Le retour du vomi

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Par Mohamed Bessa

Dans un patelin exposé aux raids terroristes, les femmes s’arment et suppléent aux hommes occupés dans une usine de « roulage » de couscous. L’oppression morne qui meuble les jours n’est rompue que par les intrusions intempestives d’un garde communal fantasque et efféminé. « J’ai voulu faire une parabole sur cette époque qui marque la fin du mal dont nous avons triomphé », indique pudiquement Mohamed Chouikh, le réalisateur de « Douar de femmes » lors d’une avant-première-bis organisée à la cinémathèque de Béjaïa. Un terroriste avait déjà fait jaser les chaumières en épargnant la vie de gosses perdus en forêt, aujourd’hui il vient carrément déposer sa Kalachnikov aux pieds de ces Amazones qui ne croient pas leurs yeux. « Si vous considérez que mes fautes sont grandes, soyez encore plus grands, pardonnez-les ! », enjoint-il en s’offrant tranquillement à la ligne de visée de la cheftaine du groupe. « Et mes parents que vous avez massacrés, qu’est-ce qu’ils vous ont fait ? », s’emporte dérisoirement celle-ci qui recule à mesure que son interlocuteur avance. Elle ne l’abattra pas, elle, comme tout le monde, tend l’autre joue. C’est Zarathoustra avisant le soleil : « Ô grand astre ! Quel serait ton bonheur, si tu n’avais pas ceux que tu éclaires ? « . Et le soleil est pris de doutes.Notre bel héros aux yeux bleus ne proclame cependant pas la mort de Dieu. Sa démarche reste circulaire, toujours ancrée dans l’univers du Djihad. « C’est lui qui m’a appris la prière et j’en suis arrivé à le traiter de tyran (taghout) », se lamente-t-il sur la tombe toute fraîche de son paternel. Il ne tire aucun enseignement original, son propos se mord la queue comme un chien galeux. La cavalcade terroriste n’a rien d’un parcours initiatique et demeure intellectuellement infertile. Et ces hommes qui confient leurs armes, symbole de pouvoir s’il en est, aux femmes, n’omettent pas de léguer à un quarteron de vieillards rachitiques des pouvoirs de police des mœurs. Parce que dans cette civilisation bâtie sur une « banale membrane », dixit Rachid Mimouni, on sait néanmoins qu’on peut tout faire avec des baïonnettes sauf s’asseoir dessus ? Ceux qui s’affrontent s’arc-boutent sur les mêmes valeurs dogmatiques sans soupçonner la moindre alternative salutaire. Et si tout cela, qui est déjà assez inquiétant, n’était que du cinéma ?Le film majoritairement produit par des fonds institutionnels n’a pas les moyens du doute.Une candeur qui tombe mal avec l’actualité qui enregistre un ressac des appréhensions inhérentes aux politiques de composition avec l’islamisme.Madani Mezrag a avoué le meurtre d’un soldat ? C’est « rien » et d’ailleurs, en l’occurrence, il n’avait évoqué que son « premier assassinat » comme d’autres évoqueraient leur premier baiser ou leur premier roman. Tout le monde, y compris ceux qui jouent la surprise, et qui ainsi ramènent des questions de froide mécanique politique à un inutile enjeu éthique, ne le savait que trop. L’occurrence souligne tout juste un rapport directement charnel à la mort, sinon il a, pour reprendre les termes de l’Intelligent, autant de morts sur la conscience qu’il y a de poils dans sa barbe. Le véritable aveu est, par contre, dans cette affirmation implicite de la permanence de l’entité « AIS « . « Nous avons des biens, dit-il, des voitures et de l’argent(…) Aujourd’hui encore, même après la dissolution de l’AIS, je suis obligé de m’occuper de l’avenir de mes hommes ». Il en parle avec d’autant de décontraction qu’il ne doute pas un seul instant que les islamistes vont finir par s’imposer au pays. La presse a relevé en son temps l’insignifiance des armes rendues par les « repentis » : des coutelas, des pistolets rayés ou, au mieux, des fusils à canons sciés.Les Patriotes qui refusent de rendre les armes ou qui se constituent des arsenaux dans l’illégalité, ne se laissent pas conter.Mais cela ne suffit pas pour ne pas lui donner acte de la pertinence de sa conviction triomphaliste quand les forces de résistance de la société dépérissent chaque jour davantage. Il n’y a jusqu’à cette mythique Kabylie pour ne pas montrer d’inquiétants signes de fêlure de sa carapace laïciste qui avait décisivement fait échec au projet intégriste. Une sourde vague d’enrôlement djihadiste la travaille qui préfigure une substantielle évolution du rapport de force sociopolitique qui avait, jusque-là, confiné les islamistes dans la marge du tolérable. Nombreux mais silencieux, les nouveaux convertis de l’islamisme ne se sentent pas encore assez de force pour investir et conquérir l’espace public. Chafouins et instruits de l’échec traumatique du passé, ils marchent sur les orteils. Avec les forces du pouvoir obsédées par ce linéament caractériel qui fait de la Kabylie une zone de fronde permanente, ils ont contracté une alliance gagnant-gagnant. Des imams salafistes seront affectés en masse dans ces territoires in partibus pour dealer leur « opium des peuples » et apaiser les angoisses séditieuses de ces armées de jeunes, proies d’autant faciles qu’elles viennent de faire le vide symbolique avec le Printemps noir. L’infamie qui a déjà poussé à la profanation de la statue de Matoub (Ô, ces outrageants idolâtres !) à Tiqubain, couve partout et n’attend que le temps propice pour entraîner, à rebours, la Kabylie dans cette aventure qu’elle avait tant contrarié et, sinon, lui faire définitivement ravaler son propre vomi. Pendant que Madani plastronne sur les écussons d’une guerre dont la victoire lui est logiquement promise, Ubu-Jera vise, lui, au-dessous de la ceinture. La longueur de la jupe, l’échancrure d’un décolleté, la licence d’une posture. Il ramène les choses à une affaire de c…, là où précisément les islamistes « désarmés » évoluent comme des requins dans l’eau.

M. B.

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