«L’impossible éradication»

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C’est au Théâtre régional de Béjaïa que le café littéraire a organisé sa première rencontre pour cette nouvelle saison 2015-2016.

Ahmed Tessa, enseignant, pédagogue et chercheur, est venu, avant-hier, présenter son dernier ouvrage au public bougiote. Même si la salle n’était qu’à moitié pleine, la qualité du débat a permis d’aborder une série de questions intéressantes que le conférencier a pris soin de traiter avec élégance. Le temps n’a, malheureusement, pas suffi pour s’étaler sur un certain nombre d’éléments, tels les statuts des langues en Algérie et l’identité linguistique des algériens. Ahmed Tessa n’a pas arrêté pour autant de renvoyer les gens vers son livre où, a-t-il dit, il a développé toutes ces questions. En bref, ce qui ressort de l’intervention de M.Tessa, c’est que depuis l’indépendance, le pouvoir a toujours essayé de marginaliser, puis d’éradiquer l’usage de la langue française dans le système scolaire algérien. Mais, selon lui, c’est peine perdue, puisque cette langue a pris des racines et s’est intégrée dans la société algérienne de manière irréversible. Le français a été réservé à l’enseignement supérieur, dans les domaines des sciences et technologies. Cela lui a conféré un statut spécial, devenant une langue de prestige. Seule l’élite a accès à cette langue et elle est devenue une langue d’accès aux sphères supérieures du pouvoir. Le français est ainsi devenu désirable, encourageant l’ouverture d’écoles de langues privées pour essentiellement l’enseigner aux enfants que l’école a mal formés dans cette discipline. Ahmed Tessa est un ancien normalien, enseignant et pédagogue ayant exercé à tous les niveaux du système scolaire Algérien, il a été fondateur de la première revue d’éducation bilingue en Algérie, sous le titre de «L’École et la vie». Il a également été très actif en collaborant par ses écrits dans plusieurs journaux, dont «Parcours Maghrébin», et «El-Watan». L’ouvrage d’Ahmed Tessa, «L’Impossible éradication : l’enseignement du français en Algérie», a été publié en 2015 aux éditions Barzakh. Il commence par apporter un éclairage historique pour permettre au lecteur de se situer dans le temps et comprendre l’évolution de l’enseignement de la langue française en Algérie et le sort qui lui a été réservé. C’est cette occasion qui a permis à l’auteur d’aborder, dès la première partie du livre, la question des «sources» de ce mal. Analysant la question de l’encadrement, il relate notamment les conditions de recrutement et de formation des enseignants, ainsi que leur promotion professionnelle. Il distingue ainsi ceux qui évoluaient à la vitesse de l’escargot, et ceux qui n’avaient pas de peine à prendre le TGV. Avec clarté et suffisamment de recul, l’auteur analyse aussi l’intervention du politique dans le système scolaire et comment il l’a conduit à la dérive que nous constatons actuellement. Sans prendre de gants et sans mâcher ses mots, Ahmed Tessa parle de chauvinisme, de dévalorisation et d’exclusion. Il condamne ainsi ceux qui ont contribué à l’échec de l’école algérienne, aboutissant à un constat amer, celui de la perte d’une langue qui est pourtant la nôtre, pour paraphraser Kateb Yacine. Alors que notre peuple est naturellement multilingue, passant aisément d’une langue à une autre, le système scolaire algérien a voulu faire de lui un monolingue et en le faisant, il lui a fait perdre tous ses acquis et ses atouts. Citant régulièrement différentes élites nationales qui ont maîtrisé et utilisé la langue de Molière, l’auteur a rappelé dans sa conférence que nos héros nationaux, à l’exemple de Abane Ramdane, Messali Hadj, Krim Belkacem, et bien d’autres, ont usé de cette langue qu’ils maîtrisaient pour combattre le colonialisme. Nos élites ont également utilisé cette langue avec art et brio, à l’exemple d’Assia Djebbar, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, Mohamed Dib, et tant d’autres. Et il constate, avec plaisir, l’émergence d’une nouvelle génération à l’exemple de Kamal Daoud, qui a montré avec dignité que la langue française a de beaux jours devant elle en Algérie. À cause de son ancrage sociologique, il est donc impossible d’éradiquer cette langue que nous devrions adopter, puisque de toute évidence, elle a été payée très cher par nos prédécesseurs, qui n’avaient eu aucun complexe à l’utiliser, sans pour autant se renier. En forçant les traits pour l’exclusion du français de l’école algérienne, les promoteurs de cette méthode n’ont, en fait, fait que la renforcer, au lieu de la banaliser. Il est temps, alors, de rassembler les énergies et de reprendre les choses en mains. De toutes les façons, et quel que soit l’opinion qu’on se fait sur le sujet, les résultats sont là et parlent d’eux même. L’échec de l’école est consacré et reconnu par tout le monde. Ou bien on se réveille et on réagit, ou bien on continue de sombrer dans l’échec.

N. Si Yani

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