L’été le gâteau, l’hiver le  »beau…gâteau  »

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Par Djaffar Chilab

Loin de la côte, on ne peut dire que la Kabylie se tape un…  » été indien. « . Il fait chaud, on transpire, on suffoque, on se plaint, même si la région retrouve en cette période des grands congés une certaine animation, des couleurs, de la vie. Mais malgré l’ennui des chaleurs torrides, la Kabylie a pris l’habitude à se surprendre en fête. Ça la réjouit et ça l’égaye. Et puis il y a ces émigrés qui rappliquent… Dans les villes, les effets vestimentaires changent, le climat aidant, on se découvre un peu plus. Ça éveille une certaine tentation, ça excite, c’est beau, bien, ça fait rincer l’œil, et, quelque part, mal. Mais il y a de la joie. Les cortèges, et les klaxons se font incessants. On circoncit les petits, et on marie les grands. La Kabylie paraît alors une belle carte postale en couleurs. Mais voilà qu’une fois les cérémonials dépassés, ce beau tableau perd vite de son éclat. Le quotidien, la routine pas toujours conciliante reprend ses droits. La société sombre à nouveau dans la réalité pas souvent réjouissante, et les humeurs intempestives. Forcément l’on se retrouve plus du juge que de l’imam… Ce n’est pas tout le monde qui divorce mais une virée dans les tribunaux de la wilaya en jours d’audiences donne l’impression que c’est le cas. Les faits sont flagrants, le phénomène n’est plus un tabou, mais plus encore, il passe presque pour une formalité banale. Le divorce a pris de l’ampleur en Kabylie. Ça délivre certains, ça leur fait retrouver le sourire, et la joie, ça complique l’existence à d’autres, et parfois ça anéantit carrément l’avenir. Chacun selon sa situation, son cas. Le porte-monnaie compte aussi dans l’affaire. Samedi dernier, comme chaque samedi d’ailleurs, il y avait foule dans le hall du tribunal de Tizi-Ouzou. A droite, la salle d’audience N°1, réservée en pareilles journées aux affaires de statuts personnels, déborde de monde. Ça fait penser au marché mixte de Tizi-Rached en son temps. On y croise des jeunes, des vieux, des vielles… On dit souvent que « l’amour n’a pas d’âge ». Tout compte fait le divorce aussi. Le mariage, c’est quelque chose de beau, et c’est censé durer. Mais il y a ceux qui finissent par renoncer…un beau jour. Il y a même ceux qui n’en peuvent plus au bout d’un petit mois.

Au tribunal de Tizi-Ouzou, un jour de divorceNabila, appelons-la ainsi, a, tout juste, 24 ans, et même pas une année de mariage. Elle est belle. Elle s’est même bien mise en valeur ce jour-là, et paraît moins préoccupée pour la suite qu’elle l’est juste de se retrouver dans de tels lieux. Elle ne s’est unie à celui qu’elle considérait comme l’homme de sa vie qu’en septembre dernier. Il est désormais son adversaire. Elle ne porte plus son alliance, et raconte qu’elle est là pour sceller la séparation. « Franchement, au départ il m’a presque fait croire que Venise c’était le petit village où je devais le rejoindre. Finalement, il savait juste parler. Tout s’est avéré mensonge. Une fois chez lui, tout s’est écroulé. Pas de sortie, pas d’attention, alors là, le travail, je ne devait plus y penser car son père n’était pas d’accord. Si quand même, il m’a fait embaucher pour de bon dans leur cuisine. Mais malgré ça j’ai pris mon mal en patience. Enfin, j’ai essayé pour nous. Mais je le sentais m’abandonner à ses parents qui me pressaient au fil des jours. Voilà où on en est !  » Nabila était accompagnée de sa grande sœur, et son beau-frère. Des cas pareils au sien, il y en a à la pelle dans la salle même si on en parle peu. Les sujets masculins ont aussi leurs versions, et lorsqu’ils en parlent, ils trouvent eux aussi les meilleurs alibis pour se donner raison. Said est, lui, d’un certain âge, un homme moyen. Il était cadre dans une entreprise à Oran où est établie sa belle-famille tout aussi Kabyle. Il a épousé sa femme en 1998. Il a continué alors à émigrer là-bas après la fête célébrée bien sûr en Kabylie. Avec le temps, il a pu se faire une situation. Ces derniers mois, il a dû quitter son poste de travail pour rentrer sur Tizi Ouzou où il envisage de monter sa propre affaire, et surtout se rapprocher de ses parents, et ses petits frères dont il est l’aîné. Mais voilà que son épouse fait le forcing pour ne pas rentrer. « C’est vrai qu’on a un enfant scolarisé là-bas mais ce n’est pas un problème. On lui fera un transfert c’est tout. J’ai beau lui expliquer mais… Au fond elle fait tout ça pour m’éloigner de ma famille et rester avec la sienne. Elle a fait son choix, et moi le mien ». Said n’en dira pas plus. Dans la salle, la dame à la robe noire continue à faire l’appel. Les couples flanqués de leurs avocats se succèdent à la barre, comme à l’école dans un examen oral.

La belle-mère et l’humeur, ces alibis récurrents En retrait, Me Amar Ben Arbi commente : « C’est clair que le problème a pris de l’ampleur. Généralement la séparation intervient après quelques mois, si ce n’est après quelques jours. On se découvre des incompatibilités d’humeur sur à vrai dire parfois des détails qui ne valent rien, des futilités du genre je vais chez moi quand je veux…” L’homme a tendance à ne pas trop être d’accord sur ça. Et puis il y a aussi toutes ces promesses avancées avant le mariage, peu tenues après. Les jeunes d’aujourd’hui rêvent de vivre comme à la télé mais, ce n’est pas évident. Il lui dit : je suis ouvert, tu travailleras, tu seras comme une reine, tu passeras ton permis, tu sortiras normalement, on sera chez mes parents juste les premiers temps après on louera seuls, enfin il lui fait monter tout un château qui s’avérera de cartes. Ce sont des problèmes de ce genre, mais il y a aussi parfois l’intervention des parents qui sèment la zizanie. J’ai écouté pas mal de versions et j’en ai déduit que ce n’est pas qu’une mère voudrait du mal à sa belle fille, ce qui est valable aussi d’une belle-mère à son gendre mais il y a des moments où les parents admettent mal que leurs enfants veulent vivre leur vie en indépendance si je peux dire ainsi. La maman voit parfois comme si sa belle-fille lui a volé son fils, et elle réagit mal. Et lorsque les couples ne sont pas assez mûrs pour comprendre et gérer ce genre de situation, c’est la rupture inévitablement. Pour un oui ou pour un non, tout se casse « . Mais il n’y a pas que ces cas, il y en d’autres vraiment très particuliers, là oùu il est question de sous, de gros sous même.  » L’euro fait dès fois aussi séparer « . Tel le cas de ces vieux à la retraite dorée qui se remarient après la disparition de leurs premières femmes. Les  » schnoqs  » en profitent bien pour se  » taper  » parfois des moins de trente ans. Jusque-là tout va, mais lorsque les enfants du premier mariage réalisent que leur parental courbe vraiment l’échine, et le gros lot les fuir, alors ils sont prêts à tout pour sauvegarder l’héritage… Et il n’y a pas mille et une solutions ! Et ça fait accentuer les chiffres. Rien que pour l’année 2005, le tribunal de Tizi Ouzou a eu à traiter quelques 1047 affaires relevant des statuts personnels. Plus de 50% de ces affaires ont trait au divorce, et à quelques exceptions près concernant des transcriptions de mariages. La cour de Tizi Ouzou a plusieurs tribunaux qui lui sont rattachés, à l’image de celui de Ouacif, Fort National, Azazga, Draâ El Mizan, et Michelet notamment. Faites vos calculs ! Une simple multiplication remettrait alors en cause toute la prétendue beauté de l’amour… D’ailleurs à ce stade, on n’évoque plus ce sentiment même si le juge privilégie au préalable les tentatives de conciliation. Ça devient une affaire administrative. Même la bureaucratie s’en mêle ! Le divorce passe presque pour une routine.

« Combien ça coûte »un divorce ?L’Etat tente alors d’améliorer son arsenal dissuasif, et par la même, faire un petit clin d’oeil à la femme. Un autre ! L’an dernier, les femmes ont eu droit à une « ordonnance » en février, avant la traditionnelle rose du 8 Mars. En cas de divorce abusif de l’homme, l’ordonnance N° 05-02 du 27 février 2005 traitant de l’amendement de la loi 84-11 du 9 juin 1984 portant code de la famille contraint désormais ce dernier à verser une retraite légale (Idda) qui “oscille entre trois et cinq millions de centimes, plus une pension alimentaire à raison de deux à trois mille dinars par enfant. Cette dernière a été revalorisée. Il y a aussi le droit au logement qui revient à la femme si elle a la garde des enfants, donc le conjoint se doit soit de céder son logement à son ex-femme, soit lui louer, ou payer une mensualité équivalente qui varie généralement de 4000 à 6000 DA, voire plus », explique à ce sujet Me Ben Arbi Amar. Elle vaudrait vraiment la peine mais, jusque là Jean-Pierre Pernaud ne s’est pas soucié de « Combien ça coûte ? » un divorce en Algérie. Mais vu de là-bas, ça paraîtrait toujours, sans doute, un petit détail. Vu d’ici, on avoue qu’on pense maintenant plus d’une fois avant de trancher. Mais, tels face à ce nouveau dispositif de circulation où la menace du retrait de permis est en vogue, il y en a toujours beaucoup qui foncent malgré les lois, et les prix à payer. Mais devrait-on songer plus à ces enfants, ces victimes d’avoir été le fruit d’un « amour  » dont ils n’ont jamais été responsables. Ils n’étaient pas là lorsque la joie était de mise, sous la couette…

D.C.

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