La bataille d’Aït Ouabane racontée

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Comme à leur habitude, les citoyens du village Aït Ouabane, situé entre deux falaises en plein centre du massif du Djurdjura, qui abritait l’un des PC de la wilaya 3 durant la guerre, n’ont pas dérogé à la règle et ont célébré la journée du 11 décembre 1957 qui restera dans les esprits de ceux l’ayant vécue.

C’est aux environs de 10 heures du matin que le président du comité dudit village, Bessadi Tarik, donnera le coup d’envoi de la cérémonie souhaitant la bienvenue aux présents et en observant une minute de silence en mémoire des martyrs de la révolution. Le programme de la journée a débuté à l’école primaire du village, par des témoignages sur la fameuse journée du 11 décembre 1957, où a eu lieu la bataille connue, dans la région, sous le nom de «la bataille d’Aït Ouabane». Après l’intervention du maire de la commune d’AKbil, Bessadi Hakim, natif de ce même village, la parole a été donnée à l’un des acteurs de cette bataille, en l’occurrence Si Saïd, ainsi qu’à Nna Terkia, une villageoise ayant vécu aussi cette guerre. Ont suivi d’autres intervenants, invités du jour. Delà tous les présents ont été conviés à se rendre au monument des martyrs du village pour déposer une gerbe de fleurs. Après cela, un déjeuner a été offert à tous les présents, dans la cantine de l’école. En effet, le 11 décembre 1957 restera mémorable pour les citoyens des Aït Ouabane, car cette journée était la raison de leur évacuation du village vers Bouadnane et les villages limitrophes de la région. «Nous devons raconter les péripéties de cette grande bataille pour que les autres générations, qui n’ont pas vécu ce genre d’événement, puissent connaître l’histoire, et s’imprégner des exploits et du courage de la jeunesse de notre temps, celle qui a vécu la guerre de libération», nous dira l’officier de l’ALN, Ibrahim Djaffar, connu sous le nom de guerre de Si Saïd, et d’enchainer, «aujourd’hui, j’ai l’honneur de vous raconter les événements de cette grande bataille, qui s’est déroulé un certain 11 décembre 1957, et dont j’ai été l’un des acteurs. En cette année 1957, l’armée de libération nationale (ALN) s’est attelée à l’organisation de ses rangs par la formation de bataillons et de compagnies et ce, dans le cadre des résolutions arrêtées lors du congrès de la Soummam du 20 août 1956. En ce temps de grâce, au niveau du village Aït Ouabane, fût installé le PC de wilaya au sein duquel, il y’avait une section presse qui était composée de Si Tahar d’El Kseur, si Abdenour Farhani, si L’Hadi Ouguerguouze, si Abdelkader de Sétif et si Tayeb Abdelouahab. En outre, une compagnie, dirigée par le chahid Amrane Amlikeche, venait d’arriver de Tunisie, et avait installé son bivouac non loin du village Aït Ouabane, l’ennemi qui était aux aguets, fut alerté et a pris toute les dispositions en apprenant la présence, dans la région, du colonel Amirouche. Le 10 décembre au soir, la section ALN locale, renforcée par les moussebelines, a exécuté une action d’envergure par le sabotage de la route de Tirourda. Suite à cette action et aux renseignements recueillis sur les mouvements des moudjahidines, les forces militaires coloniales renforcées par les unités des postes Aït Ali Ouherzoune, Aïn El Hammam et de Tizi El-Djamâa, sans que celui-ci puisse attirer notre attention, décident de déclencher une offensive contre les moudjahidines. Ce n’est que le 11 décembre 1957 au matin, que nos guetteurs ont pu déceler la présence de l’ennemi qui, dans la nuit du 10 au 11 décembre a occupé toute la route touristique menant vers Tirourda, et les camions GMC, bourrés de soldats, ont fait route vers nos positions. Devant toute cette armada, nous nous sommes scindés en petits groupes amenant avec nous cheptel et autre matériel, et avons rejoint la forêt toute proche sans attirer l’attention de l’ennemi, avant que nos éléments n’atteignent la route Imoula N Terbouthine, nous aperçûmes les forces adverses qui nous faisaient face. À noter, que nos forces se composaient d’une centaine d’éléments, entre moudjahidines, détachés et moussebelines, mal armés, dont la majorité n’était dotée que de fusils de chasse. À 10 heures du matin, les moudjahidines ont accroché les militaires français, et le combat a commencé avec une ténacité. Le corps à corps était inévitable. Venant à la rescousse, l’aviation n’a pu intervenir de peur de se tromper de cible. Ce jour là la météo nous a été favorable, car il pleuvait à torrent et le brouillard envahissait la région. À chaque coup, nos tirs faisaient mouche et nombreux sont les militaires ennemis qui mordu la poussière, dont un lieutenant. Devant la fougue de nos valeureux moudjahidines, l’ennemi s’est replié et bat en retraite, tout en ordonnant à l’artillerie de pilonner nos positions. En cette journée mémorable, les forces adverses ont laissé sur le terrain plus d’une centaine de morts et autant de blessés, quant à nos pertes, elles s’élèvent à 40 moudjahidines tombés au champ d’honneur et 2 furent prisonniers. De cette bataille, nous avons récupéré 4 mitraillettes et MAT 49 et un fusil Masse 50 avec jumelles. Devant les pertes subies, le commandant des forces ennemies, en l’occurrence le général Gracier, a ordonné l’évacuation du village Aït Ouabane, dont la population a subi les pires atrocités y compris les femmes, les enfants et les vieillards. Le village a été bombardé les maisons entièrement détruites et rasées, la population, par groupes dispersés, rejoint les villages limitrophes pour être hébergée, et les familles des maquisards ont été dirigées vers le poste de Bouadnane. Ainsi, fut la bataille d’Aït Ouabane, en cette journée du 11 décembre 1957, laquelle restera ancrée dans la mémoire des survivants et qui servira aux générations futures d’un temps d’histoire de notre glorieuse révolution». Ibrahim Djaffar, natif de ce village et vivant depuis longtemps et après l’indépendance à Béjaïa, ne rate jamais l’occasion de revenir dans son village natal pour assister à toutes les fêtes et cérémonies, malgré son âge avancé. Les jeunes sont toujours étonnés de la mémoire qu’il a, quand il se met à raconter la passé et surtout la révolution. Mais, pour que personne n’oublit, Si Saïd à écrit ses mémoires intitulées «Mémoires d’Ibrahim Djaffar, dit Si Saïd, ancien officier de l’ALN wilaya 3. L’histoire se construit sur les mémoires de ceux qui l’ont vécue.

B. Mhanna

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