconnaissance de ma langue. Et si ma langue doit être reconnue, elle doit l’être et nationale et officielle. Je n’ai pas de prétention, je peux même dire que je ne suis rien face au reste, mais ça ne m’empêche pas de dire ma blessure face à l’autre qui est en train de me dire «tu es algérien comme moi j’ai envie». Ca me parait tout de même bizarre. Et une existence en partie comme ça me frustre et me blesse. Le mal je le ressens terriblement.

Vous n’en pouvez plus ? C’est ce qui explique cette récente présence soutenue sur le terrain de la revendication ?

Mais je n’ai rien programmé. Moi je ne fais que répondre aux questions qu’on me pose, autrement je suis toujours à la place qui est la mienne. Mais je ne vois pas comment se sentir citoyen pleinement et ne pas jouir de ses droits, alors que je me suis toujours acquitté de mes devoir.

On vous prête l’annonce de la sortie de votre nouvel album pour le 20 avril prochain. C’est une date pleine de symbolique pour la Kabylie. C’est un autre signe pour dire encore combien votre mal est profond ?

Effectivement, si c’était le cas on dirait que c’est calculé. Mais ce n’est pas là une information exacte. Je n’ai pas fait une telle déclaration. Je n’ai jamais dit que ce serait pour le 20 avril. J’ai certes parlé d’un nouveau produit mais la date de sa sortie ne relève pas que d’une seule volonté. Il y a la boite de production mais aussi les aléas qui peuvent toujours survenir et vous pousser soit à rapprocher soit à retarder ce qui est prévu. Pour l’heure en tous les cas rien n’est arrêté en définitive.

C’est une question à laquelle vous avez eu à répondre à plusieurs reprises ces dernières semaines, mais qu’est-ce que vous n’avez pas encore dit sur ce nouvel album à venir ?

Et bien, je pense que tout le monde sait pour Aznavour mais sachez qu’ils seront plusieurs autres artistes de renommée mondiale à participer à cet album. Je citerai également Francis Cabrel, Maxime Le Forestier, l’Irlandaise Sinead O’Connor, Bernard Lavilliers et Patrick Bruel. Il y aura même la voix du défunt Henri Salvador, nous avons le ok de sa veuve qui nous a remis un texte inédit. Comme j’attends aussi la réponse de Cat Stevens pour une participation également.

Pour le contenu ce sera un album pour la Kabylie ou plutôt du genre la France des couleurs ?

Disons que ce sera entre les deux, dans la lignée de ce que je fais : je veux dire par-là tenter des expériences, chanter avec les autres, partager… Car je considère que si Aznavour chante en kabyle c’est un acquis, un gain, pour notre langue. Si Maxime Le Forestier fait de même, c’est la même chose. Moi je suis en quête pour démontrer que même si notre langue n’est apparemment pas estimée de certains il y a d’autres qui l’estiment et ils ne sont pas des moindres. C’est pour leur dire aussi avec vous ou sans vous je continue mon bonhomme de chemin.

Entretien réalisé par Djaffar Chilab.

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